« Vous êtes un mur, dit-elle au bien-aimé. Vous êtes un obstacle infranchissable pour l’ennemi. » Elle paraissait sereine. Non ! Sereine pas seulement. Prise entre ses deux passions : l’être humain et la lecture qu’elle pouvait en faire. Un décryptage par les livres. Pas de temps pour autre chose. Alors ils burent aussi de l’alcool en fût. Sa beauté (cheveux et T-shirt blonds) seul point d’ancrage dans la pièce. Parfois je comprenais mal la manière avec laquelle elle avait organisé sa vie. Dormant peu. Craignant et espérant tout de ces rencontres. Elle me demanda pourquoi les neiges modifiaient si peu la couleur du vin. Perverse. Naïve. Je me souviens qu’elle lisait alors Wittgenstein. Ne cherchant jamais à imposer ce que pouvaient être ses propres pensées. Mais elle se souvenait de tout, notamment de la violence physique qui avait été la mienne ce jour-là le long de la frontière. Elle revoyait tout. Tout ce qui eut lieu entre le Bar Docksy et l’antique baraque du sabotier. « J’aime vos doigts. Ils sont longs et fins. Et vos ongles ! Les hommes en parlent peu. Jamais même. Ils soulignent un style de vie pourtant. » Alors elle glissa ses doigts sur mes poignets. « Ce sont ceux d’un artiste. Un violoniste. Il me semble. » Et leurs mains, désormais l’une contre l’autre se dévoilent et se serrent. Voilà de quoi, quelques dizaines d’années plus tard, il souhaitait se souvenir.