Prologue

Immobile derrière la maison de Mariah, Clara sentait la chaleur de cette fin d’été monter du sol. Elle regarda au pied de la colline les assistants de son amie qui préparaient la hutte de sudation. Alors qu’elle se détournait, un reflet argenté à l’est attira son attention. Elle jeta un coup d’œil dans cette direction, vers les nombreux sentiers que Mariah et elle avaient foulés tant d’années auparavant. Il lui sembla alors apercevoir son chien, pourtant mort depuis longtemps – silhouette spectrale courant devant elle comme autrefois. Elle se dirigea vers le chemin qu’elle avait emprunté si souvent avec Mariah pour aller poser des collets. Un léger tintement, porté par la brise, s’élevait du bosquet autour de la hutte. Elle marcha un bon moment, sans se soucier de l’heure. Lorsqu’elle retourna enfin sur ses pas, le soleil était à son zénith et les feuilles de bouleau miroitaient autour d’elle.

Il était un peu plus de midi quand elle revint chez Mariah. Kendra qui, à l’entrée de la maison, observait les environs, sourit en la voyant approcher.

– Je me demandais où tu étais, dit-elle. Ça va ?

– J’ai tellement de souvenirs ici…, répondit Clara.

Elle s’approcha de la jeune femme pour l’enlacer. Kendra, la fille de sa plus vieille amie, était pour elle comme l’enfant qu’elle n’avait pas eu. Elles pénétrèrent ensemble dans la maison où Mariah avait sorti son bol de fumigation.

– Venez là, toutes les deux.

Docilement, elles allèrent s’asseoir à côté de Mariah, qui faisait maintenant brûler son mélange spécial de plantes médicinales en récitant une prière dans sa douce langue crie. Clara saisit la main de Kendra. Elles prièrent en silence tandis que leur aînée préparait une offrande pour les anciens. Lorsqu’elles rouvrirent les yeux, détendues, une atmosphère de paix et de beauté baignait l’intérieur tout simple de la maison. Le pick-up serait bientôt là. Clara se pencha vers Mariah.

– Kendra est médecin, tu sais. La première Indienne médecin du Canada.

– Aborigène, rectifia Kendra.

Clara leva les yeux au ciel.

– Autochtone, aborigène… Peu importe. Je resterai une Indienne tant que la Loi sur les Indiens n’utilisera pas un mot plus juste.

Mariah posa une main sur la sienne.

– Ah non, pas de politique ici.

– Mariah aussi est médecin, reprit Clara à l’adresse de Kendra. C’est elle qui m’a remise sur pieds.

Visiblement embarrassée, Kendra haussa les épaules.

Clara éclata de rire.

– Oh, la science qu’elle possède est bien différente de la tienne ! Elle l’a apprise ici, sans avoir besoin d’aller dans une école spéciale.

Les trois femmes gardèrent ensuite le silence en attendant l’arrivée du pick-up. Celui-ci se gara peu après devant la maison. Le conducteur descendit puis les salua quand elles sortirent l’accueillir.

D’un geste, Mariah lui indiqua la direction à prendre.

– Les assistants sont près de la hutte. Tu auras besoin d’eux.

Le conducteur s’éloigna. Les femmes rentrèrent et Clara entreprit de préparer du thé pour les nouveaux arrivants.

Vera, la femme du conducteur, approcha une chaise de la table de la cuisine.

– Tu as trouvé un emplacement, Mariah ? s’enquit-elle.

– Oui, près de la hutte.

Clara venait de servir le thé lorsque, d’un signe de tête, Mariah montra la fenêtre.

– Les voilà.

Elle se leva lorsque les hommes entrèrent.

– Vous êtes prêtes ? lui demanda l’un d’eux.

Mariah opina du chef en rassemblant ses affaires.

– Vous, vous la portez, déclara-t-elle. Nous, on vous suit.

Tout le monde se rassembla près du pick-up. Les hommes déchargèrent le cercueil à l’arrière, le calèrent sur leurs épaules puis contournèrent la maison en direction du soleil avant de descendre la colline jusqu’à la fosse creusée pour la défunte.

Les participants formèrent un cercle autour de la tombe, dans laquelle les porteurs firent doucement descendre la bière. Clara pleurait.

Il avait fallu l’aide d’un enquêteur dévoué pour retrouver les restes de Lily, et même alors, il n’avait pas été facile de convaincre l’Église de les leur confier.

– On ne t’a pas abandonnée, Lily, chuchota Clara, et Kendra lui passa un bras autour des épaules. On t’a ramenée parmi nous. Je n’aurais jamais pu te laisser après ce que tu as subi. Toi et moi, on a enfin réussi à rentrer chez nous.

Mariah récita des prières que les porteurs reprirent de leurs voix graves, accompagnés par le son des tambours qui contribuait à créer autour d’eux une atmosphère de paix et de douce expectative. Après le chant d’honneur, Mariah guida le groupe vers la hutte de sudation. Elle y pénétra la première puis invita les autres femmes à la rejoindre – d’abord Kendra, ensuite Clara. Elles s’assirent en cercle tandis que les assistants apportaient des pierres chaudes pour remplir la cavité du foyer devant elles. Mariah recommença à prier en plaçant de la sauge et des écorces de cèdre sur les cailloux brûlants. La senteur magique des plantes emplit bientôt tout l’espace.

Clara se pencha pour prendre la main de Kendra.

– Prépare-toi à découvrir un autre type de médecine, doc, dit-elle avec un sourire.

Les assistants fermèrent la porte sur elles.