Chapitre 7
Le nombre d’articles publiés par des chercheurs établis dans des pays en développement1 dans le Journal of world history et le Journal of global history est très faible : dans le Journal of global history, sur l’ensemble des articles publiés de la création du journal en mars 2006 jusqu’en juillet 2012, soit au total 142 articles, il y a un seul article écrit par un chercheur établi dans un de ces pays !2. Et dans le Journal of world history, sur les quatre dernières années3, sur 69 articles, il y en a seulement un écrit dans un chercheur d’un pays en développement4. Et sur les 149 comptes rendus d’ouvrages parus dans cette revue durant les quatre dernières années, on en compte seulement un portant sur un ouvrage de chercheur établi dans un pays en développement5. L’occidentalocentrisme de ces revues est donc patent.
Il apparaît donc pertinent de s’intéresser à la recherche en histoire mondiale telle qu’elle est pratiquée par les chercheurs établis dans les pays du Sud. La Chine (RPC), immense pays d’1,3 milliard d’habitants, deuxième puissance mondiale mais appartenant toujours aux pays du Sud, apparaît comme un bon objet pour étudier le développement de l’histoire mondiale dans les pays en développement6.
Faute de pouvoir lire le chinois, on s’est surtout fondé, pour ce chapitre, sur des articles parus en anglais, et sur les abstracts des communications présentées par des historiens issus de PED dans des congrès d’histoire globale. Citons notamment les différentes éditions du « Congrès européen d’histoire globale » (Leipzig 2005, Dresde 2008, Londres 2011), de la World History Association Conference, le colloque « Working Lives in Global History » (Delhi, 2011), et le Congrès asiatique d’histoire mondiale (2012).
Comment s’est construite l’histoire mondiale/globale en Chine ? Quelle est la spécificité des réflexions et des thèmes de recherche élaborés par des historiens chinois dans le domaine de l’histoire globale ? Quel est l’apport de ces travaux ? Et comment l’histoire mondiale/globale est-elle considérée actuellement par la communauté scientifique chinoise ?
Longtemps la pratique de l’histoire en Chine a été sino-centrée. Ainsi en 1990, dans un des principales revues de recherche historique chinoise, Lishi Yanjiu (« Recherche historique »), les articles sur les pays étrangers représentent seulement 17,5 % du total.
L’histoire pratiquée en Chine était également, sous l’ère maoïste, très marquée bien évidemment par l’orthodoxie marxiste-léniniste-maoïste8.
Mais la Chine a aussi une longue tradition d’historiographie eurocentrique depuis Sima Qian (IIe-Ier siècles avant notre ère), c’est-à-dire depuis l’Antiquité ; ainsi « histoire mondiale » a longtemps signifié histoire étrangère, histoire de l’Occident.
En 1974, le département d’histoire de l’université de Pékin a publié Propos sur l’histoire mondiale moderne, série d’essais sur des épisodes de l’histoire mondiale de 1640 à 19179. L’aspect le plus significatif qui en ressort est une focalisation croissante sur l’histoire du Tiers Monde. Sur les 16 essais, 7 portent sur les luttes des peuples coloniaux contre l’impérialisme occidental.
La même année, à Shanghai, la plus importante université chargée de former les enseignants a publié un manuel en 2 volumes qui atteste de la même évolution : l’ouvrage se focalise moins sur l’histoire économique et sociale de l’Europe mais davantage sur la résistance du Tiers Monde à l’impérialisme10.
Avec la libéralisation et l’ouverture du pays sous Deng Xiaoping à partir des années 1980, les historiens chinois ont eu davantage accès aux sources étrangères et à des bourses de recherche à l’étranger, cela a eu pour effet de favoriser l’étude de l’histoire étrangère ou « histoire mondiale ».
De nouvelles revues sont alors créées, les deux plus significatives en histoire mondiale étant Shijie Lishi (Histoire mondiale) et Shijie Shi Yanjiu Dongtai (Développements en recherches sur l’histoire mondiale), toutes les deux créées à Pékin en 1978. Les manuels se sont multipliés sur l’histoire du monde entier11. En 1984 est fondé l’Institut d’histoire mondiale de l’Académie chinoise des sciences sociales. En 1989, pas moins de 16 associations nationales font de la recherche en histoire mondiale. Et le nombre de livres d’histoire mondiale publiés en Chine aurait grimpé de 42 en 1982 à 171 en 1997, et le nombre d’articles sur ce sujet de 351 en 1982 à 1280 en 1992. D’importants livres d’histoire mondiale sont publiés dès le début des années 1980, comme Jianmin Shije Tongshi (1981) et Shijie Shi (1983). Pour Ricardo K.S. Mak, ces travaux se caractérisent alors par une forte sur-évaluation de l’influence des facteurs technologiques, allant jusqu’à « la croyance en la toute-puissance de la technologie »12.
La pratique et l’écriture de l’histoire en Chine ont connu une sorte d’aggiornamento avec l’avènement de l’ère Deng Xiaoping. Cependant, la période la plus ancienne (de la Préhistoire à 1600 environ) a été l’objet de moins de révisions que la période post 1600. Un exemple de réforme dans l’enseignement de l’histoire est, avec la révision de 1982 de l’enseignement de l’histoire en lycée, de mettre moins l’accent, dans l’étude du Moyen Âge en Occident, sur les révoltes de paysans pendant la Guerre de Cent ans (épisodes mis en avant pendant la période maoïste) et davantage l’accent sur l’épopée de Jeanne D’Arc parce que ce dernier épisode est considéré comme propre à renforcer le nationalisme13. Ainsi, bien que connaissant un aggiornamento depuis les années 1980, l’enseignement de l’histoire en Chine est toujours orienté par des objectifs politiques.
Dans le premier ouvrage sérieux sur l’histoire mondiale durant l’ère post-Mao, Esquisse d’histoire de la haute Antiquité qui paraît en 2 volumes en 1979, le chapitre final est consacré à une réfutation de la théorie marxiste du mode asiatique de production14. Ainsi, peu à peu, l’historiographie chinoise prend des distances avec le dogme marxiste.
Parmi les plus importants historiens critiques de l’ancienne orthodoxie d’histoire mondiale, il y a Luo Rongqu qui dirigeait le Centre pour l’étude de la modernisation mondiale à l’université de Pékin. La nouvelle donne socio-économique des années 1980 (réformes, libéralisations, ouverture) favorise l’émergence d’un tel révisionnisme historiographique. On assiste à l’émergence d’une réclamation pour que la Chine ait plus de place dans l’histoire mondiale et l’Europe moins15. Mais cela n’a pas vraiment abouti sur le plan pratique.
En 1985, dans la préface d’un manuel d’histoire mondiale, Qiao Mingshun appelle à « détruire l’eurocentrisme » et à consacrer plus de place à l’Asie, à l’Afrique et à l’Amérique latine dans l’histoire mondiale16. Mais, même dans ce livre, le Tiers Monde reçoit seulement 3 chapitres alors que l’Europe en a 13.
Une étape importante du développement de l’histoire mondiale en Chine est la traduction en chinois en 1987 du livre Main Trends in History de Geoffrey Barraclough’s17. À ce moment-là, l’expression « vision universelle, globale de l’histoire » a été traduite en chinois par « quanqiu shiguan », cette expression devenant alors un véritable concept en Chine18.
Ainsi, il apparaît que la Chine a une position ambivalente à l’égard de l’histoire mondiale : traditionnellement la pratique de l’histoire en Chine était sino-centrée, mais il y avait aussi une longue tradition d’« histoire mondiale », vocable qui recouvrait en fait l’histoire étrangère, et cette tradition a été renforcée sous l’ère maoïste du fait de l’influence du marxisme. Avec l’ouverture de la Chine après 1976, l’intérêt pour l’histoire mondiale s’est accru.
En 1962 a été publié le premier ouvrage officiel d’histoire mondiale en Chine : Histoire mondiale, en 4 volumes, par Zhou Yiliang et Wu Yujin20. Cet ouvrage suit les étapes marxistes du développement, de l’esclavage au féodalisme, puis au capitalisme et au socialisme. Comme la théorie marxiste se fonde sur l’expérience européenne, cet ouvrage est eurocentrique. De plus, ce texte néglige les interactions entre différentes régions et cultures et il exclut l’histoire chinoise.
Mais depuis les années 1980 de plus en plus d’historiens chinois ont réclamé qu’on écrive une histoire mondiale tenant compte des caractéristiques chinoises, qui ne soit pas occidentalocentrée21. Dans les années 1980 et 1990, en lien avec l’ouverture de la Chine menée par Deng Xiaoping, beaucoup de théories occidentales entrent en Chine et fournissent, de manière paradoxale, des outils pour combattre l’occidentalocentrisme. La world/global history telle qu’elle est pratiquée par les historiens euro-américains pénètre en Chine. Grâce aux efforts de l’éminent historien chinois Wu Yujin (1913-1993), la perspective d’histoire globale s’impose en Chine.
Dans les trente dernières années, beaucoup d’œuvres d’historiens occidentaux sont introduites en Chine et traduites en chinois, notamment les œuvres de ceux qui prônent une approche globale, comme Geoffrey Barraclough, L. S. Stavrianos, Fernand Braudel, Immanuel Wallerstein, Andre Gunder Frank, Janet Abu-Lughod, R. Bin Wong, et Kenneth Pomeranz. De plus, en partie sous l’influence des historiens occidentaux et en partie sous l’influence du marxisme, les historiens chinois théorisent l’évolution de sociétés isolées vers des sociétés de plus en plus interdépendantes ; les historiens chinois ont ainsi produit plusieurs ouvrages d’histoire mondiale/globale durant ces trente dernières années22.
Les historiens chinois cherchent à reconstruire une histoire mondiale qui exclue l’eurocentrisme et inclue l’expérience chinoise. Mais dans cette tâche ils rencontrent des problèmes complexes : institutionnels, idéologiques, socio-psychologiques, liés à la prégnance du modèle historiographique soviétique, et au fossé entre historiens de la Chine et historiens du monde extérieur (qu’on appelle en Chine « histoire mondiale »).
L’historien chinois Wu Yujin, qui mène des recherches à l’université de Wuhan pour étudier l’histoire mondiale aux XVe et XVIe siècles, a entrepris en 1978 de reconstruire l’histoire mondiale en Chine ; vingt ans plus tard, la théorie de Wu Yujin a été établie comme une nouvelle orthodoxie dans le champ historique chinois ; selon Xu Luo, presque tous les ouvrages d’histoire mondiale parus depuis 1990 se réfèrent aux idées de Wu Yujin. Formé à Harvard dans les années 1940, Wu Yujin a pris connaissance de l’historiographie occidentale. Au début des années 1960 il a été l’un des deux directeurs des premiers volumes sur l’histoire mondiale. C’est à l’occasion de cette expérience qu’il met en question l’historiographie soviétique et qu’il se met à chercher des modèles alternatifs pour construire l’histoire mondiale. Après la révolution culturelle (1966-1976) il cherche de nouvelles voies historiographiques, tout en continuant à adhérer à l’historiographie marxiste. Très marqué par les world historians occidentaux, Wu est le premier historien chinois à critiquer le modèle historiographique soviétique. Il observe qu’il a des défauts et qu’il est eurocentrique. Pour lui l’histoire mondiale ne doit pas se limiter à être la somme des histoires des pays étrangers, mais doit être l’histoire des interconnexions, des interactions. Il pense que l’histoire mondiale n’existe pas dans l’Antiquité (contrairement à ce que pensent Abu Lughod et Gunder Frank23). Il pense qu’elle résulte du développement de l’histoire humaine, qu’elle est apparue avec la mondialisation. Il estime que la longue période pendant laquelle l’histoire des groupes humains s’est développée en une histoire mondiale inclut deux dimensions : longitudinale et horizontale, jing et wei en chinois. Le développement longitudinal réfère à l’évolution des modes de production et les changements qui y correspondent dans la société au fil du temps ; le développement horizontal est le processus par lequel des parties du monde isolées deviennent connectées ; la base commune à ces deux dimensions (longitudinale et horizontale) est la croissance de la production matérielle.
Au milieu des années 1980, la commission nationale d’éducation autorise Wu Yujin et Qi Shirong à écrire un ouvrage d’histoire mondiale en plusieurs volumes, qui sera publié en 199424. L’ouvrage est rédigé selon les conceptions de Wu et entend montrer les étapes de l’évolution sociale et le processus par lequel des groupes humains isolés s’interconnectent et forment une communauté mondiale. Alors que l’ouvrage de 1962 copiait le modèle soviétique, étant centré sur la lutte des classes, celui de 1994 ne se réfère plus à la lutte des classes, au contraire comme moteur du changement historique il identifie la « révolution agricole » et la « révolution scientifique technologique ». Cet ouvrage est divisé chronologiquement en 3 sections : histoire ancienne, histoire moderne, histoire contemporaine. La section d’histoire ancienne couvre les sociétés esclavagistes et féodales dans le monde, et se centre sur le développement et les changements des sociétés agricoles sur le continent eurasien. La conception eurocentrique d’« époque médiévale » est abandonnée. L’époque ancienne va jusqu’à 1500. La section d’histoire moderne décrit l’émergence et l’expansion mondiale du capitalisme. Pour Wu Yujin comme pour plusieurs historiens occidentaux, 1500 a une signification spéciale comme tournant dans l’histoire mondiale, avec la découverte du Nouveau Monde. La section moderne va jusqu’à 1900.
Mais selon Luo Xu, ce livre de 1994 est, notamment dans sa section d’histoire moderne, presque plus eurocentrique que celui de 1962. Dans la section moderne du livre de 1994, seulement 21 % des pages portent sur l’Asie, l’Afrique, et l’Amérique latine ; 79 % portent sur l’Europe et l’Amérique du Nord. Pourquoi cet eurocentrisme ? Peut-être parce que les historiens se sont centrés sur le capitalisme, né et développé en Europe ; et parce qu’ils se sont centrés sur les interactions croissantes entre les parties du monde, et que cela a été accéléré par les grandes découvertes des Européens. Peut-être aussi l’ambivalence des Chinois par rapport au marxisme a renforcé leur eurocentrisme ; en effet plusieurs idées de Marx, reprises par les historiens chinois, apparaissent eurocentriques comme sa conception du « mode asiatique de production », du « despotisme oriental » et sa conception de l’économie asiatique comme « arriérée », et les historiens chinois auteurs du livre de 1994 continuent à être inspirés par Marx.
Un des facteurs de faiblesse pour la pratique d’une véritable histoire mondiale englobante en Chine est la coupure, qui existe depuis longtemps et continue à perdurer, entre histoire chinoise et histoire dite mondiale mais concernant en fait les pays étrangers excluant la Chine. Depuis des décennies, les départements d’histoire dans les universités chinoises sont divisés en deux parties étanches : l’histoire chinoise d’un côté, et l’histoire non chinoise ou « histoire mondiale » de l’autre. Le développement d’une véritable histoire mondiale en Chine souffre de cette coupure. Les historiens chinois choisissent un de ces deux domaines, ils ne peuvent pas choisir les deux, ce que pourtant la pratique d’une véritable histoire mondiale exigerait. Cette coupure a des répercussions sur la manière dont s’écrit l’histoire mondiale en Chine : ainsi, le livre d’histoire mondiale de 1962 ne parle quasiment pas de la Chine, sauf pour aborder les relations économiques et culturelles de la Chine avec d’autres pays. Récemment encore, des livres d’histoire mondiale parus en Chine excluent la Chine25.
Les auteurs du livre de 1994 ont tenté d’inclure la Chine mais sans grand succès. Dans la section d’histoire moderne, la Chine n’occupe que 4 % des pages, alors que l’Europe en occupe 58 %.
D’un point de vue plus conceptuel, dans le livre de 1994, dans la section d’histoire moderne, la Chine est présentée comme en déclin par rapport à l’Europe, cette dernière étant présentée comme en essor à cette époque du fait du développement du capitalisme. Cette vision a été cependant remise en question par des auteurs comme Roy Bin Wong, Andre Gunder Frank, et Kenneth Pomeranz26. Les livres de Frank (ReOrient) et de Pomeranz (La Grande divergence) ont envoyé une onde de choc aux historiens chinois. Ils ont été controversés en Chine. Beaucoup ont été impressionnés par les idées anti-eurocentriques de Frank et de Pomeranz, leur idée que la croissance de la Chine a continué à augmenter à l’époque moderne ; pour Frank, entre 1500 et 1800, le centre de l’économie mondiale et du commerce international n’est pas l’Europe mais l’Asie. Et c’est cette dernière qui a joué un rôle crucial dans le développement de l’Europe.
Pour beaucoup d’historiens chinois, La Grande divergence de Pomeranz a déconstruit le discours dominant eurocentrique. Fondé sur une comparaison détaillée entre le delta du Yangtsé et l’Angleterre, il a affirmé que l’Europe n’était pas plus avancée que la Chine au XVIIe siècle. La « grande divergence » entre Chine et Europe a commencé au début du XIXe siècle. La raison du décollage de l’Europe est l’exploitation des colonies américaines et la présence de charbon en Angleterre. Une des innovations de Pomeranz est de considérer non seulement la Chine à la lumière de l’Europe, mais l’Europe à la lumière de la Chine.
Les historiens chinois ont été inspirés par ces œuvres de Frank et Pomeranz, mais se sont souvent montrés critiques, pointant la rareté des sources. Ils ont fait plusieurs critiques. Beaucoup d’historiens chinois considèrent que les œuvres de Frank et de Pomeranz manquent d’analyse du rôle des institutions politiques et culturelles dans le développement économique. Par exemple, Wang Jiafan estime que la partie la plus problématique de la méthodologie de Pomeranz est qu’elle a presque totalement ignoré le système socio-politique comme facteur important et contexte indispensable de l’économie. Quant à Qin Hui, il critique le fait que Frank utilise les surplus commerciaux pour prouver l’avance économique d’un pays. Plus généralement, plusieurs chercheurs chinois critiquent les conséquences idéologiques des théories de Frank et de Pomeranz : selon eux, ces deux chercheurs occidentaux ne répondraient pas à la question de pourquoi la Chine a connu un déclin au XIXe siècle, et ils embelliraient la situation de la Chine avant le XIXe siècle, c’est ce que pense notamment Wang Jiafan.
Ainsi, paradoxalement, la réévaluation à la hausse de la situation économique de la Chine à l’époque moderne a été faite par des historiens occidentaux, et n’a pas été très bien reçue parmi les historiens chinois, malgré leur désir de se débarrasser des représentations eurocentriques. Et, du fait de la séparation nette, en Chine, entre histoire chinoise et histoire étrangère (dite histoire « mondiale »), la place de la Chine dans les études d’histoire mondiale est longtemps restée minime.
Qu’en est-il aujourd’hui ? Quelles sont les tendances récentes dans les études d’histoire mondiale, globale, en Chine ?
Zhe Miao, de l’université du Zhejiang en Chine, montre que dans les reliefs des tombes Han du Shandong, les centaures en robes confucéennes sont décorées de motifs étrangers. Cela montre les circulations artistiques entre l’Asie et l’Europe (et plus précisément avec l’Empire romain). Ces circulations sont liées au commerce (route de la soie, route de la fourrure). Depuis les années 1980, bien que des milliers de tombes Han aient été ouvertes, l’étude de ce domaine a été négligée et discréditée, estime Zhe Miao, qui entend remédier à cela27.
Xiaobo Feng, de la Beijing Union University, observe que beaucoup de chercheurs croient que la culture chinoise vient de l’Occident. L’archéologue américain Hallam L. Movius qui a étudié la culture paléolithique en Asie orientale, Asie du Sud-Est et nord de l’Inde et du Pakistan au milieu du XXe siècle a développé la théorie des « deux traditions culturelles » en 1948. Il pensait que la culture paléolithique ancienne est divisée en deux aires culturelles (cercles culturels), c’est ce qu’on a appelé la « Movius line » : il pensait que la culture paléolithique ancienne était divisée entre d’une part l’Europe, l’Afrique et l’Asie occidentale, qui utiliseraient le biface acheuléen, et d’autre part l’Asie orientale (dont la Chine), qui utiliserait le galet taillé (chopping tool). Cette théorie, estime Xiaobo Feng, impliquerait que la civilisation paléolithique chinoise serait plus arriérée que d’autres civilisations. Le chercheur chinois s’insurge contre de telles conclusions et dénonce que « certaines personnes croient que les peuples anciens en Asie orientale et du Sud-Est étaient déficients mentalement » durant la Préhistoire. Au fil du temps, et surtout depuis les années 1970, avec la découverte de nombreux matériaux en Asie orientale et du Sud-Est, il a été prouvé que le biface existait dans cette culture. De nouvelles découvertes en Chine ont montré que le biface y a été utilisé, seulement un peu plus tard qu’en Afrique, et même un peu plus tôt qu’en Europe. Pour Xiaobo Feng, le biface, symbolique de la culture paléolithique tardive, joue un rôle de messager entre cultures occidentale et orientale. Cela prouve que déjà il y a un million d’années, il y avait des échanges entre Orient et Occident28.
Hua Yi, de l’Institute of Ethnology & Anthropology de Chine, se réfère à la fois à Fernand Braudel, à Immanuel Wallerstein et au linguiste chinois Fu Sinian, pour étudier d’un point de vue anthropologique la place de la Chine dans le système-monde ancien. En particulier, il montre que la civilisation chinoise ancienne est le fruit de deux cultures différentes, celle des Yi (venant d’Asie du Sud-Est, qui ont créé une culture sédentaire agraire) et celle des Xia (liés aux Indo-Européens, nomades, qui ont introduit le bronze). Il est intéressant de mettre au jour les origines duales des peuples et cultures est-asiatiques. La combinaison des Yi et des Xia a initié l’histoire de la Chine et a formé la tradition culturelle spéciale de l’Asie orientale29.
Beaucoup de chercheurs chinois s’intéressent à la route de la soie, qui a relié l’Asie à l’Europe entre le Ier millénaire avant notre ère et le XVe siècle : Jianye Han, de la Beijing Union University, étudie « la route des poteries peintes et le début de l’échange culturel sino-occidental ». La « route de la poterie peinte » fait référence aux routes par lesquelles la culture orientale a transmis la poterie peinte orientale vers l’ouest entre le IIIe millénaire et le Ier millénaire avant notre ère. C’était la route essentielle par laquelle s’est fait l’échange culturel sino-occidental pendant cette période. La théorie selon laquelle la culture de la poterie peinte viendrait en fait d’Occident, théorie populaire il y a quelques années, a été, dit-il, discréditée par les nouvelles découvertes archéologiques. Maintenant, on sait que la poterie peinte à l’origine vient de la culture Bai Jia, développée au Shaanxi et au Gansu dès 6000 avant notre ère Puis vers 3500 avant notre ère, la culture Majiayao est apparue et la poterie peinte est devenue la caractéristique la plus importante de celle-ci. Depuis - 3000, la culture de la poterie peinte de type Majiayao s’est étendue vers l’ouest, selon deux routes : la route du sud et la route du nord (de part et d’autre du plateau tibétain). Il est possible certes, concède Jianye Han, que l’émergence de couteaux en bronze soit influencée par la culture occidentale du bronze, se diffusant en Chine par ces routes ; après - 2000, le nombre croissant de bronzes trouvés dans la culture Siba et la culture Qija notamment, ont été essentiellement transmis depuis l’Occident par la route du nord. Jianye Han conclut que la route de la poterie peinte est le précurseur de la route de la soie30.
Ce qui est intéressant dans les communications de ces chercheurs portant sur la Préhistoire, c’est qu’ils semblent très attachés à défendre l’originalité et la primauté de la culture orientale, asiatique, ayant apparemment l’impression que les chercheurs occidentaux ont tendu à minimiser l’importance de cette culture au profit de la culture occidentale. Ainsi, alors qu’initialement avec l’ère Deng Xiaoping l’aggiornamento qu’a connu l’histoire mondiale pratiquée en Chine a porté essentiellement sur la période après 1600, on constate qu’aujourd’hui cette volonté d’aggiornamento, consistant essentiellement en une revalorisation de la place de la Chine, concerne aussi les périodes les plus reculées, et notamment la Préhistoire.
Contrairement au défaut relevé dans les années précédentes, à savoir une coupure entre les études sur la Chine et les études portant sur le reste du monde, on observe aujourd’hui, dans les recherches d’histoire mondiale menées par des Chinois portant sur l’Antiquité et au-delà, une approche comparative entre la Chine et l’Europe.
Ainsi, à la World History Association Conference tenue à Pékin en 2011, Xiaoji Wei, de la Capital Normal University de Pékin, a réfléchi à la formation de l’identité ethnique dans la Chine classique et dans la Grèce antique. Il observe que la formation de l’identité ethnique de soi, d’un point de vue subjectif, est obtenue par la construction de la notion de « barbares », jugés irrationnels, inférieurs, injustes, bestiaux. Ces populations qui vont être désignées comme « barbares » sont, pour les Chinois Han (Huaxia), les Man, les Yi, les Rong. Pour les Grecs, ce sont les Perses. L’identité ethnique des Grecs et des Chinois a été inspirée par des violents conflits (les Grecs contre les Perses de - 492 à - 478, les Chinois autour du VIIIe siècle avant notre ère, période durant laquelle les États du centre ont combattu des tribus nomades). Les hommes politiques, historiens, penseurs et œuvres littéraires ont joué un rôle important dans ce processus. La conscience de soi ethnique est développée essentiellement par les élites. Les élites chinoises considéraient que leurs notions de propriété et de justice, et les Grecs que leurs concepts de liberté et de démocratie, étaient supérieures à ceux des « barbares ». Cependant, Xiaoji Wei note aussi des différences entre le concept d’identité ethnique en Chine et en Grèce. La caractéristique de l’identité ethnique chinoise est la notion d’« un seul monde ». Confucius est un pionnier dans la conceptualisation de la relation entre Ha (Chine) et Yi (barbares). Cela a été développé à la période des Printemps et des Automnes (- VIIIe à - VIe siècles). Pour les relations entre Xia et Yi (c’est-à-dire entre Chinois et barbares), le raisonnement de Confucius est qu’un groupe étranger désireux de garder de bonnes relations avec Huaxia (ce terme désigne les populations de la Chine antique constituant le noyau des futurs Han) et absorber son système peut devenir membre de Huaxia ; si un membre de Huaxia par contre insiste pour utiliser des rituels étrangers, son appartenance sera annulée jusqu’à ce qu’il se plie à nouveau à l’étiquette de Huaxia. Pour les Grecs, la caractéristique de leur identité ethnique est l’opposition binaire, elle est représentée dans de nombreuses œuvres classiques, comme celles d’Eschyle, d’Hérodote, et d’Aristote. Ainsi, Aristote développe l’opposition rationel/irrationnel, démocratie/monarchie absolue, liberté/esclavage, intelligent/bête. Xiaoji Wei observe cependant qu’on trouve rarement des idées sur l’intégration ethnique et l’égalité ethnique dans les œuvres des Grecs anciens avant la période hellénistique, époque à laquelle la notion d’universalisme apparaît, influencée selon lui par l’impact de l’Orient. Xiaoji Wei se réfère à la notion créée par Karl Jaspers de « période axiale » : ce serait durant cette période située entre - 800 et - 200 que la conscience ethnique de soi se serait forgée, aussi bien en Orient qu’en Occident. Cette période aurait vu l’apparition, en Orient comme en Occident, de modes de pensée totalement nouveaux, et notamment l’apparition de la spiritualité, fondement des religions31. Observant que des groupes ethniques conscients d’eux-mêmes ne peuvent pas facilement être assimilés ou anéantis, et qu’inversement, des groupes sans contact avec les civilisations axiales restent primitifs dans leur mode de vie ou périssent, Xiaoji Wei souligne l’importance de l’acquisition par les Grecs comme par les Chinois, durant la période axiale, de l’identité ethnique de soi, même s’il y a des différences entre Chinois et Grecs dans la nature de cette identité ethnique, les différences constituant la culture de l’identité des Chinois et des Grecs anciens32. Xiaoji Wei développe donc une intéressante réflexion comparative entre la société grecque et la société chinoise, montrant des similarités mais aussi des différences, et s’attachant à montrer l’influence que l’Orient aurait eu sur la société grecque, avec notamment l’apparition en Grèce de la notion d’universalisme à l’époque hellénistique.
La période du Moyen Âge, notion occidentale sans pertinence pour le monde chinois, que nous utilisons ici par commodité, est une période privilégiée des chercheurs chinois pour les études d’histoire mondiale.
Les interactions entre Chinois et Arabes sont un thème récurrent. Ainsi Dandan Li, de la Capital Normal University de Pékin, étudie les interactions de la dynastie Tang avec les régions arabes. La dynastie Tang était l’âge florissant de la société médiévale chinoise pendant laquelle les relations entre la Chine et le monde extérieur se sont développées avec une ampleur sans précédent. C’est surtout à partir de la seconde moitié du VIIe siècle que l’interaction entre l’Empire tadjik et les Tang a augmenté beaucoup, et la connaissance par les Chinois des régions arabes s’est approfondie. Selon les archives historiques chinoises, les Tang et les Tadjiks ont commencé à établir des liens officiels en 651. Du fait des nombreux marchands arabes, beaucoup d’installations se sont formées au Guangzhou, Yangzhou, Quanzhou, etc., ce qui a affecté les habitudes traditionnelles chinoises et les religions traditionnelles chinoises ; des musulmans locaux ont commencé à apparaître. La bataille de Talas (751) a favorisé l’interaction culturelle entre Orient et Occident, et la fabrication chinoise du papier s’est diffusée en Occident à partir de cette époque. Le voyageur chinois Du Huan, qui a effectué un grand voyage dans les régions arabes et a été capturé dans cette bataille, offre dans son livre Jingxingji (en partie perdu) des descriptions intéressantes du climat, style de vie, habitudes, fonctionnement de l’État et croyances religieuses des habitants des régions arabes33. L’insistance de Dandan Li sur les interactions entre Chinois et Tadjiks à cette époque et son étude des « passeurs » comme le voyageur chinois Du Huan apparaissent novatrices. Il est intéressant de voir la volonté de ce chercheur de valoriser l’antériorité culturelle de la Chine sur l’Occident, notamment lorsqu’il insiste sur le fait que la connaissance du papier s’est diffusée de la Chine en Occident.
Plusieurs chercheurs chinois s’intéressent aux relations entre le christianisme et l’islam au Moyen Âge. Ainsi, Yaping Wang, de la Tianjin Normal University, étudie les conflits politiques et l’intégration culturelle religieuse liés aux relations entre christianisme et islam au Moyen Âge. Il observe qu’au Moyen Âge le christianisme et l’islam ont connu de fortes interactions, notamment à l’occasion de conflits armés (comme au VIIIe siècle dans la péninsule ibérique, au XIe siècle avec l’expansion des turcs seldjoukides dans l’Empire byzantin et avec les croisades, et au XVIe et XVIIe siècle avec l’expansion de l’Empire ottoman)34.
Certaines cités chinoises se prêtent particulièrement bien à des études monographiques ouvertes à l’étude des circulations, des échanges et des réseaux transnationaux qui s’y sont développés. Cheng Shi, de la Capital Normal University de Pékin, étudie le commerce entre la ville chinoise de Quanzhou (que Marco Polo et Ibn Battuta ont décrite avec admiration) et l’Océan indien, et la diffusion des religions à Quanzhou. Après l’an 1000 le commerce dans l’Océan indien s’est développé, Quanzhou est devenu l’un des ports les plus importants, avec une économie prospère. Des marchands se sont installés et ont apporté leurs croyances et cultures. L’islam, le christianisme, l’hindouïsme ont coexisté avec le taoïsme et le bouddhisme. Entre le XIe et le XIVe siècle, à Quanzhou c’est une sorte de « miracle » : la coexistence harmonieuse de différentes religions dans une cité commerciale cosmopolite. Quanzhou relie alors le sud-est de la Chine au système commercial de l’Océan indien. Les marchands sont des pionniers de l’échange culturel35. Ainsi, sur le modèle des études d’histoire globale développées depuis quelques décennies en Occident portant sur les interactions et échanges culturels dans un lieu donné (comme par exemple les travaux de Romain Bertrand sur Java36), les chercheurs chinois commencent à faire de telles études monographiques sur des lieux stratégiques situés en Chine et ayant été au cœur d’échanges et de mélanges de civilisations.
Plusieurs historiens chinois s’intéressent aux relations entre les Chinois et les missionnaires occidentaux, notamment jésuites, durant l’époque médiévale et moderne. Ils étudient l’influence sans précédent exercée par les missionnaires chrétiens sur la haute société chinoise. De nombreuses sources permettent à ces historiens de cerner combien ces échanges culturels ont été féconds : lettres, journaux intimes, œuvres de missionnaires occidentaux, archives des empereurs chinois, œuvres des chercheurs et lettrés chinois, récits des missionnaires comme Matteo Ricci37.
Yaochum Liu, de l’université du Sichuan, s’intéresse à l’échange de culture matérielle entre Orient et Occident et étudie en particulier les éléments orientaux de la Renaissance italienne. Il observe qu’on connaît bien l’influence de la culture byzantine sur la Renaissance italienne, mais moins l’influence des cultures islamique et chinoise sur cette même Renaissance italienne. Il explore ce domaine par l’étude des échanges culturels matériels (soie, porcelaine) ; et de l’engouement pour les « chinoiseries » en Italie et en Europe ; il étudie aussi l’introduction de la culture matérielle européenne et de la culture de la Renaissance en Chine38.
Le Chinois Weiwei Zhang de l’université de Nankai (Chine) réfléchit à la notion d’« échange colombien » et y relie la route de la soie. L’échange colombien est un événement majeur de l’histoire de l’écologie, de l’agriculture et des civilisations. Cette notion désigne l’immense échange de plantes et d’animaux, ainsi que de populations humaines (et de ce qui en découle comme les maladies) entre les hémisphères ouest et est à partir de 1492, lorsque le premier voyage de Christophe Colomb a ouvert une ère de contact entre Ancien et Nouveau monde. L’échange colombien apparaît comme une révolution écologique due au début de ces échanges entre Ancien et Nouveau monde. Des aliments nouveaux ont été introduits en Europe, en Amérique et en Afrique, et de nouvelles régions dans le Nouveau monde ont été mises en culture. Mais pour Weiwei Zhang, l’échange colombien n’est qu’une expansion de la route de la soie. Cet historien conteste la conception qu’il juge eurocentrique de l’échange colombien comme d’un événement d’une importance révolutionnaire, et la vision selon laquelle cet échange se serait fait entre d’une part l’Europe/Occident/cœur et d’autre part ses colonies/périphéries. L’auteur suggère que la route de la soie et l’échange colombien ne sont pas deux processus séparés mais sont les composantes d’un même réseau d’échange global39. En fait il réclame que la route de la soie soit considérée comme aussi importante que l’échange colombien, et que l’on n’adopte plus, pour la considérer, le schéma centre/périphérie (l’Europe vue comme le centre et l’Orient, la Chine, comme la périphérie). Cet historien s’inscrit donc dans le courant anti-eurocentrisme, répandu chez les world historians chinois.
Plusieurs historiens chinois s’intéressent à l’influence de la civilisation chinoise en Occident à l’époque moderne. Jingjun Yang, de la Beijing Union University, étudie les interactions entre Occidentaux et Chinois pendant les dynasties Ming (XIVe-XVIIe siècle) et Qing (XVIIe-début XXesiècle). Ces dynasties ont été des périodes de grandes interactions entre la Chine et l’Europe. Jingjun Yang analyse l’introduction de la culture chinoise en Occident. Elle s’est faite essentiellement par le biais des missionnaires occidentaux, qui ont introduit en Europe les objets chinois (objets de porcelaine, soie, laque) et les innovations scientifiques et technologiques chinoises. Il montre les impacts qu’a eus la culture chinoise sur l’Occident, dans le domaine de l’architecture, de l’art, des sciences et technologies et de la vie quotidienne40. D’autres historiens s’intéressent également aux relations entre la Chine et l’Occident autour du XVIIIe siècle41.
Les missionnaires occidentaux, et en particulier les jésuites, apparaissent comme des sujets d’étude très pertinents pour une histoire mondiale des échanges culturels Orient/Occident. Étudiés jusqu’à présent essentiellement par des chercheurs occidentaux, ils font à présent l’objet de recherches de la part des historiens chinois : Zhesheng Ouyang, de l’université de Pékin, étudie « l’expérience de Pékin » des jésuites français au XVIIIe siècle. Les jésuites occupaient un statut avantageux par rapport aux autres occidentaux à Pékin, étant donné leur nombre, le rôle important qu’ils jouaient et l’importance de leurs écrits. Beaucoup d’entre eux étaient des scientifiques et des artistes en plus d’être des théologiens. Ils sont devenus le symbole de l’échange culturel sino-français. Leurs écrits sur la Chine, essentiellement sous forme de lettres et de mémoires, peuvent être selon cet historien divisés en trois groupes : 1) leurs observations de la ville de Pékin, des scènes de rue ; 2) leur vie à Pékin ; leurs relations avec la dynastie Qing, avec les habitants, leurs activités missionnaires, scientifiques et artistiques ; 3) leur évaluation des capacités chinoises politiques, économiques, culturelles, technologiques, militaires et leur comparaison entre Chine et Occident. Ces œuvres ont eu un profond impact sur le monde intellectuel français et la société occidentale en général. Les jésuites sont sûrement, estime-t-il, pour quelque chose dans le courant des « chinoiseries » dans l’Europe du XVIIIe siècle. Les livres monumentaux du jésuite Du Halde sont la principale source par laquelle les Occidentaux ont imaginé la Chine, ils ont exercé un impact sur les Lumières. L’image de la Chine qu’ont développée les Européens est très redevable aux jésuites42.
La littérature est aussi une source importante pour le world historian, et son étude sous l’angle historique est particulièrement fructueuse lorsqu’elle est transculturelle (c’est-à-dire lorsqu’un chercheur d’une aire culturelle étudie une œuvre d’une autre aire culturelle). Ainsi, Xiangyang Ye, de la Beijing Foreign Studies University, étudie l’image de la Chine en Occident aux XVIIIe-XIXe siècles, et en particulier à travers les œuvres de la femme de lettres française Judith Gauthier (1845-1917). Son père, l’écrivain Théophile Gauthier, ayant recueilli un lettré chinois, Ding Dunling, réfugié politique en France, celui-ci a appris à Judith la langue chinoise et l’a initiée à la littérature chinoise. À vingt-deux ans, elle publie Le Livre de Jade, une collection d’anciens poèmes chinois, ce qui lui assure grand succès auprès des lettrés de l’époque. Puis en 1869 elle publie Le Dragon impérial, roman à thème chinois. À cette époque et depuis le XVIIIe siècle, les œuvres littéraires à thème chinois connaissent une grande vogue en Occident, c’est la mode des « chinoiseries ». Xiangyang Ye étudie l’image de la Chine reflétée dans les œuvres littéraires occidentales publiées au tournant du XIXe-XXe siècles, en se centrant sur quatre pièces de Judith Gautier (1845-1917) avec des thèmes chinois : Le Ramir blanc (1880), La Tunique merveilleuse (1889), L’Avare chinois (1908), La Fille du ciel (1911). Le chercheur observe que ces pièces partagent les caractéristiques suivantes : distance par rapport à la réalité chinoise, non-respect pour les faits et la chronologie historique, passion romantique et exotisme. La Chine sous la plume de Judith Gautier est un pays merveilleux ; on peut y voir un retour à la sinophilie des Lumières43. Il est intéressant que ces œuvres d’une romancière française soient étudiées par un chercheur chinois, jusque là de telles œuvres avaient été uniquement étudiées par des chercheurs occidentaux, le fait qu’elles soient étudiées par un chercheur chinois permet de décentrer la perspective.
Outre les œuvres littéraires, ce sont aussi les carnets de voyage et les journaux intimes qui peuvent servir de source au world historian. Jinghe Liang, de la Capital Normal University de Pékin, étudie « la vie européenne et américaine vue par les Chinois du début de la modernité ». Dès avant les années 1870, des étudiants chinois ainsi que des ambassadeurs chinois sont allés à l’étranger ; quel regard ont-ils porté sur la vie en Europe et en Amérique ? Ils ont noté leurs remarques dans des journaux intimes et notes de voyage, matériaux précieux pour l’historien. Ces matériaux peuvent apparaître comme des « encyclopédies de l’Occident », ils concernent la démocratie, la production industrielle, le développement agricole, la géographie, le commerce, l’éducation, la culture, la vie sociale. Ils décrivent les habitudes alimentaires et vestimentaires… Jinghe Liang observe que les Chinois avaient un intérêt particulier pour la vie quotidienne en Occident, qui exerçait un grand attrait sur eux. Cet intérêt a permis de faire naître des échanges et un dialogue entre les deux cultures44.
Une autre source très intéressante est la presse, et en particulier la presse transculturelle, c’est-à-dire publiée dans une autre langue que le pays où elle paraît45 ou bien publiée par des étrangers au pays où elle paraît. Daichun Yang de la Hunan University (Chine) étudie l’introduction et la diffusion de la philosophie occidentale par le Wan Kwoh Kung Pao à la fin de la dynastie Qing46. Ce mensuel paru en Chine de 1868 à 1907 a été fondé et édité par le missionnaire américain méthodiste Young John Allen. Il traitait aussi bien des questions politiques concernant l’Occident que des vertus du christianisme. Il a eu un lectorat important en Chine. Il est intéressant d’étudier de tels journaux qui ont fait le lien entre culture occidentale et culture chinoise.
Si plusieurs chercheurs chinois s’attachent à mettre en valeur la spécificité de la civilisation chinoise et même, parfois, à établir sa primauté, sa précocité sur celle de l’Occident, certains soulignent au contraire les points communs entre culture chinoise et occidentale. Ainsi, Hong Yin, de la Huanan Normal University, s’intéresse à la médecine traditionnelle et, de manière novatrice, rapproche la médecine traditionnelle occidentale de la médecine traditionnelle chinoise, il montre qu’« il y a beaucoup de similarités entre la médecine occidentale traditionnelle et la médecine chinoise traditionnelle » ; « le fossé entre la médecine occidentale et la médecine chinoise est apparu il y a seulement un siècle », observe-t-il47.
Les associations transnationales sont un autre objet d’étude particulièrement pertinent pour l’histoire mondiale. Étudier l’action de telles institutions sur le sol chinois est une démarche novatrice. C’est ce que fait Furong Zuo, de la Beijing Union University : il étudie les relations entre le YWCA chinois et les YWCA d’Europe et d’Amérique. Le YWCA, organisation religieuse féminine, est né en 1855 à Londres et s’est diffusé en Europe puis en Amérique, s’étendant sur plus de 100 pays. Il a été introduit en Chine à la fin du XIXe siècle. Les secrétaires occidentaux de cette association ont influencé le YWCA chinois, introduisant des idées comme le management démocratique. Sous la conduite du YWCA chinois, des femmes ont pris part activement aux affaires internationales et se sont émancipées. À travers son étude du YWCA chinois, Furong Zuo montre que les relations entre le YWCA chinois et ceux d’Europe et d’Amérique reflètent à la fois la collision et la fusion entre les deux cultures48.
Les études d’histoire mondiale peuvent aussi porter sur des objets transnationaux comme les maladies. C’est ce qu’a fait dès 1976 l’historien américain William McNeill (un des principaux précurseurs de l’histoire mondiale), avec son livre Plagues and Peoples, puis en 1989 Alfred Crosby avec son étude sur la grippe espagnole de 1918, America’s Forgotten Pandemic: The Influenza of 191849. Des chercheurs chinois se placent aujourd’hui dans la lignée de ces travaux : ainsi, Shian Li, de l’université Renmin à Pékin, étudie la flamblée de l’épidémie de choléra indienne dans le monde au XIXe siècle. Cette épidémie a été diffusée dans le monde par les Occidentaux, essentiellement les Britanniques de 1817 à 1846. L’armée britannique a joué un rôle comme disséminateur. Le choléra s’est diffusé de l’Inde vers le Népal et l’Afghanistan, en Chine, en Europe de l’Est, de l’Ouest, et en Grande-Bretagne, puis en Amérique. Pour Shian Li, la Chine a été forcée de commencer son processus de modernisation juste après la diffusion du choléra sur son territoire dans les années 1820 et non pas après la guerre de l’opium en 1840 comme on le considère traditionnellement. Il estime aussi qu’en Occident également cette épidémie a eu des conséquences sur les politiques sociales : la diffusion du choléra y aurait entraîné le développement d’idées réformistes, la volonté d’instaurer des structures sanitaires ; en Grande-Bretagne le « comité de la santé » a été instauré par le Parlement en 1842. Presque en même temps les États-Unis ont établi le système national de santé et notamment l’eau courante, les égouts50. Cette analyse qui lie diffusion transnationale d’une maladie et évolution des politiques sociales est novatrice et intéressante.
Les études sur la mémoire d’une guerre, ou plus généralement sur les relations entre histoire et mémoire, ont été développées depuis plusieurs années en Occident, on peut citer par exemple les travaux d’Elise Julien sur la mémoire de la Première Guerre mondiale en France et en Allemagne51 et les réflexions de Jean-Louis Robert sur le thème « mémoire et société »52. Récemment, plusieurs chercheurs chinois se sont mis à travailler sur la mémoire de la Seconde Guerre mondiale dans différents pays. La Seconde Guerre mondiale est un épisode particulièrement important pour la Chine, ayant commencé dès 1937 par l’invasion japonaise. Ainsi, Zhanjun Liang de la Capital Normal University de Pékin étudie la mémoire nationale de la Seconde Guerre mondiale en Chine. Cette victoire est aussi la première victoire de la Chine sur des agressions étrangères dans les temps modernes. Mais, au lendemain de la guerre, comme il l’observe, la commémoration de la victoire a été vite tempérée par le début de la guerre civile (1945-1949). Après la fondation de la RPC en 1949, le gouvernement chinois a prêté peu d’attention à la commémoration de la victoire de la Seconde Guerre mondiale, du fait de la division désormais patente entre communistes et nationalistes (alors que les deux camps étaient unis durant la Seconde Guerre mondiale) et du début de la guerre froide. Une commémoration officielle a eu lieu seulement avec les réformes et l’ouverture de la Chine sous Deng Xiaoping. En 1985, le gouvernement chinois a organisé la première commémoration à grande échelle de la victoire de 1945. Par la suite, le gouvernement a organisé de grandes commémorations à chaque anniversaire de 10 ans, en 1985, 1995 et 200553. La mémoire de la Seconde Guerre mondiale en RPC semble ainsi avoir été, durant la période maoïste, en quelque sorte « refoulée », un peu comme celle de la période de Vichy et de la guerre d’Algérie en France54, et ce quand bien même il s’agissait d’une victoire de grande ampleur, ayant permis à la Chine d’obtenir un siège de membre permanent au conseil de sécurité des Nations unies.
Dans le sillage de l’étude de l’historien singapourien Wang Gungwu sur les migrations55 et de l’ouvrage magistral de l’historien africaniste américain Patrick Manning The African Diaspora56, plusieurs historiens chinois s’intéressent aux diasporas, notamment celles qui ont été effectuées dans l’aire chinoise57. Ils lient cette étude des diasporas avec celle des religions. Ainsi Jinhong Zhang, de l’université normale du Fujian en Chine s’intéresse à la province du Fujian dans le sud-est de la Chine. Cette province tient une place majeure dans l’histoire de la diaspora chinoise. Ses habitants avaient une tradition d’aller travailler outre-mer du fait d’une forte population et du manque de terres arables ; depuis le temps des grandes explorations, les missions protestantes et les ordres catholiques se sont rendus en Asie maritime, ainsi s’est formé un christianisme multinational en Asie. Jinhong Zhang montre que cette population a développé de ce fait une culture métissée58.
C’est, de manière novatrice, à la diaspora juive en Chine que s’intéresse Guang Pan, de la Shanghai Academy of Social Sciences. Il étudie les quatre vagues d’immigration juive en Chine. C’est pendant la dynastie Tang autour du XIIIe siècle que les premiers groupes de juifs sont arrivés en Chine par la route de la soie. D’autres ont pu venir par voie maritime. Ce n’est pas avant la dynastie Song (960-1279) que la communauté juive Kaifeng s’est formée. Plus tard, des juifs sépharades sont arrivés en Chine suite à la guerre de l’opium en 1840-41, beaucoup d’entre eux étaient marchands et hommes d’affaires faisant affaires avec les Britanniques. Ils ont révélé leurs talents commerciaux, ils ont développé des activités d’import-export florissantes. Avant 1940, les juifs sépharades, juifs russes et juifs réfugiés de l’Europe nazie étaient plus de 40 000 en Chine, formant la plus grande communauté juive en Extrême-Orient59. Cette étude de la diaspora juive en Chine sur un temps long ouvre des perspectives de réflexion stimulante et permet d’éclairer d’un jour nouveau l’histoire de l’implication de la Chine dans la Seconde Guerre mondiale contre le nazisme.
Les « passeurs » de civilisation, personnes qui ont été au contact de deux cultures et ont contribué à l’influence d’une culture sur une autre, sont des sujets privilégiés d’étude pour le world historian. Plusieurs historiens occidentaux ont étudié le rôle de ces passeurs, par exemple entre la société coloniale et ses colonies60. Récemment, des historiens chinois se sont intéressés à ces passeurs entre Chine et Occident, aussi bien des Chinois étant allés en Occident que des Occidentaux s’étant implantés en Chine.
C’est à l’archéologue chinois Li Ji (1896-1979), que s’intéresse Chunmei Yang, de la Qufu Normal University. Li Ji a étudié aux États-Unis de 1918 à 1923 avec l’aide du gouvernement chinois. Il a étudié l’anthropologie à Harvard, puis est retourné en Chine où il a entrepris des fouilles archéologiques. Ses travaux d’archéologue sont influencés par les méthodes anthropologiques, il utilise la méthode comparative, dépassant le cadre strictement national. Pour lui, la Chine est un espace ouvert qui a été ouvert aux influences de différentes civilisations. Il refuse l’idée que la culture chinoise trouve son origine en Occident61. Li Ji est considéré comme le père de l’archéologie chinoise moderne62. Il est intéressant de cerner l’ambivalence de la position de Li Ji, à la fois influencé par la culture et les méthodes occidentales, et soucieux d’affirmer la spécificité de la culture chinoise.
C’est surtout à des « passeurs » occidentaux que s’intéressent les historiens chinois, et le regard d’historiens chinois sur ces personnages occidentaux est complémentaire de celui que peuvent porter sur eux des historiens occidentaux. Minlu Zhang, de la Capital Normal University de Pékin, étudie les relations sino-anglaises au XIXe siècle et en particulier le rôle du diplomate britannique Thomas F. Wade, qui a vécu en Chine de la guerre de l’opium jusqu’en 1882. Linguiste et sinologue, Wade s’est beaucoup consacré à la compréhension interculturelle par le biais de ses échanges avec la société chinoise63. Il a créé en 1859 un système de romanisation pour la transcription de la prononciation chinoise. Après son retour en Angleterre en 1883, il a fait don de plus de 4 000 volumes de littérature chinoise à la bibliothèque de l’université de Cambridge (où il avait été étudiant), enrichissant ainsi sa collection orientale64. Ce personnage a donc beaucoup contribué à la connaissance de la Chine par les intellectuels britanniques.
Yanli Gao, de l’université de Pékin, s’intéresse quant à lui à l’Américain Walter Henry Judd (1898-1994), qui a joué un rôle important dans les relations sino-américaines : guidé par de fortes convictions religieuses et par ce qu’il considérait comme l’appel de Jésus, il a quitté les États-Unis pour la Chine en 1925. Il a travaillé comme médecin missionnaire en Chine du sud de 1925 à 1931 et dans le nord de la chine de 1934 à 1938, puis est retourné aux États-Unis en 1938 à cause de l’invasion de la Chine par le Japon. Entre 1938 et 1940 il a parcouru les États-Unis, faisant quelque 1 400 discours dans 46 États d’Amérique sur la crise en Asie orientale. Il a exprimé un désaccord en particulier sur les expéditions américaines de matières premières au Japon, et a appelé à un programme d’aide économique et en armes vers la Chine. Il a appelé les États-Unis à soutenir la Chine contre l’agression japonaise. Il aurait aussi prédit le conflit entre le Japon et les États-Unis plusieurs années avant Pearl Harbor. Après l’attaque de Pearl Harbour, beaucoup d’Américains qui avaient entendu ses discours ont considéré Judd comme un prophète. Cela lui a apporté des soutiens dans sa tentative d’être élu au Congrès. Soutenu par les républicains libéraux et les indépendants, il se présente dans le Minnesota en 1942. Il est élu comme républicain en 1943 pour 9 mandats successifs. Il a été considéré comme le premier et un des meilleurs « China Hand » au Congrès. La notion américaine de « China Hand » est intéressante : elle désigne des diplomates, journalistes, militaires ou intellectuels américains qui ont, autour des années 1940, promu la cause de la Chine aux États-Unis ; un autre « China Hand » de renom est l’historien américain John Fairbank, professeur à Harvard et l’un des créateurs du domaine des « Area Studies », études sur des aires culturelles spécifiques et notamment sur l’aire chinoise ; après la victoire des communistes en Chine en 1949, les « China Hand » ont souvent été suspectés de communisme et inquiétés dans le cadre du maccarthysme. Judd, pendant 17 de ses 20 ans passés au Congrès, a été membre du comité des affaires étrangères de la Chambre des représentants ; ce poste lui a permis de jouer un rôle significatif en encourageant le Congrès à prêter plus attention aux questions extrêmes-orientales et à la Chine. Ferme soutien de Tchiang Kaï-chek et de son gouvernement nationaliste exilé à Taiwan, il a pressé le gouvernement américain d’adopter une politique de containment envers la RPC65. Le fait que des historiens chinois de RPC s’intéressent aujourd’hui, en toute impartialité, à ce personnage qui était un anti-communiste convaincu et qui soutenait le régime de Taïwan, révèle l’ouverture actuelle et la plus grande liberté de recherche régnant dans la communauté scientifique chinoise, et complète utilement, par un regard décentré, les études faites sur ce personnage par des chercheurs occidentaux ou établis dans des institutions occidentales66. L’étude des « China Hand » permet de mieux saisir les relations diplomatiques américano-chinoises au XXe siècle et est une contribution importante à l’étude des réseaux et des circulations culturelles transnationales.
Weiwei Zhang, de la Nankai University de Tianjin (Chine), étudie l’enseignement de l’histoire mondiale en Chine. Ce chercheur a enseigné durant trente ans l’histoire mondiale à l’université de Nankai, selon une approche se voulant « non-centrique et holistique »67. Il fait une critique de la structure centre-périphérie, héritée de chercheurs d’inspiration marxiste comme Andre Gunder Frank, Immanuel Wallerstein, Samir Amin68. L’histoire chinoise ne doit pas se limiter, dit-il, à une histoire de la Chine dans ses limites frontalières. Malheureusement l’histoire chinoise a été comprise et interprétée dans une perspective soit sinocentrique soit eurocentrique/occidentalocentrique, aussi bien par les Chinois que par les historiens étrangers. La Chine a été considérée comme centre ou comme périphérie dans la structure centre/périphérie de l’histoire globale. L’auteur pense que la place de la Chine a été marginalisée avec la structure centre/périphérie, et qu’il faut réévaluer sa place dans l’histoire globale. Il estime que dans le cadre de l’histoire mondiale/globale, il y aurait un préjugé de supériorité des Occidentaux, et un sentiment d’infériorité des historiens chinois, influencés par l’occidentalocentrisme69. Ainsi, de manière apparemment étonnante, la volonté de cet historien de revaloriser la place de la Chine l’amène à contester un schéma mis en place par des historiens inspirés par le marxisme, doctrine pourtant toujours en vigueur en Chine.
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1. Mais comment délimiter les chercheurs des pays en développement (PED) ? Doit-on prendre en compte des chercheurs issus de PED mais établis dans des institutions occidentales (américaines, britanniques par exemple) ? On a choisi de se limiter aux chercheurs des PED installés dans des institutions des PED. Par PED, on a considéré l’Amérique latine, l’Afrique, le Moyen Orient (en excluant Israël) et l’Asie (incluant la Turquie mais pas le Japon ni Singapour).
2. Il s’agit de Kaushik Roy de Calcutta.
3. Du numéro de mars 2007 (vol. 18, n°1) au numéro de mars 2011 (vol. 22, n°1).
4. Celui d’Ilker Aytürk, de Bilkent University à Ankara en Turquie.
5. Il s’agit d’un ouvrage de l’Indien Amiya Kumar Bagchi : Perilous Passage. Mankind and the Global Ascendancy of Capital, Rowman & Littlefield Publishers, 2005.
6. Le développement qui suit est tiré de : Chloé Maurel, « Faire de l’histoire mondiale/globale en Chine à l’heure de la mondialisation », Revue Tiers Monde, n°216, octobre-décembre 2013, p. 19-44.
7. Ce passage doit beaucoup à l’article de Ralph Croizier, « World History in the People’s Republic of China », Journal of World History 1 (1990), p. 151-169. Cf. aussi Chen Qinan (dir.), Jianguo Shilai de Shije Shi Yanjiu [World History Studies since the Founding of the People’s Republic of China], Beijing, Archives of Social Sciences, 1991.
8. Cf. Dorothea A. L. Martin, The Making of a Sino-Marxist World View: Perceptions and Interpretations of World History in the People’s Republic of China, New York, M. E. Sharpe, 1990.
9. Shijie jindai shi jianghua (Talks on modern world history), Beijing, Basic Reading Materials on Philosophy and Social Sciences Series, 1974.
10. Shijie jindai shi (Modern world history), 2 vol., Shanghai, Shanghai Normal University, 1973-74.
11. Par exemple, Shanggudai shi (World history of high antiquity), Shijie zhonggudai shi (World history of middle antiquity), Shijie jindui shi (Modern world history), et Shijie xiandai shi (World contemporary history), Jilin, Jilin Literary and History Publishing House, 1981-85.
12. Ricardo K.S. Mak, article cité. Ainsi ces historiens chinois attribuent la prospérité et la domination de l’Angleterre sur le monde jusqu’à la fin du XIXe siècle à son avance technologique. Mais K.S. Mak montre que, curieusement, ce raisonnement ne souscrit pas à la théorie marxiste base/superstructure : ainsi, ces world historians chinois attribuent l’essor de la civilisation industrielle moderne en Europe à des courants intellectuels comme la Renaissance, la Réforme, la révolution scientifique. Référence des deux ouvrages d’histoire mondiale cités : Li Chunwu, Shou Juyu, Jianmin Shije Tongshi, Beijing, Beijing Renmin Publishing Co., 1981, et collectif, Shijie Shi, projet commun entrepris par douze universités chinoises, Beijing, Beijing Renmin Publishing Co., 1983.
13. Cf. Ralph Croizier, article cité.
14. Shijie shanggu shi gang (An outline history of world history of high antiquity), 2 vol., Beijing, People’s Publishing House, 1979.
15. Li Chunwu, « Shijie tongshi, zhongguo qupai » (Comprehensive world history, Chinese style), in Shijie yanjiu dongtai (Developments in world history research), juillet 1984, p. 15-17.
16. Qiao Mingshun, Shijie jindai shi (Modern world history), Beijing, Central Television University, 1985, préface.
17. Geoffrey Barraclough, Main Trends in History, New York, Holmes & Meier, 1978.
18. Liu Xincheng, « The Global View of History in China », article en ligne sur : www.global-history.org/wp-content/…/Liu.doc
19. Cette sous-partie doit beaucoup à Xu, Luo, « Reconstructing World History in the People’s Republic of China since the 1980s », Journal of World History, vol. 18, n°3, septembre 2007, p. 325-350 ; cf. aussi du même auteur : « The Rise of World History Studies in Twentieth-Century China », History Compass, vol. 8, n°8, août 2010, p. 780-789. Et Ricardo K.S. Mak, « The Idea of Modernity in World History Studies in Contemporary China », in Yaowei Zhu, Eva Kit-Wah Man, Contemporary Asian Modernities: Transnationality, Interculturality, and Hybridity, Bruxelles, Peter Lang, 2010, p. 87-106.
20. Zhou Yiliang et Wu Yujin (dir.), Shijie tongshi [World History], vol. 1-4, Beijing, Renmin Chubanshe, 1962.
21. Cf. Leif Littrup, « World History with Chinese Characteristics », Culture and History 5 (1989), p. 39-64.
22. Ex : Wu Yujin and Qi Shirong (dir.), Shijie shi [World History], vol. 1-6, Beijing, Gaodeng jiaoyu chubanshe, 1994 ; Ma Shili (dir.), Shijie shigang [The Outline of World History], vol. 1-2, Shanghai, Shanghai renmin chubanshe (dir.), 1999 ; Qi Tao (dir.), Shijie tongshi jiaocheng [A Course in World History], vol. 1-3, Jinan, Shandong daxue chubanshe, 2001 ; Wang Side (dir.), Shijie tongshi [A History of the World], vol. 1-3, Shanghai, Huadong shifan daxue chubanshe, 2001.
23. Janet L. Abu-Lughod, Before European Hegemony: The World System A.D. 1250-1350, New York, Oxford University Press, 1989 ; Andre Gunder Frank et Barry K. Gills (dir.), The World System: Five Hundred Years or Five Thousand?, New York, Routledge, 1993.
24. Wu and Qi, Shijie shi [World History], 1994.
25. Ex : Qi, Shijie tongshi jiaocheng [A Course in World History] et Wang, Shijie tongshi [A History of the World].
26. Les traductions en chinois des livres de Roy Bin Wong China Transformed: Historical Change and the Limits of European Experience (1997), Andre Gunder Frank, ReOrient: Global Economy in the Asian Age (1998), et Kenneth Pomeranz, The Great Divergence: China, Europe, and the Making of the Modern World Economy (2000) ont été publiées en Chine respectivement en 1998, 2000, et 2003.
27. 20e WHA conférence, Pékin 2011: Zhe MIAO, « Centaurs in Confucian Robes: Some Foreign motifs in Han tomb reliefs ».
28. 20e WHA conférence, Pékin 2011 : Xiaobo FENG, « Hand-axe: The Messanger of the Western and Eastern Cultural Communications ».
29. 20e WHA conférence, Pékin 2011 : Hua YI, « China in the Ancient World System: The Transformation in East Asian Neolithic-Bronze Age ».
30. 20e WHA conférence, Pékin 2011 : Jianye HAN, « “Painted Pottery Road” and Early Sino-Western Cultural Exchange ».
31. Karl Jaspers, Origine et sens de l’histoire, Paris, Plon, 1954.
32. 20e WHA conférence, Pékin 2011 : Xiaoji WEI, « Interaction and Identity: the Formation of Ethnic Identity in Classical China and Greece ».
33. 20e WHA conférence, Pékin 2011 : Dandan Li, « The Tang Dynasty’s Interaction with and Knowledge of the Arab Regions ».
34. 20e WHA conférence, Pékin 2011 : Yaping Wang, « Political Conflicts and Religious Cultural Integration: On the Relationship Between Christianity and Islam in the Middle Ages ».
35. 20e WHA conférence, Pékin 2011 : Cheng SHI, « Trade between Quanzhou and Indian Ocean and the Spread of Religions in Quanzhou ».
36. Romain Bertrand, L’Histoire à parts égales. Récits d’une rencontre Orient-Occident (XVIe-XVIIe siècles), Paris, Seuil, 2011 ; État colonial, noblesse et nationalisme à Java : la Tradition parfaite (XVIIe-XXe siècles), Paris, Karthala, 2005.
37. 20e WHA conférence, Pékin 2011 : Mei JIANG, « Foreign Barbarians as Recorded by Chinese Envoys Abroad and the Problem of “Chinese v. Barbarians” During the Song Dynasty ». Yuqin LAI, « Other Image: Western Missionaries in the Ming and Qing Dynasties in both Chinese and Foreign Annals ».
38. 20e WHA conférence, Pékin 2011 : Yaochun LIU, « The Exchange of Material Culture between West and East: the Oriental Elements of the Italian Renaissance ».
39. Asian world history Congress, 27-30 avril 2012 : Weiwei ZHANG, « The Silk-road and the Columbian Exchange: Global Exchange Networks of Asia in a Noncentric and Holistic Perspective ».
40. 20e WHA conférence, Pékin 2011 : Jingjun YANG, « A Study of the Influence of “the East Doctrine to the West” during the Ming and Qing Dynasties ».
41. 20e WHA conférence, Pékin 2011 : Xiaohua CHEN, « The Interactive Relationship between China and the West in the 18th Century: Academic Exchange and Inheritance - A Case Study of Handed-Down Documents ».
42. 20e WHA conférence, Pékin 2011 : Zhesheng OUYANG, « The “Beijing Experience” of 18th Century French Jesuits ».
43. 20e WHA conférence, Pékin 2011 : Xiangyang YE, « Dramatic China: Centering on Judith Gautier’s Dramas with Chinese themes ».
44. 20e WHA conférence, Pékin 2011 : Jinghe LIANG, « European and American Life as Seen by the Early Modern Chinese: A Case Study of Going Global Series ».
45. Cette presse en langue étrangère a été étudiée pour le cas de la France par Diana Cooper-Richet. Cf. Diana Cooper-Richet, « Des objets de recherche à l’épreuve des frontières et des temporalités : l’histoire des mineurs de charbon et des imprimés en langues étrangères », in Essais d’histoire globale, Chloé Maurel (dir.), Paris, L’Harmattan, 2013, p. 45-60.
46. 20e WHA conférence, Pékin 2011: Daichun YANG, « The Introduction and Diffusion of Western Philosophy by Wan Kwoh Kung Pao during the Late Qing Dynasty ».
47. 20e WHA conférence, Pékin 2011: Hong YIN, « Analysing the Development of the Regimen of Medicine in Early Modern England ».
48. 20e WHA conférence, Pékin 2011 : Furong ZUO, « The Relations Between the Modern Chinese YWCA and those in Europe and America ».
49. William McNeill Plagues and Peoples, New York, Doubleday, 1976; Alfred Crosby America’s Forgotten Pandemic: The Influenza of 1918, Cambridge, Cambridge University Press, 1989-1990.
50. 20e WHA conférence, Pékin 2011 : Shian LI, « The Outbreak of Indian Endemic Cholera in the World ».
51. Élise Julien, Paris, Berlin : la mémoire de la Première Guerre mondiale (1914-1933), Rennes, PUR, 2010.
52. Jean-Louis Robert a animé un séminaire sur ce thème en 2000 au Centre d’histoire sociale du XXe siècle à Paris.
53. 20e WHA conférence, Pékin 2011 : Zhanjun LIANG, « National Memory of World War II in China ».
54. Raphaëlle Branche, La guerre d’Algérie, une histoire apaisée ?, Paris, Points Seuil Histoire, 2005 ; Éric Rousso, Henry Rousso, Vichy, un passé qui ne passe pas, Paris, Fayard, 1994.
55. Wang Gungwu, Global History and Migrations, Boulder, Westview Press, 1996.
56. Patrick Manning, The African Diaspora: A History through Culture, Columbia University Press, 2010.
57. La diaspora chinoise a été étudiée en France notamment par Pierre Gentelle, Chine et « diaspora », Paris, Ellipses, 2000.
58. Asian world history Congress, 27-30 avril 2012 : Jinhong ZHANG, « Fukien and the Maritime Asian History: An Approach of Missology ».
59. 20e WHA conférence, Pékin 2011 : Guang PAN, « Four Waves of Jewish Immigration to China in History ».
60. Ex : Claude Liauzu, Colonisations, migrations, racismes : histoires d’un passeur de civilisation, Paris, Syllepse, 2009.
61. 20e WHA conférence, Pékin 2011 : Chunmei YANG, « Clasical China and the World in the Eyes of an Archaeologist: Liji’s World View and Synthetical-Comparative Methods ».
62. Cf. Clayton D. Brown : Li Ji: Father of Chinese Archaeology. In: Orientations, vol. 39, n° 3, avril 2008, p. 61-66 ; « Li Chi » in Encyclopædia Britannica, 2010. Encyclopædia Britannica Online, 13 septembre 2010 <http://www.britannica.com/EBchecked/topic/338559/Li-Chi>
63. 20e WHA conférence, Pékin 2011 : Minlu ZHANG, « T. F. Wade and Sino-Anglo Relations in the 19th Century ».
64. Sur ce personnage, cf. Cooley, James C., Jr. T.F. Wade in China: Pioneer in Global Diplomacy 1842-1882, Leiden, E. J. Brill, 1981.
65. 20e WHA conférence, Pékin 2011 : Yanli GAO, « An American’s Observations on China in the Early 20th Century ».
66. Cf. Edwards, Lee, Missionary for Freedom: The Life and Times of Walter Judd, New York, Paragon House, 1990 ; Yanli Gao, « Judd’s China: a missionary congressman and US-China policy », Journal of Modern Chinese History, vol. 2, n°2, décembre 2008, p. 197-219.
67. Asian world history Congress, 27-30 avril 2012, Weiwei ZHANG, « World History Teaching in China: Past, Present and Future ».
68. Cf. Georges Saunier, « Quelques réflexions sur le concept de Centre et Périphérie », Hypothèses, n°1, 1999, p. 175-180.
69. 20e WHA conférence, Pékin 2011: Weiwei ZHANG, « Critique of Center-Periphery Structure: China in Global History from a Noncentric and Holistic Perspective ».