Aujourd’hui, en Chine, l’histoire globale (« quanqiu shiguan ») est un concept très répandu : cette expression suscite plus de 2 millions d’occurrences sur le moteur de recherche chinois Baidu, et tout récemment l’importante revue China Social Sciences Today a publié un article sur l’histoire globale1. Le grand nombre et la diversité des thèmes d’histoire mondiale/globale abordés par des chercheurs chinois dans des colloques internationaux attestent de l’engouement de ce courant en Chine.
Mais ce concept, comme l’observe l’historien chinois Liu Xincheng, donne lieu à des réactions contrastées dans la communauté historienne chinoise : d’une part, beaucoup de chercheurs chinois adhèrent à cette notion, sont enthousiastes, vantant l’avancée épistémologique qu’une telle approche permet, considérant même pour certains que c’est un des progrès épistémologiques les plus importants depuis la Seconde Guerre mondiale2 ; mais d’autre part, plusieurs historiens chinois sont méfiants, réticents ; la réticence, analysée par Sun Yue, de la communauté historienne chinoise envers la Big History (courant englobant l’ensemble de l’histoire de la planète Terre) l’illustre3 ; l’ouvrage China: A Macro History (1988, traduit en chinois en 1993), de l’historien chinois établi aux États-Unis Ray Huang4, a reçu beaucoup de commentaires critiques, et celui de l’Américain David Christian, Map of Time: An Introduction to Big History publié en 2007, a été reçu froidement en Chine.
Pourquoi cette réticence de beaucoup d’historiens chinois envers l’histoire globale ? Certains, comparant l’histoire globale avec la doctrine du matérialisme historique de Marx, reprochent à l’histoire globale de ne pas constituer un récit aussi uniforme, cohérent que cette dernière ; d’autres s’inquiètent d’un possible « discours néocolonialiste » caché derrière l’histoire globale, à l’instar de la théorie de la modernisation en vogue en Occident à partir des années 1950 ; d’autres encore qualifient d’utopique la tentative des global historians d’adopter une approche anti-eurocentrique, de se libérer du tropisme nationaliste et d’écrire une histoire accessible aux habitants du monde entier. Ainsi, l’histoire mondiale/globale suscite en Chine une véritable « controverse académique »5. Mais celle-ci, loin d’affaiblir le développement de ce courant en Chine, le renforce au contraire, donnant lieu à des débats passionnés et à un intense foisonnement de publications. Ainsi, alors que jusqu’à présent les œuvres majeures en histoire globale sont provenues d’Occident et plus particulièrement des États-Unis (McNeill, Gran, Gunder Frank, Manning…), peut-être que les prochains ouvrages-clés sur l’histoire globale nous viendront de Chine ?
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1. Li Qiang, « Global History: A Representative of Those Reflecting on Occident-Centrism », China Social Sciences Today, 9 juin 2011, p. 9.
2. Liu Xincheng, article cité.
3. Asian world history Congress, 27-30 avril 2012 : Yue SUN, « Why Is Big History Neglected in China? ».
4. Ray Huang a obtenu un doctorat de l’université du Michigan, et a travaillé avec l’historien des sciences britannique Joseph Needam, contribuant à son imposant ouvrage Science et civilisation en Chine (projet lancé en 1948 et publié à partir de 1954). Ray Huang a ensuite enseigné l’histoire chinoise aux États-Unis et a travaillé dans ce domaine avec le sinologue américain John Fairbank.
5. Liu Xincheng, article cité.