L’intensité spirituelle des icônes, la diversité des portraits des XVIIIe et XIXe siècles, la puissance d’évocation des paysages, scènes de la vie paysanne et peintures historiques des Ambulants, le raffinement des artistes du monde de l’art, l’audace expérimentale du XXe siècle… Pour qui n’est pas familier de la peinture russe, sa richesse se révélera une surprise, mieux, une découverte fascinante.
La décision de Pierre le Grand de construire une capitale qui fût « une fenêtre sur l’Europe » eut une portée considérable sur le destin de la peinture russe. Tout d’abord, le tsar lui-même attira en Russie des architectes, artisans et artistes venus des quatre coins d’Europe, tant pour dessiner et décorer les édifices de Saint-Pétersbourg que pour apporter aux Russes le savoir-faire nécessaire à la vaste entreprise de modernisation du pays. Dans la même ligne, il finança les études à l’étranger d’artistes russes et conçut le projet d’intégrer une section artistique à l’Académie des sciences nouvellement créée.
Ce projet ne trouva son aboutissement qu’après sa mort, dans la fondation, en 1757, de l’Académie impériale des beaux-arts, qui ouvrit ses portes six ans plus tard. Pendant plus d’un siècle, l’Académie exerça une influence majeure sur l’art russe. On lui adjoignit ensuite une école préparatoire, où les artistes en herbe étaient envoyés entre six et dix ans. Les études pouvaient durer quinze ans.
Très hiérarchisée, l’Académie comportait une échelle de titres allant de l’ « artiste sans grade » à l’académicien, au professeur et au membre du Conseil. Et, jusqu’au dernier quart du XIXe siècle, la doctrine classique y régna sans partage. Pour contraignant, voire frustrant que son enseignement fût parfois pour ses élèves, l’Académie avait en tout cas pour mérite d’offrir une formation solide et complète aux jeunes qui faisaient montre de quelque talent.
À l’origine, l’Académie comptait une majorité de professeurs étrangers, principalement français et italiens. C’est la raison pour laquelle, du milieu du XVIIIe siècle au milieu du XIXe siècle, la peinture russe doit beaucoup aux courants qui, d’abord en vogue dans d’autres régions d’Europe, atteignaient ensuite, avec un léger retard, la Russie.
Étant donné la distance entre Saint-Pétersbourg et les capitales d’Europe occidentale, ce décalage n’est pas surprenant. Pourtant, les peintres russes disposaient de nombreuses occasions de se familiariser avec l’art russe et étranger, à la fois grâce à la circulation de reproductions (la plupart du temps sous la forme de gravures et de lithographies) et aux achats d’œuvres d’art par la classe dirigeante.
Catherine la Grande, elle-même, ne se contenta pas de fonder l’Académie (ce qui impliquait l’offre de bourses de voyage aux diplômés), elle acheta également des chefs-d’œuvre de l’art français, italien et hollandais pour l’Ermitage. À la Révolution française, ses agents en particulier – et les visiteurs russes à Paris en général – réalisèrent d’excellentes affaires lorsque les châteaux furent pillés et leur contenu mis en vente.
En 1863 – l’année du premier Salon des Refusés à Paris – quatorze étudiants de premier plan (treize peintres et un sculpteur) quittèrent l’Académie impériale des beaux-arts de Saint-Pétersbourg pour protester contre ses positions conservatrices et la rigidité de son règlement. Leur premier geste fut de monter une coopérative d’artistes, mais le besoin se fit vite sentir d’avoir association plus large et mieux structurée : ce sera, quelques années plus tard, la Société des expositions artistiques ambulantes.
L’association fut officiellement créée en novembre 1870 et la première exposition eut lieu en novembre 1871 (la dernière date de 1923). Les fers de lance du mouvement étaient Ivan Kramskoï – (1837-1887) portraitiste, peintre d’histoire et de genre, ce dernier enseigne à l’école de dessin de la Société d’encouragement des artistes de Saint-Pétersbourg avant de recevoir le grade d’académicien en 1869 –, Vassili Perov – (1834-1882) peintre de portrait, d’histoire et de genre, de 1871 à 1873, il enseigne la peinture à l’École de peinture de sculpture et d’architecture de Moscou –, Grigori Miassoïedov – (1834-1911) peintre de portrait, d’histoire et de genre, il séjourne en Allemagne, en Italie, en Espagne et en France après avoir fait ses études à l’Académie des beaux-arts de Saint-Pétersbourg et compte parmi les membres de la direction de la Société des expositions artistiques ambulantes – ; enfin Nicolas Gay – (1831-1894) peintre de sujets religieux, de tableaux d’histoire, de portraits et de paysages, sculpteur et graveur – écrit également des articles sur l’art.
À la base de leur initiative, se trouve la volonté de rendre l’art accessible à un plus vaste public. D’où l’idée – peut-être inspirée par les narodniki, les populistes qui parcouraient alors la Russie pour propager leurs idées de réforme sociale et politique – d’organiser de ville en ville des expositions itinérantes. Le nom de la société vient de là. D’abord étudiant à la faculté de physique et de mathématiques de Saint-Pétersbourg, il rejoint l’Académie des beaux-arts où il enseigne à partir de 1863.
Comme les impressionnistes en France (qui tinrent leur première exposition en 1874), les peredvizhniki – « ambulants » ou « itinérants » en russe – accueillirent, avec le temps, une quantité d’artistes aux styles et aux préoccupations de plus en plus divers. Mais à l’origine, au moins, la Société présentait une certaine homogénéité dans ses objectifs idéologiques.
Contemporains des écrits sociaux de Herzen, Tchernychevski, Tourgueniev, Dostoïevski et Tolstoï, la majorité des Ambulants s’intéressèrent à la condition du peuple et stigmatisèrent les inégalités, criantes à l’époque, de la société russe. Les plus radicaux d’entre eux développèrent ensuite ce qui fut connu sous le nom de « Réalisme critique ».