Parfois Serov s’approchait tout près de ce groupe des peintres moscovites que l’on désigne sons le nom de « Jeunes Peredvizhniki ». Tout en maintenant les traditions de la peinture réaliste des années 1870-1880, ces artistes, chacun à sa manière, introduisaient dans leurs créations des éléments nouveaux : tantôt, comme Nikolaï Kassatkine et Sergueï Korovine, en empruntant leurs sujets et leurs héros à la vie contemporaine, tantôt en perfectionnant leurs moyens picturaux. Sergueï Ivanov, lui, arrivait à une grande expressivité de ses travaux par un rigoureux laconisme de la composition, par la sûreté du dessin, par de subtiles graduations chromatiques. Quant à Abram Arkhipov, il savait fondre dans une seule image poétique et pour ainsi dire, contemplative, la peinture de genre avec le paysage ; l’anecdote, le conflit ou même tout élément dramatique sont absents de ses scènes champêtres ; elles sont pleines de la discrète beauté des choses communes de la vie de tous les jours, entrevue par l’artiste, là où personne avant lui ne s’était avisé de la chercher. Cette dernière qualité plaisait à Serov d’une façon particulière.

 

Les liens qui attachaient Serov à d’autres courants de la peinture russe de ces années étaient de nature différente. Les élèves de Répine à l’Académie des beaux-arts de Saint-Pétersbourg, et parmi eux Boris Koustodiev et Filipp Maliavine en premier lieu, ont, vers 1900, pratiqué à l’instar de leur maître, une manière de peindre librement, une touche large et énergique, anticipant par là des tendances décoratives dans la peinture du début du XXe siècle. Le Serov des années 1890-1900 adhère à ce courant et en propose sa propre variante qui peut servir d’étalon.

 

À partir de la fin des années 1890, lorsque se forma à Saint-Pétersbourg le groupe du Mir Iskousstva, il noua des liens d’amitié avec ses représentants et, sous peu, commença à jouir auprès d’eux d’une autorité incontestable. Ce qui les réunissait tous, c’étaient le désir de créer un style, l’amour des grandes formes, une maestria impeccable, la volonté d’assimiler les plus importantes conquêtes de la culture artistique.

 

Dans l’art de Serov, la fusion du traditionnel et du nouveau est exceptionnellement organique. C’est pourquoi Serov était cher aux gardiens des traditions de la peinture russe encore toute récente et aux novateurs : les premiers l’appréciaient surtout pour ses portraits dont le profond réalisme rappelait ceux de Répine, les seconds pour ses recherches ininterrompues de l’inexploré. Pour opposés que soient les côtés de son œuvre, on ne peut parler d’éclectisme. Ce qui rendait le talent et l’art de Serov multiples, c’est qu’il se trouvait au point où se croisaient des courants différents, et que, dans une période complexe de transition, il ne voulait rien oublier et cherchait à utiliser tout l’héritage laissé par ses aînés, à le ranimer en lui donnant une nouvelle interprétation.

 

Le fait que l’art de Serov était « adressé à tous », le fit chef d’une école, le gardien fidèle des intérêts du vrai art, un artiste qui sans rompre définitivement avec le passé découvrait le nouveau, et, par là même, facilitait la besogne aux autres. C’est là qu’il faut chercher le secret du rôle joué par Serov en tant que chef de l’école moscovite.