Mais bientôt le travail en commun prit fin : Répine comprit que tout ce qu’il pouvait donner au jeune Valentin Serov, il le lui avait donné, et il décida de l’envoyer à l’Académie des beaux-arts de Saint-Pétersbourg chez Pavel Tchistiakov.

 

La même année 1880, Serov commençait ses études à l’Académie des beaux-arts. Alors, débutait pour lui une vie riche en événements : ses cours à l’Académie, le travail en commun dans un atelier loué avec Vroubel et Derviz, ses amis de la classe de Tchistiakov ; le soir, d’interminables discussions sur l’art menées dans la famille de sa tante Adelaïda Simonovitch, avec les filles de laquelle l’artiste maintint une longue amitié. Tchistiakov était un intelligent systématicien, un excellent maître qui savait très bien interpréter les lois de la forme tant dans la peinture que dans le dessin. Il cherchait à communiquer à ses élèves la science des lois de la transformation d’un monde à trois dimensions en un phénomène artistique transposé sur une surface plane. C’est Tchistiakov qui apprit à Serov à être d’une sévère exigence – sévère et pleine d’amour à la fois – quant à la maîtrise professionnelle, quant aux questions de la forme et de la perfection artistique.

 

Serov ne faisait que travailler, toujours travailler. Il peignait et dessinait des modèles nus, ses connaissances, la nature, tout ce qui l’entourait. Il n’épargnait pas ses forces pour perfectionner son dessin, joignant le rigoureux système constructif de Tchistiakov au caractère pictural du dessin de Répine. Son Autoportrait de 1885 est une tentative de créer une image en utilisant tout ce qu’on peut tirer d’expressif de la ligne et du trait. Le contour à peine marqué de la figure, le vide du fond blanc et de profondes hachures autour de la tête font concentrer tout l’intérêt sur le visage du portraituré. Le monde intérieur du jeune Serov et aussi l’idée qu’il se fait d’un artiste, de ce qu’est l’œuvre d’art, nous sont révélés par son regard, un regard qu’il serait difficile de définir et où l’on lit une grande sévérité à l’égard de lui-même, un profond recueillement, une réserve et un isolement, et avant tout une force intellectuelle peu commune et une maturité morale quelque peu précoce.

 

L’Académie, avec son esprit officiel et bureaucratique, restait foncièrement étrangère à Serov : seule sa foi en Tchistiakov l’y retenait. Serov se comportait d’une façon parfaitement indépendante à l’égard du système de l’enseignement établi. En 1885 il écrivait dans une lettre à sa fiancée : « Suis-je heureux de pouvoir faire fi des médailles ! Tu ne peux pas t’imaginer à quel point sont pernicieux tous ces subterfuges, toute cette chasse aux médailles. Je peux travailler comme moi je l’entends, et ne me confie qu’à Répine ou à Tchistiakov ».

 

Son œuvre atteint sa maturité au début des années 1880. Son succès si précoce est presque sans précédent dans l’histoire de l’art. Les tableaux Jeune Fille aux pêches et Jeune Fille éclairée par le soleil, qui le rendirent célèbre, furent peints alors qu’il était à peine âgé d’une vingtaine d’années. Il se remémorait toujours ces tableaux avec une affection particulière, et disait, d’après ce qu’en dit Igor Grabar, que dans toutes ses œuvres, ces travaux de jeunesse demeuraient inégalés. Cette évaluation personnelle peut être considérée comme exagérée, mais il faut bien reconnaître que les jeunes filles peintes par Serov ont en elles quelque chose de particulier, qui plus tard aura disparu dans les œuvres du peintre. Pendant cette courte période insouciante et gaie, il travailla principalement sur des sujets positifs. Plus tard, il continua à rechercher cette allégresse et s’efforça de la peindre.