L’autre asile du peintre depuis ses jeunes années, était Domotkanovo (gouvernement de Tver), propriété de Vladimir Derviz, ami de Serov du temps de ses études à l’Académie, marié à une de ses cousines, Nadejda Simonovitch. Serov y passa des jours heureux, goûtant la paisible vie de campagne, humant les âpres odeurs de l’automne et admirant sa grisaille monotone. Les impressions de joie emportées par Valentin Serov d’Abramtsevo et de Domotkanovo furent pour beaucoup à la source de ses plus importantes œuvres de jeunesse.

 

Un seul et même sentiment pénètre presque toutes les œuvres de Serov à partir de ses études peintes dans les années 1880 et en finissant par ses trois chefs-d’œuvre que sont la Jeune Fille aux pêches, la Jeune Fille éclairée par le soleil et l’Étang envahi par les herbes, toiles peintes à Domotkanovo à la même époque. On dirait que Serov plonge dans la beauté réelle du monde, et alors ses couleurs se pénètrent d’air et de lumière, s’éclairent par le soleil, resplendissent et respirent la joie. Serov contemple cette beauté avec tranquillité, s’en délecte. Il met beaucoup de temps à peindre chaque tableau. Ses modèles posent durant de longues heures, ce qui ne l’empêche pourtant pas de porter jusqu’au spectateur la toute première impression.

 

Pour la Jeune Fille aux pêches, toile peinte à Abramtsevo, a posé Vera Mamontova, la fille du mécène, et pour la Jeune Fille éclairée par le soleil, toile peinte à Domotkanovo, une cousine du peintre, Maria Simonovitch. Les deux modèles se ressemblent, mais cela plutôt à cause de Serov lui-même qui a voulu voir dans chacune, la beauté de la jeunesse. En peignant ces deux tableaux, l’artiste ne se posait pour but qu’une douce expressivité « contemplative » ; il ne cherche pas à faire venir à celui qui regarde ses portraits l’idée des contradictions et des difficultés de la vie. « Rien que du réjouissant ». Et c’est justement ce qui distingue Serov de ses récents prédécesseurs, de ses maîtres. En effet, si l’on prend le portrait de Modeste Moussorgski par Répine peint six ans avant la Jeune Fille aux pêches, il est aussi plein de lumière, mais la peinture n’y est qu’un moyen pour reproduire avec le maximum de véracité l’image et l’état du compositeur tel qu’il était dans les derniers jours de sa maladie mortelle. On dirait que, derrière un seul instant de la vie d’un être humain saisi par le peintre il se dresse tout un second plan : c’est le monde des problèmes insolubles, un monde qui ne promet à l’homme que souffrances et mort. Alors que chez Serov, la lumière, l’air, la joie, la jeunesse sont des choses belles en soi, dans lesquelles se trouve le but final de tout acte créateur. C’est là qu’il faut chercher avant tout ce qu’il y avait de nouveau dans l’attitude prise par Serov.

 

Un tout autre motif est choisi pour la Jeune Fille éclairée par le soleil. Le modèle s’y trouve dans l’état d’un complet repos et ne semble pas avoir l’intention de le rompre. Là tout est silence, inaction, une parfaite fusion du personnage et du soleil, de l’air, de la nature environnante. Si dans la Jeune Fille aux pêches le peintre met le mouvement en équilibre par différents procédés de composition, dans l’autre tableau on voit juste l’inverse : l’artiste trouve la solution du thème dans l’harmonieux contraste du premier plan où se trouve le personnage figé et du second plan qui fait l’effet d’une « trouée » en profondeur. Ce procédé inverse amène au même fini du tableau et contribue à son intégrité.