Dans les deux cas l’artiste, pour ainsi dire, a raison de l’ « étude » et, quoiqu’il peigne d’après nature, il a toujours devant ses yeux l’image finale du tableau. C’est en cela qu’il diffère de Korovine, son indéfectible ami de tout temps. C’est là aussi que se trouvent les capacités en puissance de ses futurs changements. C’est bien dans ces deux tableaux que se font voir tous les signes de l’engouement pour l’Impressionnisme. Serov ne traite pas l’entourage uniquement comme fond, comme quelque chose servant d’accessoire au thème principal. Chaque morceau de la matière entré dans la sphère de son attention, chaque parcelle de la toile couverte d’une couche de couleur l’intéressent. Chaque surface d’un objet reçoit les reflets des objets se trouvant dans son voisinage, absorbe les rayons du soleil. Tout est bâti sur de savantes graduations : les nuances des couleurs se mesurent par des variations à peine perceptibles, les contours des personnages et des objets commencent à se déplacer. En même temps, Serov découvre la beauté des couleurs comme telles : magnifique est le rose tendre de la blouse de la fillette dans son contraste avec le nœud noir, profond est le bleu de la jupe de la Jeune Fille éclairée par le soleil, gardant toute sa pureté comme si le soleil ne pouvait exercer sur lui aucune influence ou bien le décomposer. Mais chaque couleur pure se trouve comme « confirmée » par des mélanges de couleurs, « trouve des échos » dans différentes parties du tableau, ce qui contribue à l’unité picturale de l’œuvre.

 

En parlant de l’ « Impressionnisme » de Serov, il ne faut pas oublier les particularités qui le distinguent de l’Impressionnisme français. Chose curieuse, mais à l’époque Serov connaissait mal les impressionnistes français. Celui des peintres français qu’il appréciait le plus, c’était Jules Bastien-Lepage dont le système pictural était loin d’être strictement impressionniste. Mais toute la logique du développement de l’art russe, l’intérêt des peintres pour le plein air, l’expérience tirée de l’étude de la nature, tout cela concourait à amener Serov à la peinture impressionniste.

 

Les succès de Répine, de Polenov, de Sourikov, remportés en peignant la nature, entrouvraient devant les jeunes maîtres de vastes horizons. Cependant Serov, dans sa Jeune Fille aux pêches et sa Jeune Fille éclairée par le soleil, ne fait pas que de se contenter des conquêtes de ses aînés ; il fait un pas décisif vers un nouveau système, s’avérant par là un des fondateurs de l’Impressionnisme russe de la première période. Cet Impressionnisme qui avait un caractère modeste, réservé, comportait un certain manque de méthode. Ainsi, dans les tableaux de Serov de cette époque, on peut voir une différence essentielle entre la peinture des visages et celle du paysage et de l’intérieur. La Jeune Fille aux pêches peut y servir d’exemple : la tête de Vera Mamontova est peinte avec des touches de couleur fines et délicates et les limites des taches de couleur y sont celles de la forme de l’objet, alors que dans la peinture de la blouse et du nœud elles ne coïncident pas. Ensuite, Serov utilise souvent des surfaces de couleur pure et, en particulier, le noir qui, comme on le sait, était banni de la palette des impressionnistes français. Mais c’est l’intérêt pour la vie intérieure du modèle qui reste peut-être le trait principal, cet intérêt qui, malgré les nouvelles tâches qui s’imposent devant les artistes, continue à être vivant et maintenu en tant que haute tradition du réalisme russe des années 1870-1880.