Le même principe est utilisé dans le Portrait de Constantin Korovine. La toile frappe par sa peinture exécutée avec un tempérament fougueux, ainsi que par la façon franche dont est caractérisé le personnage. Quand on regarde ce portrait, on devine aussitôt qu’on a devant soi un peintre, et cela non pas uniquement parce qu’il y a derrière le modèle des études accrochées au mur et sur la table une boîte à couleurs entrouverte. Toute la conception picturale nous en convainc : la pose de Korovine, celle d’un homme habitué à peindre et non pas à poser ; le regard scrutateur, professionnel des yeux qui savent « saisir » ; le négligé de la tenue ; enfin la peinture elle-même qui, imbue d’un tempérament « à la Korovine », marie hardiment le fond gris du mur à la tache bleue du vêtement, au tissu rouge du divan et aux raies rouges et blanches du coussin. Tout nous y parle d’un peintre heureux de vivre et vivant dans une atmosphère d’activité créatrice. Tel en effet était Constantin Korovine, homme de grand talent, qui s’avançait dans la vie sans souci, avec aisance. Les portraits de Korovine et de Tamagno présentent deux caractères saillants, chacun unique dans son genre, dans lesquels, malgré toute leur différence, on devine le même type : celui d’un artiste créateur, d’un homme brillant, largement doué, de grand tempérament, et qui dépense sans compter, presque avec prodigalité, ses forces inépuisables. Dans leurs caractères, il y a ce charme qui est propre aux personnes fortes physiquement et saines mentalement. Dans ces portraits, se fait voir un des traits les plus caractéristiques de la méthode de Serov : savoir soumettre tous les moyens d’expression picturale dont dispose un peintre, à un seul but : exprimer l’idée principale de la façon la plus spectaculaire.
Serov ne peint jamais un caractère « en général ». Ce qui l’intéresse, c’est un certain aspect d’un caractère concret, l’aspect principal, celui qui révèle d’une manière pleine et éclatante au possible la valeur esthétique de la personne en question. Tous les éléments plastiques d’un portrait – pose, geste, composition, coloris, la technique picturale elle-même – Serov les considère et les utilise comme moyens de révéler au maximum cette valeur esthétique. Dans ce sacrifice de tout à un seul but – rendre spectaculaire la valeur humaine et esthétique du modèle – se manifeste la maîtrise de Serov d’introduire dans ses portraits une acuité picturale, qualité qui, à la fin des années 1890 et au début des années 1900, atteint son plus haut degré. L’acuité, cette pierre angulaire de la méthode de Serov en tant que portraitiste, vient du fait que ses portraits recèlent toujours une importante idée, ont un thème et une tâche artistique qui définissent la manière dont sera traitée l’image humaine et le choix de moyens de la réaliser.