La valeur de deux autres portraits de la première moitié des années 1890, celui du peintre Lévitan (1893) et celui de l’écrivain Leskov (1894) se trouve moins dans l’acuité des caractéristiques que dans le psychologisme, c’est-à-dire dans la révélation de la vie intérieure des modèles. De prime abord, ce genre de portrait semble être plus traditionnel ; il se rallie au psychologisme de Répine. Mais le principe de l’acuité de Serov y est réalisé, là aussi. Ce n’est pas le caractère qui intéresse Serov, mais l’état où se trouve son modèle. Dans le portrait de Lévitan, c’est un recueillement, une profonde méditation. On dirait que Lévitan regarde le spectateur, mais il n’en est rien en réalité, car son regard passe outre. En l’occurrence, c’est le modèle qui impose au portraitiste le thème d’une concentration profonde, et ce dernier ne fait que le mettre en relief par des moyens chromatiques, des effets de lumière et à l’aide d’accessoires. Dans le portrait de Leskov, c’est le regard de l’écrivain qui attire l’attention du spectateur, un regard inquiet, aux aguets, le regard tragique d’un homme qui est au bout de la vie. En supprimant les détails, en couvrant toute la toile d’une peinture neutre, Serov concentre tout son intérêt sur le regard du personnage, il le met pour ainsi dire à nu ; dans ce portrait, seuls les yeux ont toute la liberté de s’exprimer. Ce même principe, Serov l’utilisera plus tard dans le portrait de Loukomskaïa fait à l’aquarelle.

 

Vers le milieu des années 1890, Serov devient un portraitiste connu, voire « à la mode ». Il a maintenant à faire des tableaux de commande, il peint les représentants de la haute société, les membres de la famille impériale. Mais les nouveaux personnages de Serov ne font pas son affaire, il ne trouve pas en eux de hautes qualités humaines ; ce qui l’intéresse maintenant c’est le côté pictural de la tâche et il élabore son propre style de portrait d’apparat. Parmi les meilleurs portraits de cette époque, doit être classé, sans aucun doute, celui du Portrait du grand-duc Pavel Alexandrovitch (1897) qui obtint la médaille d’honneur à l’Exposition Universelle de Paris en 1900.

 

C’est ainsi que Serov, après avoir souvent présenté des œuvres à des expositions étrangères et y avoir joui d’un grand succès, eut la consécration internationale de son talent. Dans les années 1890-1900, ses tableaux figurent aux expositions de Munich (Serov était membre de la Sécession de Munich), de Berlin, de Vienne, de Venise. Selon le mot du célèbre critique d’art Yakov Tugendhold, « confronté, à l’Exposition de Rome en 1911, avec les maîtres d’Occident contemporains, Serov a brillamment subi son examen ».

 

Le Portrait du grand-duc Pavel Alexandrovitch est un tableau à effet. La lumière du soleil qui éclaire le grand-duc se tenant près d’un cheval, devient un élément principal de cette toile, le visage princier n’exprimant pas de pensées profondes. Par contre, c’est le cheval qui est peint superbement, et combien la figure de l’homme et celle de la monture présentent, sur le plan de la composition, une solution magnifique, et leurs silhouettes un ensemble parfait. Les taches de couleur et les lignes forment un système décoratif et rythmique très savant. Et cependant il n’y a pas dans ce portrait d’abstraction formelle. Le talent de décorateur de Serov se fait voir d’une manière encore plus évidente dans les portraits de Sophia Botkina (1899) et de Zinaïda Youssoupova (1902). Ce sont de véritables portraits-tableaux. Ces dames du monde en tenue de gala se trouvent dans leurs salons. À côté de chacune, un petit chien, témoin d’une vie aussi lassante que monotone. Les silhouettes des tailles sanglées, les lignes courbes des canapés, les taches bigarrées des draperies et des robes, tout sert à estomper les modèles eux-mêmes qui n’intéressent presque pas l’artiste. Il est vrai que Serov ne cherche pas encore à « peindre des caractères », ou à faire des figures grotesques à souhait, ainsi qu’il en sera dans la dernière période de sa vie. L’artiste a, à l’égard de Botkine, une certaine compassion et pour Youssoupova une légère ironie. Mais, au fond, le sort de ces dames le laisse froid. Il n’y a pas que des portraits d’apparat dans l’héritage de Serov à la limite des deux siècles. Les vrais intérêts du maître se trouvaient, à l’époque, ailleurs ; ses recherches étaient multiples et variées.