Dans ce crépuscule croissant se dressent les granges, sur les toits desquelles la neige n’est pas tout à fait partie. Et quand l’obscurité vient, ne sont plus visibles que les silhouettes des poulains buvant aux ruisseaux. L’un d’eux, comme envoûté par l’appel impérieux du printemps, s’est détourné de l’eau et dresse sa tête vers le soleil couchant. Cette peinture de paysage est imprégnée d’émotions, ce qui distingue Poulains à un point deau des autres œuvres dites « paysannes » de Serov.

 

Dans ce travail, les nouvelles nuances de la peinture menèrent à l’éclosion de nouveaux moyens d’expressions artistiques. Le peintre donne à la silhouette et aux taches de couleur une nouvelle signification en utilisant le contraste de l’opposition des couleurs. La fine et délicate technique de pastels cadre parfaitement avec le sentiment de printemps qui confère un ton romantique au paysage entier. Serov affirma la beauté de la vie avec une intonation si forte, que l’on ne peut qu’admettre qu’il confronta sciemment son solennel et profond respect de la beauté de la vie aux copies naturalistes et fades de la nature.

 

Dans le milieu des années 1900, Serov revient de moins en moins souvent au paysage ; et cela se comprend. La campagne russe, naguère si chère à l’artiste, perdait de son actualité dans les années de l’explosion révolutionnaire et ne pouvait plus trouver écho auprès du public. Les nouvelles intonations qu’on peut relever déjà dans les Poulains sont encore plus accentuées dans la Baignade du cheval (1905), œuvre faite non pas dans la région de la Russie centrale, dont la nature répondait si bien aux tendances lyriques des paysages de Serov, mais au bord du golfe de Finlande, lieu où l’artiste passait souvent l’été. Horizon uni, mer immense, lignes parallèles des ondes déferlant sur la plage, rayons dardants du soleil éclairant le ciel, l’eau et les figures du garçon et du cheval qui se détachent nettement en silhouettes brunes sur le fond de la mer, tout concourt à produire une sensation d’énergie et de vigueur. Ce paysage tout imbu de vent frais est bâti sur de nouveaux principes du rythme qui tiennent plutôt à « rompre » l’espace qu’à le renfermer dans un cadre selon les lois de la composition.

 

Dans la seconde moitié des années 1900, le paysage, en tant que genre indépendant, occupe une place infime dans l’œuvre de Serov ; mais la façon de sentir la nature qui se dégage de la Baignade du cheval, on la retrouvera dans le paysage de fond de ses tableaux sur des sujets historiques ou antiques.

 

À cette époque les portraits de Serov acquièrent de nouveaux traits et prennent un caractère de plus en plus monumental. Sous ce rapport, il est intéressant de comparer les portraits dont il a déjà été question. Si dans les Enfants, le prompt regard du peintre se heurte contre la lente « déconcentration » des enfants, il en est autrement dans le Portrait de Mika Morozov ou dans les portraits lithographiés ; là, les portraiturés sont très actifs, ce qui exige un entourage et de l’espace, facteurs permettant au personnage représenté de produire l’impression de continuer l’action commencée, et quant au spectateur de la réaliser dans son imagination. Ainsi, le champ du tableau commence à comprendre un espace toujours plus grand. Maintenant le mouvement se fixe, s’arrête, là où il devient possible d’élever un phénomène particulier au niveau d’une formule générale, d’embrasser un événement tout entier et de lui contribuer un caractère monumental.