Le style exige une acuité de l’esprit, une conception artistique définie ; mais, par contre, il pourvoit l’artiste d’un étalon, d’une norme à suivre. L’idée même du style fait naître une tendance vers une image généralisée, ce qui est typique des recherches de Serov dans les années 1900 et cela coïncide avec le but principal du « moderne », car dans sa peinture, la réalité apparaît transformée, voire déformée. C’est une réalité « contrefaite ». Et le désir de Serov de voir dans la nature avant tout de la matière à faire une image sans chercher à la représenter sous sa forme adéquate, correspond parfaitement à la tendance générale du « moderne » en tant que style.

 

Plusieurs portraits de Serov de sa dernière période rentrent dans les cadres du nouveau style ; par ailleurs, il y a dans ces portraits, à la suite de celui d’Iermolova, quelque chose d’élevé, parfois d’héroïque. On peut rapporter à leur nombre le pastel représentant Constantin Stanislavski (1911), le Portrait de Polina Chtcherbatova (1911) resté inachevé, à l’état d’un dessin au fusain sur toile, et celui de Maria Akimova (1908).

 

Ce dernier rappelle par certains de ses traits formels ceux de Botkine et de Youssoupova. L’artiste le construit sur un principe décoratif et situe le modèle dans un entourage identique à celui que les peintres utilisaient largement dans les portraits d’apparat à la limite des deux siècles. Cependant, dans l’image même d’Akimova, il y a beaucoup plus de fond humain ; une vraie noblesse se fait voir dans sa tête magistralement modelée, dans toute sa figure, son port, dans le geste de ses mains.

 

Il serait non sans intérêt de suivre la façon dont Serov a travaillé sur un autre portrait, celui d’Henriette Hirschmann (1907), où le principe d’apparat occupe une place importante. La première variante du portrait a été d’abord faite à la gouache et ensuite au fusain. Au début, le portrait a été conçu presque dans les traditions des portraits d’apparat de Serov. Mais l’artiste ne se laisse pas entraîner par des effets picturaux. Avec des lignes laconiques, il trace les contours et néglige la richesse des accessoires. Le peintre veut trouver dans le nouveau modèle des traits de réserve, de confiance, de gravité, déjà représentés par lui dans une série d’images féminines de cette période. Mais bientôt Serov change toute la composition : il représente Hirschmann dans un boudoir où cette beauté mondaine est entourée d’une multitude d’objets de luxe. Avec une maestria brillante, Serov peint un intérieur raffiné plongé dans une tiède pénombre où se dégage en taches lumineuses le jaune des meubles en bouleau de Carélie, la surface miroitante de la glace, le scintillement des bibelots en verre et en métal. Cet « entourage » était typique pour Hirschmann et avantageux pour le peintre, car il lui permettait de donner une caractéristique précise du modèle, de souligner son individualité. Et cependant, Serov n’a pas réussi à ne montrer dans le portrait de Hirschmann qu’une seule idée. Le monde intérieur du modèle dont le peintre s’est fait témoin et qui est reflété dans la glace, recèle une dualité, a un caractère implicite. C’est là que se trouvaient en puissance les deux chemins à prendre : soit celui de la création d’images idéales, soit celui de portraits de caractère, presque grotesques, dont les magnifiques échantillons apparaissent durant la dernière période du maître.