Si dans le portrait d’Ida Rubinstein, Serov, tout en soulignant ce qu’il y avait en elle de caractéristique et non point d’idéal, avait beaucoup d’admiration pour son modèle, il n’en est pas de même avec une série d’autres portraits où il traite l’image d’une manière presque grotesque. Cette tendance atteint son apogée dans les toutes dernières années de la vie de l’artiste et, avant tout, dans le Portrait de la princesse Olga Orlova (1911). Ici, la composition et le coloris présentent une unité idéale d’ensemble et d’harmonie, ils sont parfaits du point de vue classique. La chaude profondeur du luxueux manteau d’une fourrure soyeuse qui descend des épaules d’Orlova, contraste avec sa robe aigue-marine aux reflets nacrés et met en relief la peau mate et veloutée de son cou et de ses mains soignées qui tordent machinalement un collier de perles. Serov, et cela sans jamais donner dans la reproduction naturaliste du monde des choses réelles, rend avec finesse les objets qui entourent Orlova : vase de Sèvres sur une console dorée, tableaux anciens. La solution de composition – sous le rapport de l’espace et du rythme – est trouvée par le peintre avec brio : la femme est assise dans un coin d’un grand salon, donc ce n’est pas un mur plat qui lui sert de fond mais bien un coin formant – tel le décor d’une pièce de théâtre – l’espace « scénique ». Tous les objets sont donnés d’une façon fragmentaire, ce qui permet de juger des dimensions et de la magnificence de la demeure princière. Mais cette fragmentation n’a rien à voir avec le caractère intentionnellement fortuit de la composition. Chacun des objets représentés fait partie inhérente des lois rythmiques de la composition et « vit » d’une vie pleine. Serov admire l’unité harmonieuse de la nature et du caractère d’Orlova, si parfaits et entiers dans leur genre. Son extérieur raffiné et soigné, sa « race », sa superbe négligence dans le port de choses qui coûtent cher, son caractère « stylisé », donnent une riche matière à Serov à exercer sa maestria. Mais il ne s’agit pas là – comme c’est souvent le cas avec les portraits d’apparat – simplement d’une belle dame du monde. La forte individualité du modèle a permis à l’artiste de créer tout un type social. L’œil implacable d’un réaliste et une main sûre, lui font trouver une formule artistique ; mais, pour apparaître, cette formule a besoin d’une silhouette nette de la figure, d’une pose typique et fixée, même dans ce qu’il y a en elle de fortuit ; en quelque sorte, on a un nouveau standard, pareil à celui qui était typique du portrait du XVIIIe siècle et qui impliquait la présence de formes traditionnelles établies. Serov a, pour ainsi dire, élaboré les bases du genre, son iconographie. Sous ce rapport le portrait d’Orlova est excessivement « iconographique » : la pose, trouvée après de longues comparaisons et d’innombrables changements, l’entourage, la composition bâtie sur l’harmonie des fragments constituants, la noblesse de la peinture, cela présente dans son ensemble tout un jeu de qualités indispensables pour un portrait d’apparat.
Dans les portraits de Serov de sa période tardive, le « style moderne », dans sa variante russe, se trouve à son apogée. On peut même dire qu’il s’est épuisé dans la perfection de Serov, ce qui, forcément, pose devant la peinture russe le problème de nouvelles voies et recherches. Pour ce qui est des portraits de Serov, leur évolution s’est produite d’une façon naturelle et suivie. Il en est autrement de ses œuvres à thèmes, dont il a été question lorsque nous avons parlé de sa période « paysanne ». Il ne s’agit pas seulement des changements se produisant à l’intérieur de chaque genre. Les tableaux de genre traitant des sujets tirés de la vie contemporaine se trouvent, à partir de 1900, peu à peu évincés par le genre historique vers lequel tournent bientôt tous les intérêts de Serov. Ce processus était favorisé par le fait que l’artiste s’était lié avec le groupe de Mir Iskousstva dont les membres cultivaient le genre historique, qui a pris chez eux un caractère particulier et nouveau.