Cette image grandiose de Pierre Ier trouve sa réalisation organique dans le tableau dont l’ordonnance vise principalement à rendre le caractère monumental du personnage. Pierre domine la nature et les gens, et cela est souligné par toute la composition : sa figure se dessine nettement sur un ciel sombre et gris. Autour de lui s’étendent les rives plates de la Néva, triste et nu pays du Nord, soumis à la volonté de cet homme génial.
Le tableau n’est pas de grandes dimensions, néanmoins la procession solennelle qui y est représentée produit l’impression de quelque chose de monumental. L’œuvre est bâtie sur un rythme bien net et sur un mouvement impétueux. Dans le tableau, se fait sentir cette tendance vers le « grand style » propre à plusieurs portraits de Serov des années 1900.
Or, l’une et l’autre qualité éloignent cette toile de Serov des tableaux historiques Mir Iskousstva : Serov avançait d’autres problèmes. Ses images sont à une autre échelle. Le principe de la corrélation de l’histoire et des faits du temps présent qui est déterminé par toute la conception philosophique de l’artiste, joue un rôle important dans cet éloignement. Serov n’éprouve pas de sentiments élégiaques à l’égard des époques révolues comme le font les membres de Mir Iskousstva. Selon lui, l’histoire se prolonge dans les temps présents, et il veut trouver les fils d’attache.
Et Serov s’intéresse sérieusement à la personne de Pierre le Grand. Dans les dernières années de sa vie, il a essayé plusieurs sujets ayant trait à Pierre Ier : La Coupe du Grand Aigle, Pierre Ier à Monplaisir, Pierre Ier sur le chantier. Aucun de ces tableaux n’a été achevé, mais l’intérêt pour la personnalité de Pierre est significatif. L’image synthétisée de l’empereur de toutes les Russies, si heureusement trouvée par Serov dans sa détrempe de 1907, il a voulu pour ainsi dire la « décomposer » en ses parties constituantes, en montrant Pierre Ier au cours de ses différentes activités. L’échec qu’il a essuyé est très significatif sur le plan de l’évolution de l’artiste : le temps exigeait des solutions toujours plus généralisées, alors que Serov a voulu concrétiser au possible l’image et le phénomène.
Dans les toutes dernières années de sa vie, Serov prend de plus en plus intérêt pour la mythologie antique et délaisse complètement l’histoire. Le genre imaginé par Serov pour donner une vie nouvelle aux sujets mythologiques ne saurait être défini comme historique dans le sens propre du mot. Historiques ont été les sujets antiques dans le classicisme du XVIIIe et du début du XIXe siècle : à l’époque, la mythologie était interprétée comme de l’histoire réelle. Quant à Serov, un sujet mythologique présentait pour lui deux caractères, conventionnels tous les deux : celui du mythe et celui de l’époque historique. Il est vrai que Serov cherchait en même temps à faire voir à travers ce caractère doublement conventionnel la vie réelle. L’Antiquité fut la dernière passion de l’artiste, et cela s’explique. C’est ce même caractère « doublement conventionnel » dont nous venons de parler qui a concouru à ses recherches stylistiques les plus systématiques et conséquentes. Il faut y ajouter encore la vive impression que Serov a remportée lors de son voyage en Grèce en 1907, fait en compagnie de Léon Bakst, son ami de l’association Mir Iskousstva.