La Grèce a frappé Serov par son harmonie, unique en son genre, de l’élevé, même du monumental, d’une part, avec le simple, avec ce qui vient de la vie ordinaire, de l’autre. Serov examinait attentivement le paysage grec, antique et contemporain à la fois, reconnaissait en telles jeunes filles les caryatides de l’Érechthéion, devinait en toute chose l’Antiquité ranimée. Il n’y a pas que l’ancien amour de Serov pour l’art grec qui l’a amené à la Grèce antique, mais aussi tout le développement logique de sa propre œuvre. Or, on sait que dans les années 1900, toutes les recherches de Serov menaient vers de grandes images généralisantes, chantant la beauté de la nature et de l’homme, elles tendaient à résoudre les tâches d’un art monumental, à créer un « classicisme » du XXe siècle. Il y avait trois sujets qui passionnaient Serov : Ulysse et Nausicaa, LEnlèvement dEurope et Les Métamorphoses dOvide. Il existe beaucoup d’esquisses et de variantes pour ces sujets qui ont occupé Serov les deux dernières années de sa vie.

 

Dans Ulysse et Nausicaa, les changements concernent avant tout le paysage, sa tonalité générale, les corrélations d’échelle du ciel, de la mer et de la terre. La partie centrale de la composition a été vite trouvée par l’artiste : sur le char, la figure élancée de Nausicaa ; devant, les mules attelées au char et secouant la tête d’un mouvement caractéristique ; derrière la princesse, sa suite s’avançant avec peine sur la plage sablonneuse ; et un peu plus loin, à l’écart, Ulysse.

 

Les critiques d’art ont remarqué de bonne heure que le motif d’une pareille procession et sa solution picturale apparaissent dans l’œuvre de Serov au milieu des années 1900 et, par l’intermédiaire de Pierre Ier (1907), viennent trouver leur dernière réalisation dans Ulysse et Nausicaa. La parenté de ces œuvres est incontestable, bien que l’interprétation de la procession d’abord dans l’esquisse pour les Funérailles de Nikolaï Baumann (1905), puis dans un sujet tiré de l’histoire russe et ensuite dans un sujet emprunté à LOdyssée, soit bien différente. Dans Ulysse, tout est pénétré d’un sentiment de sérénité et d’ensemble harmonieux. La nature et les personnages s’y trouvent dans une admirable fusion. Il se dégage de cette procession une sensation de joie et de solennité en même temps. La procession se déploie en longueur. La différence entre les variantes ne consiste que dans les intervalles séparant les figures. Ce qui y change considérablement, ce sont la gamme des couleurs, le format, l’échelle des proportions. Dans une des variantes, le ciel est haut, sa nuance argentée détermine toute l’ordonnance chromatique du tableau ; la mer est couverte de crêtes de lames blanches reluisantes au soleil ; les figures des gens et des animaux semblent renvoyer des reflets de soleil à travers la couleur grise des vêtements ; la svelte silhouette de Nausicaa rappelant par quelque chose d’insaisissable les korês archaïques, est pleine d’une véritable vie et d’une grâce virginale. Une autre variante tend, par sa forme, vers un panneau décoratif et semble être moins l’image réelle d’un paysage avec des figures qu’une esquisse de décor de théâtre. Ce qui est parfaitement naturel, vu les travaux de Serov dans le domaine du décor théâtral, parmi lesquels le rideau pour Schéhérazade dans les Ballets russes de Serge de Diaghilev lors de leur tournée à Paris est le plus remarquable.