Si Moïse était un Égyptien1…
׀114׀ Dans une contribution antérieure destinée à cette revueI, j’ai tenté de conforter par un nouvel argument l’hypothèse que l’homme Moïse, libérateur et législateur du peuple juif, n’était pas un Juif, mais un Égyptien. On avait noté depuis très longtemps que son nom venait du lexique égyptien, même si on n’avait pas pris ce fait en compte comme il aurait convenu ; j’ai ajouté pour ma part que l’interprétation du mythe de l’exposition lié à la personne de Moïse forçait à conclure que c’était un Égyptien dont les besoins d’un peuple avaient voulu faire un Juif. À la fin de mon essai je déclarais que l’hypothèse selon laquelle Moïse aurait été un Égyptien débouchait sur des conclusions importantes et de grande portée ; mais que je n’étais pas prêt à m’y ranger publiquement car ces conclusions ne reposaient que sur des probabilités psychologiques et ne disposaient pas d’une démonstration objective. Que plus cette façon de comprendre la question était importante, plus on ressentait fortement la recommandation de ne pas les exposer sans fondement sûr aux attaques critiques de l’environnement, telle une effigie de bronze dressée sur des pieds d’argile. Qu’aucune vraisemblance, si séduisante fût-elle, ne protégeait de l’erreur. Que même lorsque toutes les parties d’un problème semblent s’agencer aussi parfaitement que les pièces d’un jeu d’assemblage, il fallait se dire que le vraisemblable ׀115׀ n’était pas nécessairement le vrai et que la vérité n’était pas toujours vraisemblable. Et qu’enfin ce n’était pas une perspective séduisante de se voir rangé avec les scolastiques et les talmudistes, qui se satisfont de faire jouer leur subtilité, indifférents au niveau d’étrangeté qui peut être celui de leurs assertions face à la réalité.
Nonobstant cependant ces réserves, qui pèsent toujours autant aujourd’hui qu’à cette date, il a résulté du conflit entre mes motivations la décision de faire suivre cette première communication d’une poursuite de ma tentative. Mais une nouvelle fois : il ne s’agit pas là de la totalité, ni même de la partie la plus importante du tout.
Si donc Moïse était un Égyptien… Le premier bénéfice de cette hypothèse est une nouvelle question en forme d’énigme à laquelle il est difficile de répondre. Quand un peuple ou toute une tribuII se prépare à une grande entreprise, il faut s’attendre à voir émerger l’un des membres de ce peuple s’imposant lui-même comme son chef ou étant désigné tel par un vote. Mais il n’est pas facile de deviner ce qui pouvait bien inciter un Égyptien de haut rang – un prince peut-être, un prêtre, un haut fonctionnaire – à prendre la tête d’une bande d’étrangers immigrés, culturellement arriérés, et à quitter le pays avec eux. Le mépris bien connu de l’Égyptien pour tout peuple qui n’est pas le sien rend ce genre de démarche particulièrement invraisemblable. Je me dis même que c’est précisément pour cette raison qu’y compris certains historiens qui avaient identifié le nom comme égyptien et attribué à cette homme toute la sagesse de l’Égypte n’ont pas voulu faire place à la possibilité que Moïse fût un Égyptien.
À cette première difficulté s’en ajoute aussitôt une deuxième. N’oublions pas que Moïse ne fut pas seulement le chef politique des Juifs installés en Égypte, mais aussi leur législateur, leur éducateur et qu’il les a mis de force au service d’une nouvelle religion, qui tire encore son nom aujourd’hui du sien : la religion mosaïque. ׀116׀ Mais est-il si facile que cela pour un homme seul de créer une nouvelle religion ? Et lorsqu’on veut influencer la religion de quelqu’un d’autre, le plus naturel n’est-il pas de le convertir à sa propre religion ? Le peuple juif d’Égypte n’était certainement pas dépourvu d’une quelconque forme de religion, et si Moïse, qui lui en a donné une nouvelle, était un Égyptien, on ne saurait écarter l’hypothèse que cette autre religion, que cette religion nouvelle était la religion égyptienne.
À cette éventualité, quelque chose vient faire obstacle : le fait objectif de l’antagonisme le plus flagrant qui soit entre la religion juive qu’on fait remonter à Moïse et la religion égyptienne. La première est un monothéisme fabuleusement rigide : il n’y a qu’un Dieu, il est le seul Dieu, tout-puissant et inapprochable ; on ne supporte pas sa contemplation, on ne peut pas s’en faire une image, on ne peut même pas prononcer son nom. Dans la religion égyptienne, nous avons une horde quasi incalculable de divinités de dignité et origine diverses, quelques personnifications de grandes puissances naturelles telles que le ciel et la terre, le soleil et la lune, une fois même, une abstraction comme Maat (Vérité, Justice), ou encore une gargouille comme le gnome Bes, mais le plus souvent des divinités locales, datant de l’époque où le pays avait éclaté en un grand nombre de districts, de forme animale, comme si elles n’avaient pas encore dépassé leur première phase de développement au sortir de l’animalité des anciens totems, peu distinctes les unes des autres, c’est tout juste si étaient attribuées spécifiquement à certaines d’entre elles des fonctions particulières. Les hymnes en l’honneur de ces dieux disent à peu près la même chose de chacun, les assimilent sans scrupule d’une manière qui nous plongerait dans une confusion désespérante. Certains noms de dieux sont combinés entre eux de telle manière que l’un redescend pratiquement au rang d’épithète de l’autre. C’est ainsi qu’à l’apogée du « Nouveau Royaume », le dieu principal de la ville de Thèbes s’appelle Amon-Re, composition dans laquelle la première partie désigne le dieu de la ville à tête de bélier, tandis que Re est le nom d’On, du dieu solaire à tête d’épervier. Le culte rendu à ces dieux tout comme la vie quotidienne des Égyptiens étaient dominés par les pratiques magiques et cérémonielles, les formules incantatoires et les amulettes.
׀117׀ Un certain nombre de ces différenciations peuvent aisément se déduire de l’opposition principielle entre un monothéisme rigoureux et un polythéisme effréné. D’autres sont manifestement des conséquences de la différence de niveau intellectuel, dès lors que l’une des religions est encore très proche de phases primitives, tandis que l’autre s’est élevée jusqu’aux hauteurs d’une abstraction sublime. C’est sans doute à ces deux facteurs qu’il faut remonter quand on a parfois l’impression que l’opposition entre la religion mosaïque et la religion égyptienne est une opposition voulue et intentionnellement accentuée ; quand par exemple l’une d’elles condamne de la plus sévère façon toute espèce de magie et de sorcellerie, lesquelles prolifèrent à l’envi dans l’autre religion. Ou quand à l’insatiable plaisir pris par les Égyptiens à incorporer leurs dieux dans l’argile, la pierre ou le métal, auquel nos musées d’aujourd’hui doivent tant de choses, on oppose l’interdit brutal de figurer un quelconque être vivant ou pensé dans une représentation imagée. Mais il y a encore une autre opposition entre les deux religions, qui n’est pas touchée par les explications que nous tentons de donner. Aucun autre peuple de l’Antiquité n’a autant fait pour dénier la mort, ne s’est aussi pointilleusement soucié à l’avance de rendre possible une existence dans l’Au-delà, conformément à quoi le dieu des morts Osiris, le maître qui règne sur cet autre monde, fut le plus populaire et le plus incontesté de tous les dieux égyptiens. Tandis que la religion juive antique a complètement renoncé à l’immortalité. Nulle part et jamais n’y est évoquée la possibilité d’une continuation de l’existence après la mort. Et ceci est d’autant plus remarquable que des expériences ultérieures ont montré que la croyance en une existence dans l’Au-delà pouvait fort bien être rendue compatible avec une religion monothéiste.
Nous avions espéré que l’hypothèse que Moïse ait été un Égyptien s’avèrerait féconde et éclairante dans toute une série de directions diverses. Mais la première déduction que nous tirons de cette hypothèse, savoir, que la nouvelle religion qu’il a donnée aux Juifs était sa propre religion, n’a pas résisté à la constatation de la divergence, voire du caractère antagonique des deux religions.
׀118׀ Un fait remarquable de l’histoire de la religion égyptienne, qui n’a été identifié et pris en considération que tardivement, nous ouvre encore une perspective. Il reste possible que la religion donnée à son peuple juif par Moïse ait quand même été la sienne, ait été une religion égyptienne, même si ce n’était pas la religion égyptienne.
Durant la glorieuse 18e dynastie, à partir de laquelle l’Égypte devint un empire mondial, vers l’an 1375 avant J.-C., on vit monter sur le trône un jeune pharaon qui s’appelait d’abord Amenhotep comme son père, mais qui par la suite changea son nom, et pas uniquement son nom. Ce roi entreprit d’imposer à ses Égyptiens une nouvelle religion qui allait à l’encontre de leurs traditions millénaires et de toutes les habitudes familières de leur existence. Il s’agissait d’un monothéisme strict, la première tentative de ce genre dans l’histoire universelle, aussi loin que remonte notre savoir, et avec la croyance en un dieu unique était inévitablement engendrée l’intolérance religieuse que l’Antiquité, antérieurement – et longtemps encore ultérieurement –, n’avait pas connue. Mais le règne d’Amenhotep ne dura que dix-sept ans. Très peu de temps après sa mort, qui survient en 1358, cette nouvelle religion était déjà balayée, la mémoire du roi hérétique mise au ban. Le peu que nous savons de lui provient des ruines de la nouvelle résidence qu’il avait édifiée et consacrée à son dieu, et des inscriptions retrouvées dans les tombes creusées à même la roche qui faisaient partie de cet ensemble. Tout ce que nous pouvons apprendre sur cette personnalité étonnante, et même absolument unique, est digne du plus grand intérêtIII.
Toute nouveauté a nécessairement ses phases préparatoires et ses conditions préalables dans une phase antérieure. On peut remonter sur un bon bout de chemin et sans trop d’incertitudes la piste des origines du monothéisme égyptienIV. Depuis longtemps, dans l’école où étaient formés les prêtres du Temple du Soleil d’On (Heliopolis), on observait l’activité de tendances visant à développer ׀119׀ l’idée d’un dieu universel et à insister sur la dimension éthique de son être. Maat, la déesse de la vérité, de l’ordre et de la justice, était une fille du dieu soleil Re. Sous Amenhotep III déjà, père et prédécesseur du réformateur, la vénération du dieu soleil connut un nouvel essor, sans doute dans le cadre de l’hostilité à Amon de Thèbes, qui avait acquis la suprématie. On alla chercher une dénomination extrêmement ancienne du dieu soleil, Aton ou Atum, et c’est dans cette religion d’Aton que le jeune roi découvrit un mouvement qu’il n’avait nul besoin de susciter lui-même et auquel il peut se rallier.
La situation politique de l’Égypte avait commencé, vers cette époque, à influencer durablement la religion égyptienne. Avec les exploits guerriers du grand conquérant Thotmes III, l’Égypte était devenue une puissance mondiale, la Nubie au sud, la Palestine au nord, la Syrie et tout un pan de la Mésopotamie étaient venus grossir l’empire. Et cet impérialisme se refléta alors dans la religion sous la forme de l’universalisme et du monothéisme. Dès lors que la providence pharaonique embrassait désormais, outre l’Égypte, la Nubie et la Syrie, il fallait aussi que la divinité abandonne sa définition nationale circonscrite, et de même que le pharaon était le maître unique et sans limite du monde connu de l’Égyptien, il fallait bien que la nouvelle divinité des Égyptiens le devienne aussi. Il était naturel, par ailleurs, qu’avec l’élargissement des frontières du royaume l’Égypte devînt plus accessible aux influences étrangères. Un certain nombre des femmes royalesV étaient des princesses asiatiques et il se peut même que certaines incitations directes au monothéisme aient pénétré depuis la Syrie.
Amenhotep n’a jamais nié son ralliement au culte solaire d’On. Dans les deux hymnes en l’honneur d’Aton qui nous ont été conservés grâce aux inscriptions rupestres gravées dans les tombeaux et qu’il a vraisemblablement composés lui-même, ׀120׀ il fait l’éloge du soleil créateur et gardien de tout ce qui vit en et hors d’Égypte avec une ferveur qu’on ne retrouve que de nombreux siècles plus tard dans les psaumes en l’honneur du dieu juif Jahvé. Mais il ne s’est pas contenté de cette anticipation étonnante de nos connaissances scientifiques sur l’effet du rayonnement solaire. Il ne fait aucun doute qu’il franchit là un pas de plus, qu’il ne vénérait pas le soleil en tant qu’objet matériel mais comme symbole d’un être divin dont l’énergie se manifestait dans ses rayonsVI.
Mais nous ne rendons pas justice à ce roi en le considérant seulement comme le disciple et l’apôtre d’une religion d’Aton qui existait déjà avant lui. La portée de son activité a été beaucoup plus incisive. Il a aussi introduit quelque chose de nouveau, grâce à quoi seulement la doctrine du dieu universel a pu devenir monothéisme : le facteur d’exclusivité. Dans un de ses hymnes il est dit directement : « Ô toi l’unique dieu, auprès duquel il n’en est point d’autreVII. » Et nous n’oublions pas que pour prendre en considération la nouvelle doctrine, la connaissance de son seul contenu positif ne suffit pas. Son côté négatif est pratiquement tout aussi important, savoir, la connaissance de ce qu’elle rejette. Il serait par ailleurs erroné d’imaginer que la nouvelle religion ait vu le jour d’un seul coup, toute faite et tout équipée, telle Athéna jaillissant de la tête de Zeus. Tout indique au contraire qu’elle s’est progressivement renforcée tout au long du règne d’Amenhotep et a acquis une clarté, une rigueur logique, une dimension abrupte et une intolérance de plus en plus grandes. Il est vraisemblable que cette évolution s’est réalisée sous l’influence de l’opposition virulente qui s’est élevée contre la réforme royale parmi les prêtres d’Amon. ׀121׀ Dans la sixième année du règne d’Amenhotep l’hostilité avait tellement grandi que le roi modifia son appellation, dont le nom du dieu Amon, désormais vilipendé, était un composant. Au lieu d’Amenhotep, il s’appela dès lors AkhenatonVIII. Mais il ne fit pas que retirer de son nom celui du dieu détesté : il le raya aussi de toutes les inscriptions, y compris là où il figurait dans le nom de son père Amenhotep III. Peu après le changement de nom, Akhenaton quitta la ville de Thèbes, dominée par Amon, et se fit construire en aval une nouvelle résidence, qu’il appela Akhetaton (l’horizon d’Aton). Les ruines de ce site s’appellent aujourd’hui Tell el-AmarnaIX.
Le plus durement touché par la persécution royale était Amon, mais il n’était pas le seul. Partout dans le royaume les temples furent fermés, le service divin interdit, les biens des temples saisis. Le zèle du roi allait même si loin qu’il fit inspecter les anciens monuments pour y éliminer le mot « dieu » quand il était employé au plurielX. Il n’est pas étonnant que les mesures prises par Akhenaton aient produit au sein de la prêtrise opprimée et du peuple insatisfait un climat de désir de vengeance fanatique, qui put se déployer sans contrainte après la mort du roi. La religion d’Aton n’était pas devenue populaire, elle était vraisemblablement restée circonscrite à un cercle restreint autour de sa personne. La fin d’Akhenaton demeure pour nous nimbée d’obscurité. Il est question de quelques successeurs éphémères, fantomatiques, issus de sa famille. Son gendre Toutânkhaton fut déjà contraint de revenir à Thèbes et de remplacer dans son nom le dieu Aton par Amon. Après quoi il y eut une période d’anarchie, qui dura jusqu’à ce que le chef de guerre Haremhab parvienne en 1350 à rétablir l’ordre. ׀122׀ La glorieuse 18e dynastie était éteinte, et dans le même temps ses conquêtes en Nubie et en Asie avaient été perdues. Pendant toute cette période trouble de transition les anciennes religions d’Égypte avaient été réintroduites. La religion d’Aton était défaite, la résidence d’Akhenaton détruite et pillée, sa mémoire honnie comme celle d’un criminel.
C’est dans une intention bien précise que nous relevons maintenant un certain nombre de points du registre négatif de la religion d’Aton. Et pour commencer le fait qu’en étaient exclu tout ce qu’il peut y avoir de mythique, de magique et d’incantatoireXI.
Il en allait de même ensuite dans la façon de figurer le dieu soleil, non plus comme jadis par une petite pyramide et un faucon, mais – ce qu’à la limite on pourrait décrire comme sobre – par un disque d’où partent des rayons qui aboutissent dans les mains d’un homme. Malgré toute la joyeuse exubérance artistique de la période d’Amarna, on n’a pas trouvé d’autre figuration du dieu soleil, d’image personnelle d’Aton, et on peut avancer en confiance qu’on n’en trouvera pasXII.
Silence complet, enfin, sur le dieu de la mort Osiris et sur le royaume des morts. Ni les hymnes, ni les inscriptions funéraires n’évoquent ce qui tenait peut-être le plus à cœur aux Égyptiens. La contradiction avec la religion populaire ne peut être rendue perceptible de plus nette façonXIII.
׀123׀ Nous voudrions risquer maintenant le syllogisme suivant : si Moïse était un Égyptien et s’il a transmis aux Juifs sa propre religion, cette religion est celle d’Akhenaton, la religion d’Aton.
Nous avons, dans ce qui précède, comparé la religion juive et la religion populaire égyptienne et constaté leur antagonisme. Nous devons maintenant procéder à une comparaison entre la religion juive et la religion d’Aton, dans l’espoir de mettre en évidence l’identité originelle de l’une et de l’autre. Nous savons que nous nous attelons ici à une tâche qui n’est guère facile. De la religion d’Aton, du fait de la rage vengeresse des prêtres d’Amon, nous savons peut-être trop peu de choses. Nous ne connaissons la religion mosaïque que dans sa configuration finale, telle qu’elle a été fixée huit cents ans plus tard environ par le clergé juif dans la période postérieure à l’exil. Si donc, malgré cette disposition peu favorable du matériau, nous devions trouver certains indices isolés favorables à notre hypothèse, nous pourrons leur accorder une valeur insigne.
Il y aurait un accès rapide à la démonstration de notre thèse, selon laquelle la religion mosaïque n’est pas seulement autre chose que celle d’Aton : si l’on disposait d’une profession de foi, d’une proclamation. Mais je crains que l’on nous dise que cet accès n’est pas praticable. La profession de foi juive dit, comme on sait : Schema Jisroel Adonaï Elohenu Adonaï Echod. Si le nom de l’Aton égyptien (ou Atum) ne consonne pas seulement par hasard avec le mot hébreu Adonaï et avec le nom divin syrien Adonis, mais du fait d’une communauté sémantique et linguistique archaïque, on pourrait alors traduire comme suit cette formule juive : écoute Israël, notre dieu Aton (Adonaï) est un dieu unique. Je suis malheureusement totalement incompétent et ne peux répondre à cette question, et je n’ai par ailleurs trouvé que peu de choses là-dessus dans la littératureXIV, mais il faut vraisemblablement éviter d’aller trop vite en besogne. ׀124׀ Nous aurons au demeurant à revenir une fois encore sur les problèmes de la dénomination du dieu.
Les ressemblances comme les divergences entre les deux religions sont aisément reconnaissables, sans nous apporter beaucoup d’explications. L’une et l’autre sont des formes d’un monothéisme strict, et l’on inclinera d’emblée à ramener à ce caractère fondamental tout ce qui concorde chez elles. Le monothéisme juif se comporte sur bien des points de manière plus abrupte encore que le monothéisme égyptien, par exemple quand il interdit absolument les figurations imagées. La différence la plus essentielle – indépendamment du nom du dieu – réside dans le fait que la religion juive se départit complètement de l’adoration du soleil, sur laquelle la religion égyptienne s’était encore appuyée. Dans la comparaison avec la religion populaire égyptienne, nous avions eu l’impression qu’outre l’antagonisme principiel serait entré en jeu dans la divergence des deux religions un facteur de contradiction intentionnelle. Or cette impression nous apparaît justifiée si dans la comparaison nous remplaçons la religion juive par la religion d’Aton, qu’Akhenaton, comme nous savons, a développée dans une hostilité délibérée à la religion populaire. Nous nous étions à juste titre étonnés que la religion juive ne veuille rien savoir de l’Au-delà et d’une vie après la mort, dès lors qu’une doctrine de ce type aurait été compatible avec le monothéisme le plus strict. Cet étonnement se dissout quand nous remontons de la religion juive à la religion d’Aton et faisons l’hypothèse que ce refus a été repris chez celle-ci, parce que pour Akhenaton il constituait une nécessité dans sa lutte contre la religion populaire, où le dieu des morts Osiris jouait un rôle sans doute plus grand que n’importe quel dieu du monde supérieur. La concordance sur ce point important entre la religion juive et la religion d’Aton est le premier argument fort en faveur de notre thèse. Nous verrons qu’il n’est pas le seul.
Moïse n’a pas seulement donné aux Juifs une nouvelle religion ; on peut également affirmer avec la même détermination qu’il a introduit chez eux la coutume de la circoncision. Ce fait a une importance décisive pour notre problème ׀125׀ et n’a pratiquement jamais été pris en considération. Le récit biblique le contredit certes à de multiples reprises : d’un côté il fait remonter la circoncision à l’époque des patriarches, comme signe de l’alliance entre Dieu et Abraham, et d’autre part il rapporte à un endroit particulièrement obscur que Dieu s’est pris de colère contre Moïse parce que celui-ci avait négligé l’usage consacré, qu’il voulait le tuer pour cela, et que c’était l’épouse de Moïse, une Madianite, qui avait sauvé du courroux divin le mari en péril en réalisant promptement l’opération2. Mais ce sont là des défigurations qui ne sauraient nous induire en erreur. Nous trouverons plus tard de quoi comprendre leurs motifs. Il n’en demeure pas moins qu’à la question de savoir d’où est venue pour les Juifs la coutume de la circoncision, il n’existe qu’une seule réponse : d’Égypte. Hérodote, le « père de l’Histoire », nous apprend que la coutume de la circoncision était implantée en Égypte depuis de longues périodes, et ses indications ont été confirmées par des constatations faites sur des momies, voire par des représentations figurées sur les murs de tombeaux. Aucun autre peuple de la Méditerranée orientale n’a, pour ce qu’on en sait, pratiqué cette coutume. On peut admettre de manière certaine que Sémites, Babyloniens et Sumériens n’étaient pas circoncis. L’histoire biblique le dit elle-même des habitants de Canaan. C’est ce que présuppose la fin de l’aventure3 de la fille de Jacob avec le Prince de SichemXV. Nous pouvons écarter comme absolument intenable la possibilité que les Juifs séjournant en Égypte aient adopté la coutume de la circoncision par une autre voie que celle de la corrélation avec la fondation religieuse de Moïse. ׀126׀ Or si nous maintenons que la circoncision était pratiquée en Égypte comme une coutume populaire généralisée, et ajoutons à cela un instant l’hypothèse courante que Moïse était un Juif qui voulait libérer ses congénères du servage égyptien et les faire parvenir, hors d’Égypte – comme cela s’est produit en réalité – au développement d’une existence nationale autonome et consciente d’elle-même, quel sens cela pouvait-il avoir de leur imposer en même temps une coutume éprouvante qui d’une certaine manière faisait même d’eux des Égyptiens, et réveillait sans cesse leur souvenir de l’Égypte, alors que tous ses efforts ne pouvaient qu’être dirigés vers le contraire et tendre à ce que son peuple devienne étranger au pays de la servitude et surmonte la nostalgie des « pots au feu d’Égypte » ? Non, le fait objectif dont nous sommes partis, et l’hypothèse que nous y avons adjointe sont si incompatibles mutuellement qu’il faut avoir le courage d’en tirer une conséquence : si Moïse n’a pas seulement donné aux Juifs une nouvelle religion, mais leur a aussi prescrit le commandement de la circoncision, c’est qu’il n’était pas un Juif, mais un Égyptien, et du coup la religion mosaïque était vraisemblablement une religion égyptienne, savoir, en raison de l’antagonisme avec la religion populaire, la religion d’Aton, avec laquelle la religion juive ultérieure concorde d’ailleurs sur un certain nombre de points remarquables.
Nous avons noté que notre hypothèse, qui fait de Moïse non pas un Juif, mais un Égyptien, engendrait une nouvelle énigme. La façon d’agir, qui semblait aisément concevable chez le Juif, devient incompréhensible chez l’Égyptien. Mais si nous transplantons Moïse à l’époque d’Akhenaton et le mettons en relation avec ce pharaon, l’énigme en question disparaît et la possibilité se dévoile alors d’une motivation qui répond à toutes nos interrogations. Partons du présupposé que Moïse était un homme de haut rang et occupant une position élevée, peut-être même effectivement un membre de la maison royale, comme le prétend la légende à son sujet. Il était certainement conscient de ses grandes capacités, ambitieux et énergique ; peut-être même a-t-il envisagé de diriger un jour son peuple ׀127׀, de dominer le royaume. Proche du pharaon, il était un partisan convaincu de la nouvelle religion, dont il s’était approprié les idées fondamentales. À la mort du roi et face à la réaction qui s’instaurait il a vu toutes ses espérances et toutes ses perspectives réduites à néant ; s’il refusait d’abjurer les convictions qui lui étaient chères, l’Égypte n’avait plus rien à lui offrir, il avait perdu sa patrie. Dans cette situation d’urgence, il trouva une issue inhabituelle. Le rêveur Akhenaton s’était étrangé à son propre peuple et avait laissé son empire universel se désagréger. Il était conforme à l’énergique nature de Moïse de fonder un nouveau royaume, de trouver un nouveau peuple auquel il voulait offrir pour qu’il la vénère la religion honnie par l’Égypte. Ce fut, comme on le constate, une héroïque tentative de contester le sort, de se dédommager dans deux directions des pertes que la catastrophe d’Akhenaton lui avait causées. Peut-être était-il à cette époque le gouverneur de cette province frontalière (Goshen) dans laquelle (à l’époque d’Hyksos encore ?) certaines tribus sémites s’étaient établies. Son choix se porta sur celles-ci pour qu’elles deviennent son nouveau peuple. Décision historique s’il en estXVI ! Il s’est mis d’accord avec elles, s’est porté à leur tête, a pourvu d’une « main forte » à la réussite de leur exode. En contradiction complète avec la tradition biblique il faudrait alors faire l’hypothèse que cette sortie s’est réalisée de manière pacifique et sans persécution. L’autorité de Moïse rendait cela possible, et à l’époque il n’existait pas de pouvoir central susceptible de vouloir l’en empêcher.
Dans le sillage de nos conjectures, la sortie d’Égypte tomberait dans la période située entre 1358 et 1350, c’est-à-dire après la mort d’Akhenaton et avant ׀128׀ la mise en place de l’autorité de l’État par HaremhabXVII. Le but de la longue marche ne pouvait être que le pays de Canaan. C’est là qu’après l’effondrement de la domination égyptienne des hordes de guerriers araméens avaient pénétré en force, conquérant et pillant, et montrant ainsi à quel endroit un peuple valeureux pouvait aller mettre la main sur un nouveau territoire. Nous connaissons ces guerriers par les lettres4 qui ont été trouvées en 1887 dans les archives de la ville en ruine d’Amarna. On les y désigne par le nom d’Habiru, lequel, on ne sait trop comment, est passé aux envahisseurs juifs – Hébreux – arrivés ultérieurement, qui ne peuvent être ceux dont parlent les lettres d’Amarna. Au sud de la Palestine – dans le territoire de Canaan – résidaient aussi les tribus qui étaient les plus proches parentes des Juifs en train de quitter l’Égypte.
Les motifs que nous avons devinés pour expliquer la totalité de l’Exode recouvrent aussi l’instauration de la circoncision. On connaît l’attitude des gens, des peuples autant que des individus, à l’égard de cet usage extrêmement ancien, qu’on ne comprend plus très bien. À ceux qui ne le pratiquent pas, il semble très déroutant, et il les effraie peu ou prou – tandis que les autres, ceux qui ont adopté la circoncision, en sont fiers. Ils ont le sentiment qu’elle les élève, qu’ils s’en trouvent comme ennoblis, et regardent avec un mépris condescendant les autres, qu’ils trouvent impurs. Aujourd’hui encore, les Turcs traitent les chrétiens de « chiens non circoncis ». Il est fort probable que Moïse, qui lui-même, étant égyptien, était circoncis, partageait cette position. Les Juifs avec lesquels il quittait la patrie étaient censés être pour lui un substitut de peuple supérieur aux Égyptiens qu’il laissait au pays. En aucun cas ils ne devaient leur être inférieurs. Il voulait faire d’eux un « peuple consacré5 », ainsi qu’il est encore dit expressément dans le texte biblique, et c’est comme signe de cette consécration qu’il introduisit chez eux aussi la coutume qui les mettait au moins au niveau des Égyptiens. ׀129׀ Il ne pouvait en outre que trouver bienvenu le fait que par ce signe ils étaient isolés et tenus à distance du mélange avec les peuples étrangers chez qui leur migration était censée les mener, à la façon dont les Égyptiens eux-mêmes s’étaient distingués de tous les étrangersXVIII.
Mais par la suite la tradition juive s’est comportée comme si elle vivait mal le syllogisme que nous avons développé ci-dessus. Concéder que la circoncision était une coutume égyptienne que Moïse avait introduite, cela revenait presque à reconnaître que la religion que Moïse leur avait transmise avait également été une religion égyptienne. Or on avait de bonnes raisons de dénier ce fait ; et par conséquent il fallait bien aussi contredire les faits eux-mêmes pour ce qui concernait la circoncision.
׀130׀ Parvenu à ce point je ne serais pas étonné qu’on me reproche d’avoir présenté toute ma construction, qui transplante Moïse, l’Égyptien, à l’époque d’Akhenaton, qui déduit sa décision d’embrasser la cause du peuple juif de la situation politique concrète de l’époque dans le pays, qui identifie la religion qu’il offre ou impose à ses protégés comme étant la religion d’Aton, laquelle en Égypte proprement dite venait précisément de s’effondrer, bref d’avoir présenté tout cet édifice de suppositions avec une précision excessive, non fondée dans le matériau existant. Je suis d’avis que ce reproche est injustifié. J’ai déjà insisté dans l’introduction sur le facteur dubitatif qui affecte mon travail, je l’ai en quelque sorte exposé d’emblée, et du coup j’ai pu m’épargner de le remettre à chaque fois dans les parenthèses, à l’occasion de chaque point traité.
Un certain nombre de mes propres remarques critiques peuvent prolonger mes explications. Le noyau de ce que nous avançons, savoir, la dépendance du monothéisme juif par rapport à l’épisode monothéiste dans l’histoire de l’Égypte, a déjà été subodoré et suggéré par différents auteurs. Je ne me donnerai pas la peine de reproduire ici ces voix, car aucune d’entre elles n’est en mesure d’indiquer par quel biais cette influence s’est réalisée. Si, pour nous, elle demeure liée à la personne de Moïse, il faut également évoquer d’autres possibilités que celle que nous privilégions. On ne peut imaginer que la chute de la religion officielle d’Aton ait mis un terme définitif au courant monothéiste en Égypte. L’école des prêtres d’On, dont elle avait procédé, a survécu à la catastrophe et a encore pu, des générations après Akhenaton, évoluer dans le sillage de ses conceptions. Cela fait que l’action de Moïse est concevable y compris s’il n’a pas vécu à l’époque d’Akhenaton et s’il n’avait pu subir son influence personnelle, s’il n’a été qu’un disciple, voire un simple membre de l’école d’On. Cette éventualité repousserait la date de l’Exode et la rapprocherait de la date ordinairement admise (au XIIIe siècle) ; mais cela mis à part il n’y a rien qui la recommande particulièrement. ׀131׀ On cesserait de comprendre les motivations de Moïse, et la facilitation de l’Exode par l’anarchie régnant dans le pays tomberait à l’eau. Les rois suivants de la 19e dynastie ont exercé un régime sans faiblesse. Toutes les conditions extérieures et intérieures favorables à un exode se rencontrent et se conjuguent uniquement dans la période qui suit immédiatement la mort du roi hérétique.
Les Juifs disposent d’une littérature extra-biblique très riche, dans laquelle on trouve des légendes et des mythes qui se sont formés au cours des siècles autour de la figure grandiose du premier chef et fondateur de religion, qui l’ont transfigurée et obscurcie. Il se peut que dans tout ce matériau se soient disséminées des pièces de belle et bonne tradition, qui n’ont pas trouvé place dans les cinq livres du Pentateuque. L’une de ces légendes décrit de manière plaisante la façon dont l’ambition de l’homme Moïse s’était déjà exprimée dans son enfance. Un jour que le pharaon l’avait pris dans ses bras et le soulevait en l’air pour jouer, le garçonnet de trois ans lui arracha la couronne de la tête et la posa sur la sienne. Le roi frémit devant ce présage et ne manqua pas d’interroger ses sages à ce sujetXIX. Une autre fois, on rapporte des faits de guerre victorieux qu’il aurait accomplis en Éthiopie en qualité de chef des armées égyptiennes, et on y rattache le fait qu’il ait fui l’Égypte, parce qu’il lui fallait craindre désormais la jalousie d’un parti de la cour, voire du pharaon en personne. L’exposé biblique lui-même impute à Moïse un certain nombre de traits auxquels on accorderait volontiers de la crédibilité. Il le décrit d’humeur coléreuse, s’enflammant facilement, tel que le jour où, sous le coup de la colère, il tue le surveillant brutal qui maltraitait un ouvrier juif, ou quand, amer de la rechute du peuple, il fracasse les tables de la Loi, qu’il avait ramenées de la montagne de Dieu : Dieu lui-même en fin de compte le punit à cause d’un geste d’impatience dont on ne dit pas quel il était. Dès lors que ce genre de naturel ne sert guère à la magnification, il pourrait correspondre à une vérité historique. On ne peut non plus exclure la possibilité qu’un certain nombre de traits de caractère que les Juifs ont prêtés à la représentation précoce de leur dieu, en le disant toujours en action, sévère et impitoyable, ׀132׀ aient été repris quant au fond du souvenir de Moïse, car en réalité, ce n’était pas un dieu invisible, mais l’homme Moïse qui les avait amenés hors d’Égypte.
Un autre trait qu’on lui attribue mérite au premier chef notre intérêt. On dit que Moïse était « de parole difficile », qu’il avait donc une inhibition ou un défaut de la parole6, si bien que dans les négociations qu’on lui prête avec le pharaon il avait besoin du soutien d’Aaron, qu’on appelle son frère. La chose peut une nouvelle fois être une vérité historique et constituerait une contribution bienvenue à l’animation de la physiognomie du grand homme. Mais elle peut avoir aussi une signification différente et plus importante. Le récit peut être un rappel légèrement déformé du fait concret que Moïse était un allophone, qui ne pouvait pas converser avec ses néo-Égyptiens sémites sans l’aide d’un interprète, en tout cas au début de leurs relations. Nouvelle confirmation donc de la thèse qui fait de Moïse un Égyptien.
Il semblerait donc maintenant que notre travail soit parvenu à une fin provisoire. Que notre hypothèse, qui fait de Moïse un Égyptien, soit ou non avérée, nous ne pouvons dans un premier temps rien déduire d’autre. Aucun historien ne peut tenir le récit biblique sur Moïse et l’Exode pour autre chose qu’une pieuse littérature qui a retravaillé une tradition éloignée au service de ses propres visées. Ce que cette tradition était à l’origine, nous l’ignorons. Nous aimerions bien deviner quelles furent les tendances poussant à sa défiguration, mais nous sommes laissés dans l’obscurité par l’ignorance de ce qui s’est passé historiquement. Si notre propre reconstruction n’accorde aucune place à tant de pièces glorieuses du récit biblique, telles les dix plaies d’Égypte, la traversée de la mer de roseaux7, la solennelle promulgation des Lois sur le mont Sinaï, cette proposition contraire ne saurait nous déranger. Mais nous ne pouvons rester indifférents quand nous constatons que nous sommes finalement en contradiction avec les résultats de la recherche historique rigoureuse de notre temps.
׀133׀ Ces historiens récents, dont le représentant pourrait être à nos yeux Eduard MeyerXX, se rallient sur un point décisif au récit biblique. Ils sont eux aussi d’avis que les tribus juives d’où, par la suite, a procédé le peuple d’Israël, ont adopté à un moment donné une nouvelle religion. Mais l’événement ne s’est pas accompli en Égypte ni non plus au pied d’une montagne dans la presqu’île du Sinaï, mais dans un lieu qu’on appelle Meribat-Qadès, une oasis célèbre entre toutes pour sa richesse en sources et en puits, dans une bande de terre du sud de la Palestine, entre la sortie orientale de la presqu’île du Sinaï et la bordure occidentale de l’Arabie. Ils reprirent là, selon toute vraisemblance aux Madianites, une tribu arabe habitant à proximité, le culte d’un dieu Jahvé. On suppose que d’autres tribus voisines encore étaient adeptes de ce Dieu.
Jahvé était certainement un dieu volcanique. Or on sait bien que l’Égypte est sans volcans et que les montagnes de la presqu’île sinaïque n’ont jamais été volcaniques ; en revanche on trouve des volcans sans doute restés actifs jusque dans des temps tardifs le long de la bordure occidentale de l’Arabie. C’est donc une de ces montagnes qu’a dû être le Sinaï-Horeb, où était censé séjourner JahvéXXI. Malgré tous les remaniements que le récit biblique a subis, on peut selon Ed. Meyer reconstituer l’image caractéristique originelle de ce dieu : c’est un démon inquiétant, assoiffé de sang, qui erre la nuit et craint la lumière du jourXXII.
Le médiateur entre le dieu et le peuple lors de cette fondation de religion est nommé Moïse. Il est le gendre du prêtre madianite Jethro, et gardait ses troupeaux quand il entendit l’appel divin. Il reçoit aussi à Qadès la visite de Jethro, qui lui dispense des consignes.
Ed. Meyer déclare certes n’avoir jamais douté que le récit ׀134׀ du séjour en Égypte et de la catastrophe des Égyptiens contenaitXXIII un certain noyau historique, mais il ne sait manifestement pas où ni comment il pourrait installer et exploiter le fait objectif qu’il a identifié. Il n’est disposé à dériver de l’Égypte que la coutume de la circoncision. Il enrichit notre argumentation précédente de deux indications importantes. Premièrement, par le fait que Josué engage le peuple à la circoncision « pour repousser le mépris des Égyptiens », et ensuite par la citation d’Hérodote selon laquelle les Phéniciens (sans doute les Juifs) et les Syriens de Palestine reconnaissent eux-mêmes avoir appris la circoncision des ÉgyptiensXXIV. Mais l’idée d’un Moïse égyptien ne lui dit pas grand-chose. « Le Moïse que nous connaissons est l’ancêtre des prêtres de Qadès, et donc un personnage de la légende généalogique en rapport avec le culte, pas une personnalité historique. Personne d’ailleurs, parmi tous ceux qui le traitent comme une figure historique (à l’exception de ceux qui adoptent en bloc la tradition comme une vérité historique), n’a encore été capable de le remplir d’un quelconque contenu, de le mettre en scène comme une individualité concrète, ou d’indiquer quoique ce soit qu’il aurait créé et qui serait son œuvre historiqueXXV. »
Il n’a de cesse en revanche d’insister sur la relation de Moïse à Qadès et à Madian. « La figure de Moïse, qui est étroitement agrégée à celle de Madian et aux lieux de culte dans le désertXXVI… » « Or cette figure de Moïse est indissociablement liée à Qadès (Massa et Merîba), le lien familial avec le prêtre madianite son beau-père en constitue le complément. Tandis que le lien avec l’Exode et l’histoire de sa jeunesse sont de statut parfaitement secondaire et uniquement une conséquence de l’insèrement de Moïse dans une histoire légendaire se déroulant de manière continue et cohérenteXXVII. » Il renvoie aussi au fait que les motifs contenus ׀135׀ dans l’histoire de la jeunesse de Moïse sont par la suite complètement abandonnés. « Moïse à Madian n’est plus un Égyptien ni un petit-fils du pharaon, mais un pâtre à qui Jahvé apparaît. Dans les récits des Plaies il n’est plus question de ses anciennes relations, si aisé qu’il eût été de les traiter avec beaucoup d’effets, et l’ordre de tuer les garçons israélites est complètement oublié. Dans le récit de l’Exode et de l’engloutissement des Égyptiens, Moïse ne joua absolument aucun rôle et n’est pas même nommé. Le caractère héroïque que présuppose la légende de son enfance fait entièrement défaut au Moïse ultérieur. Il n’est plus que l’homme de Dieu, un faiseur de miracles muni par Jahvé de forces surnaturellesXXVIII… »
Nous ne pouvons contester que ce Moïse de Qadès et de Madian, à qui la tradition a même pu attribuer l’érection de la statue d’un serpent d’airain symbolisant un dieu-médecin, nous fait l’impression d’être tout à fait différent de l’Égyptien magnifique auquel nous avons conclu, celui qui ouvre pour son peuple la voie d’une religion dans laquelle toute espèce de magie et de pratique incantatoire était très strictement proscrite. Notre Moïse égyptien n’est peut-être pas moins différent du Moïse madianite que le dieu universel Aton ne l’est du démon Jahvé installé sur la montagne des dieux. Et si nous accordons aux communications des historiens récents une quelconque mesure de crédibilité, il faut bien nous avouer alors que le fil que nous entendions tourner à partir de l’hypothèse que Moïse était un Égyptien, s’est maintenant rompu pour la deuxième fois. Et cette fois, à ce qu’il semble, sans espoir qu’on le renoue jamais.
Là encore, de manière inattendue, on trouve une issue. Les efforts déployés en vue d’identifier chez Moïse une figure qui aille au-delà de celle du prêtre de Qadès et confirme la grandeur que la tradition célèbre à son endroit, n’ont pas cessé, y compris après les travaux d’Ed. Meyer (notamment Gressmann). En 1922, Ed. Sellin a alors fait une découverte ׀136׀ qui influe de manière décisive sur notre problèmeXXIX. Il a trouvé chez le prophète Osée8 (deuxième moitié du VIIIe siècle) les signes indiscutables d’une tradition qui a pour contenu le fait que le fondateur de religion Moïse a trouvé une mort violente dans une insurrection de son peuple récalcitrant et indocile. Simultanément, la religion qu’il avait instaurée fut rejetée. Mais cette tradition n’est pas limitée à Osée, elle revient chez la plupart des prophètes après lui, elle constitue même d’après Sellin la base de toutes les espérances messianiques ultérieures. À la fin de l’exil babylonien s’est développé dans le peuple juif l’espoir que l’être si abominablement assassiné reviendrait d’entre les morts et mènerait son peuple repenti, et peut-être pas uniquement celui-ci, dans le royaume d’une félicité durable. Les rapports évidents avec le destin d’un fondateur ultérieur de religion ne font pas partie de notre voyage.
Une fois de plus je ne suis naturellement pas en mesure de décider si Sellin a correctement interprété les passages prophétiques. Mais s’il a raison, on est en droit d’attribuer une crédibilité historique à la tradition identifiée par lui, car ce genre de choses ne s’invente pas facilement. Il leur manque une motivation tangible. Mais si elles se sont réellement produites, on comprend facilement qu’on veuille les oublier. Nous ne sommes pas obligés d’accepter tous les détails de la tradition. Sellin pense que c’est Schittim dans le pays situé à l’est du Jourdain qui est désigné comme le théâtre des violences dont Moïse fut victime. Nous comprendrons bientôt que cette localité n’est pas envisageable pour nos propres réflexions.
Nous empruntons à Sellin l’hypothèse que le Moïse égyptien a été abattu par les Juifs, que la religion qu’il avait introduite fut abandonnée. Elle nous permet de continuer à torsader nos fils sans contredire certains résultats crédibles de la recherche historique. Mais nous oserons pour le reste nous maintenir dans un état d’indépendance par rapport aux auteurs, « intervenir » de manière autonome « sur notre propre piste ». ׀137׀ La sortie d’Égypte demeure notre point de départ. Il y a nécessairement eu un grand nombre de personnes à quitter le pays avec lui. Une maigre troupe, pour cet homme ambitieux visant de grands desseins, n’aurait pas valu la peine. Il est vraisemblable que les émigrants avaient séjourné suffisamment longtemps dans le pays pour se développer jusqu’à composer un total démographique conséquent. Mais nous ne ferons certainement pas erreur en supposant avec la majorité des auteurs, que seule une fraction du peuple juif ultérieur a connu le destin égyptien. En d’autres termes, la tribu revenue d’Égypte s’est conjointe ultérieurement, dans la zone territoriale située entre l’Égypte et Canaan à d’autres tribus apparentées, sédentarisées là depuis plus longtemps. L’expression de cette conjonction, d’où est sorti le peuple d’Israël, fut l’acceptation d’une nouvelle religion commune à toutes les tribus, celle de Jahvé, événement qui selon Ed. Meyer s’est réalisé à Qadès sous influence madianite. Après quoi le peuple s’est senti assez fort pour entreprendre de pénétrer dans le pays de Canaan. N’est pas compatible avec ce déroulement des événements l’idée que la catastrophe pour Moïse et sa religion se serait produite en Cisjordanie – elle a dû survenir longtemps avant l’unification.
Il est sûr que ce sont des éléments résolument divers qui se sont rassemblés pour l’édification du peuple juif, mais ce qui a certainement fait la plus grande différence entre ces tribus, c’est le fait de savoir si elles avaient vécu ou non le séjour en Égypte et ce qui avait suivi. Pour ce qui est de ce point, on peut dire que la nation a procédé de la réunion de deux composantes, et c’est à cela que correspond aussi le fait qu’au bout d’une période brève d’unité politique elle ait éclaté en deux morceaux, le royaume d’Israël et le royaume de Juda. L’histoire aime ce genre de reconstitutions dans lesquelles des fusions assez tardives sont dissoutes par un retour en arrière qui fait réapparaître des séparations antérieures. L’exemple le plus impressionnant de cette espèce a, comme on sait, été produit par la Réforme, lorsqu’après un intervalle de plus d’un millénaire ׀138׀ elle a fait réapparaître la frontière entre une Germanie qui jadis avait été romaine et la Germanie restée indépendante. Dans le cas du peuple juif nous ne saurions montrer une reproduction aussi fidèle de l’ancien état de choses ; notre connaissance de ces époques est trop incertaine pour nous autoriser à affirmer que dans le royaume du Nord se seraient retrouvés ceux qui étaient établis là depuis toujours, et dans le royaume du Sud ceux qui étaient rentrés d’Égypte, mais la décomposition ultérieure ne peut pas ne pas avoir été liée à la soudure intervenue antérieurement. Ceux qui avaient été égyptiens étaient vraisemblablement inférieurs en nombre, sur le plan démographique, par rapport aux autres, mais ils se sont montrés plus forts sur le plan culturel. Ils exercèrent une influence plus forte sur le développement ultérieur du peuple, parce qu’ils amenaient avec eux une tradition qui faisait défaut aux autres.
Autre chose encore, peut-être, de plus tangible qu’une tradition. Parmi les plus grandes énigmes des premiers temps de l’histoire juive, figure celle de l’origine des Lévites. On les fait venir de l’une des douze tribus d’Israël, de la tribu de Levi, mais aucune tradition ne s’est risquée à indiquer où cette tribu était installée à l’origine, ni quelle portion du pays de Canaan conquis lui était attribuée. Ils occupent les positions sacerdotales les plus élevées, mais on les distingue cependant des prêtres, un Lévite n’est pas nécessairement prêtre ; ce n’est pas le nom d’une caste. Notre présupposition quant à la personne de Moïse nous suggère une explication probable. Il n’est guère crédible qu’un grand seigneur aussi important que l’Égyptien Moïse soit venu non accompagné retrouver un peuple qui n’était pas le sien. Il a certainement amené avec lui sa suite, ses disciples les plus proches, ses scribes, ses servants. C’est ce qu’étaient à l’origine les Lévites. Quand la tradition affirme que Moïse était un Lévite, il y a là une défiguration transparente des faits : les Lévites étaient les gens de Moïse. Cette solution est étayée par le fait déjà mentionné dans mon essai précédent que c’est uniquement parmi les Lévites que surgissent encore par la suite des noms égyptiensXXX. On peut supposer ׀139׀ qu’un bon nombre de ces gens de la suite de Moïse échappa à la catastrophe qui l’affecta lui-même ainsi que sa fondation religieuse. Ils grandirent en nombre au cours des générations suivantes, fondus avec le peuple au sein duquel ils vivaient, mais ils restèrent fidèles à leur maître, conservèrent sa mémoire et observèrent la tradition de ses enseignements. À l’époque de l’unification avec les adeptes de Jahvé ils constituaient une minorité influente, culturellement supérieure aux autres.
Je pose provisoirement comme hypothèse qu’entre la fin de Moïse et la fondation de la religion à Qadès, deux générations se sont écoulées, voire un siècle entier. Je n’aperçois aucune voie permettant de décider si les Néo-égyptiens, ainsi que j’aimerais nommer ces gens désormais pour les distinguer, ceux qui rentraient, par conséquent, ont rencontré leurs parents tribaux après que ceux-ci eurent embrassé la religion de Jahvé, ou avant. On peut tenir la seconde hypothèse pour la plus probable. Cela ne change rien au résultat final. Ce qui s’est passé à Qadès était un compromis dans lequel la part des tribus de Moïse est évidente.
Une nouvelle fois nous pouvons ici recourir au témoignage de la circoncision, qui, tel un fossile indicateur en quelque sorte, nous a rendu de manière répétée les services les plus importants. Cette coutume devint également un commandement dans la religion de Jahvé, et comme elle est indissolublement liée à l’Égypte, son adoption ne peut qu’avoir été une concession aux gens de Moïse, qui – à moins que ce soient les lévites parmi eux – ne voulaient pas renoncer à ce signe de leur sacralisation. Ils voulaient sauver au moins cela de leur ancienne religion, et en échange ils étaient prêts à adopter la nouvelle divinité et à accepter ce que les prêtres de Madian en disaient. Il est possible qu’ils aient encore imposé d’autres concessions. Nous avons déjà évoqué le fait que le rituel juif prescrit certaines restrictions dans l’usage du nom de Dieu. Au lieu de dire Jahvé, il fallut dire Adonaï. On est évidemment tenté d’inscrire cette prescription dans la cohérence de nos thèses, mais il ne s’agit là que d’une supposition, sans plus de consistance que cela. On sait que l’interdit du nom de Dieu est un tabou archaïque. On ne comprend pas pourquoi c’est précisément dans la législation juive qu’il a été ravivé ; ׀140׀ il n’est pas exclu que cela se soit produit sous l’influence d’une nouvelle motivation. On n’est pas obligé de faire l’hypothèse que l’interdit était observé avec conséquence. Pour former des noms de personnes théophores, pour des composés donc, le nom du dieu Jahvé demeurait disponible (Jochanan, Jehu, Josua). Mais ce nom avait une histoire tout à fait particulière. On sait que la recherche biblique admet deux sources écrites pour l’Hexateuque9, désignées par J et par E, dès lors que l’une utilise le nom divin Jahvé, et l’autre Élohim. Élohim sans aucun doute, pas Adonaï, mais on peut ici se souvenir de la remarque de l’un de nos auteurs : « Les diverses dénominations sont l’indice parlant du caractère différent des dieux à l’origineXXXI. »
Nous avions présenté le maintien de la circoncision comme valant preuve que dans la fondation de la religion à Qadès, un compromis avait eu lieu. Nous tirons le contenu de ce compromis des récits concordants dans J et E, qui renvoient donc en cela à une source commune (texte écrit ou tradition orale). La tendance directrice fut de faire la démonstration de la grandeur et de la puissance du nouveau Dieu Jahvé. Dès lors que les gens de Moïse accordaient une si haute valeur à leur expérience de la sortie d’Égypte, c’est à Jahvé qu’il fallait être reconnaissant de cet acte libérateur, et l’événement fut pourvu d’ornementations qui témoignaient de la terrible magnificence du Dieu volcanique, telle la colonne de fumée10, qui se transformait la nuit en colonne de feu, telle la tempête qui assèche la mer pendant un certain temps, si bien que les poursuivants furent noyés par le retour des masses d’eau. L’Exode et la fondation de la religion se trouvèrent, ce faisant, mis en contiguïté, le long intervalle qui les séparait fut nié. De même le don de la Loi ne s’accomplissait plus à Qadès, mais au pied de la montagne de Dieu, sous le signe d’une éruption volcanique. Mais cette façon de présenter les choses faisait gravement tort à la mémoire de Moïse. Car c’était lui, et non le Dieu volcanique, qui avait libéré le peuple en le sortant d’Égypte. ׀141׀ On lui était donc redevable d’un dédommagement et on trouva celui-ci en transportant Moïse à Qadès ou au Sinaï-Horeb et en le mettant à la place des prêtres madianites. Nous expliquerons plus loin que par cette solution on donnait suite à une deuxième visée pressante. De cette manière, on avait en quelque sorte créé un équilibre : on laissait Jahvé qui habitait sur une montagne à Madian gagner du côté égyptien, tandis qu’en échange l’existence et l’action de Moïse prenaient de l’ampleur du côté de Qadès et jusqu’en Cisjordanie. Il fut ainsi fondu avec le personnage du fondateur de religion ultérieur, le gendre du Madianite Jethro, auquel il prêta son nom de Moïse. Mais de ce deuxième Moïse nous ne saurions rien dire de personnel, tant il est complètement obscurci par l’autre Moïse, le Moïse égyptien. À moins de puiser dans les contradictions de la caractérisation biblique de la personne de Moïse. On nous le dépeint plus d’une fois comme dominateur, coléreux, voire brutal, et pourtant on dit aussi de lui qu’il aurait été le plus doux et le plus patient de tous les êtres humains. Il est clair que ces dernières qualités auraient peu convenu pour l’Égyptien Moïse, qui visait des choses si grandes et difficiles avec son peuple. Elles étaient peut-être le lot de l’autre Moïse, du Madianite. Je crois qu’on est en droit de distinguer de nouveau les deux personnes l’une de l’autre et de supposer que le Moïse égyptien n’a jamais été à Qadès, qu’il n’avait jamais entendu prononcer le nom de Jahvé, tandis que le Moïse madianite n’avait jamais mis les pieds en Égypte et ignorait tout d’Aton. Pour pouvoir souder l’une à l’autre les deux personnes, la tradition ou la construction légendaire se sont vu impartir la mission de faire venir le Moïse égyptien à Madian et nous avons vu que pour ce faire il y eut plus d’une explication en circulation.
Nous sommes préparés à nous entendre de nouveau blâmés d’avoir exposé notre reconstruction de l’histoire archaïque du peuple d’Israël avec une assurance excessive, non justifiée. Cette critique ׀142׀ ne nous touchera pas gravement dès lors qu’elle trouve un écho dans notre propre jugement. Nous savons bien, quant à nous, que notre édifice a ses faiblesses, mais il a aussi des points forts. L’impression prédomine dans l’ensemble qu’il vaut la peine de poursuivre l’ouvrage dans la direction où il est engagé. Le récit biblique dont nous disposons contient des indications historiques précieuses, et même inestimables, qui cependant du fait de l’influence de tendances11 puissantes ont été défigurées et agrémentées de productions de l’invention poétique. Au cours des tentatives que nous avons faites jusqu’à présent nous avons pu deviner l’une de ces tendances défigurantes. Cette découverte nous montre le chemin où poursuivre notre effort. Nous devrons en mettre en évidence d’autres encore. Quand nous aurons des points de repère et pourrons identifier les défigurations qu’elles engendrent, nous mettrons en évidence derrière elles de nouveaux éléments de la réalité véritable.
Laissons d’abord l’exégèse critique nous raconter ce qu’elle peut dire de la genèse de l’Hexateuque (des cinq livres de Moïse et du Livre de Josua, qui sont les seuls à nous intéresser en l’espèce)XXXII. La plus ancienne source écrite nous y est donnée comme étant J, le jahviste, que l’on entend identifier depuis une époque récente comme étant le prêtre Ebjatar, contemporain du Roi DavidXXXIII. Un peu plus tard, on ne sait pas combien de temps après, on met en place celui qu’on appelle l’Élohiste, qui appartient au royaume du NordXXXIV. Après la chute du royaume du Nord en 722 un prêtre juif a réuni des pièces de J et de E, en y ajoutant des contributions de son crû. Sa compilation est désignée par les lettres JE. Au VIIe siècle vient s’y ajouter le Deutéronome, le cinquième livre12, dont on prétend qu’il a été trouvé en l’état, intégral, dans le temple. Le remaniement qu’on appelle « codex sacerdotal » est situé dans la période qui suit la destruction du Temple (586), pendant l’exil, et après le retour. C’est au Ve siècle que l’ouvrage ׀143׀ connaît sa rédaction définitive, et depuis, pour l’essentiel, il n’a plus été modifiéXXXV.
L’histoire du Roi David et de son temps est très vraisemblablement l’œuvre d’un contemporain. C’est rigoureusement parlant de l’historiographie, cinq cents ans avant Hérodote, le « Père de l’histoire ». On approche la compréhension de cet exploit quand on songe à une influence égyptienne au sens de notre hypothèseXXXVI. On a même supposé que les Israélites de cette époque archaïque, les scribes de Moïse par conséquent, pourraient avoir pris quelque part à l’invention du premier alphabetXXXVII. Quant à savoir dans quelle mesure les récits relatifs à des époques antérieures renvoient à des consignations écrites précoces ou à des traditions orales, et quels sont les intervalles de temps, pour ce qui concerne les cas singuliers, qui séparent un épisode rapporté de sa fixation par écrit, cela nous échappe bien sûr complètement. Mais le texte, tel que nous l’avons aujourd’hui sous les yeux, nous en dit suffisamment aussi sur ses propres destinées. Deux traitements antagoniques y ont laissé leurs traces. D’un côté il a été capturé par des remaniements qui l’ont falsifié, mutilé, augmenté, dans le sens de leurs visées secrètes, jusqu’à en faire le contraire de ce qu’il était, de l’autre a régné sur lui une piété préservatrice désireuse de tout conserver tel qu’elle l’avait trouvé, indifférente au fait de savoir si ce tout était cohérent ou s’il s’auto-abolissait. ׀144׀ Il s’est produit ainsi dans toutes les parties des lacunes visibles, des répétitions gênantes, des contradictions flagrantes, autant d’indices trahissant des choses qu’il n’était pas prévu de communiquer. Il en va de la défiguration d’un texte comme d’un meurtre. La difficulté ne réside pas dans l’exécution de l’acte, mais dans l’élimination des traces. On aimerait pouvoir donner au terme « défiguration » le double sens dont il peut se réclamer, bien qu’aujourd’hui il n’en fasse plus usage. Il ne devrait pas seulement signifier : altérer dans son apparence, mais aussi : mettre à un autre endroit, déplacer et mettre ailleurs13. C’est en ce sens que, dans de nombreux cas d’emploi de ce terme à propos d’un texte, nous pouvons escompter que nous retrouverons caché quelque part ce qui a été réprimé et dénié, bien que modifié et arraché à son contexte. Simplement, il ne sera pas toujours facile de le reconnaître.
Les tendances à la défiguration sur lesquelles nous voulons mettre la main ont certainement déjà agi sur les traditions avant qu’elles soient consignées par écrit. Nous avons déjà découvert l’une d’entre elles, la plus forte de toutes peut-être. Nous avons dit qu’avec la mise en place du nouveau Dieu Jahvé à Qadès on avait été forcé de faire quelque chose pour sa glorification. Il est plus correct de dire : il a fallu l’installer, lui faire de la place, effacer les traces de religions antérieures. Il semble que cela soit réussi intégralement pour la religion des tribus indigènes locales : on n’en entend plus parler. Avec ceux qui revenaient les choses ne furent pas si faciles, ils ne se laissèrent pas dépouiller de leur sortie d’Égypte, de l’homme Moïse et de la circoncision. Ils avaient donc été en Égypte, mais ils en étaient repartis, et désormais la moindre trace d’influence égyptienne devait être déniée. On régla le compte de l’homme Moïse en le situant à Madian et Qadès et en le confondant avec le prêtre jahviste fondateur de la religion. Il fallut conserver la circoncision, l’indice le plus marquant de la dépendance à l’égard de l’Égypte, mais on ne fut pas avare de tentatives visant, contre l’évidence manifeste, ׀145׀ à détacher cette coutume de l’Égypte. On ne peut appréhender que comme une contradiction intentionnellement opposée à la traîtresse objectivité des faits le passage énigmatique de l’Exode, délibérément rédigé de manière incompréhensible, où Jahvé se serait encoléré contre Moïse parce que celui-ci aurait négligé de pratiquer la circoncision, et où son épouse madianite lui aurait sauvé la vie en réalisant en toute hâte l’opération14 ! Nous aurons à connaître bientôt d’une autre invention destinée à rendre inoffensif le malcommode indice probant.
On ne peut guère désigner cela comme le surgissement d’une nouvelle tendance, c’est au contraire uniquement la continuation de la tendance antérieure, quand apparaissent des tentatives visant à dénoncer directement l’idée que Jahvé soit un nouveau dieu, un dieu étranger pour les Juifs. C’est dans cette intention que sont sollicitées les légendes des patriarches du peuple, Abraham, Isaac et Jacob. Jahvé assure qu’il était déjà le dieu de ces pères. Il doit bien pourtant avouer lui-même que ceux-ci ne l’auraient pas vénéré sous ce nom qui est le sienXXXVIII.
Il n’ajoute pas sous quel autre nom. Et c’est ici l’occasion d’un coup décisif contre l’origine égyptienne de la coutume de la circoncision. Jahvé l’a déjà requise d’Abraham, l’a instaurée comme le signe de l’alliance entre lui-même et la descendance d’Abraham. Mais c’était là une invention particulièrement maladroite. Comme signe censé distinguer quelqu’un et le privilégier par rapport à d’autres, on va choisir quelque chose qu’on ne trouve pas tel quel chez ces autres, et non quelque chose que des millions d’autres peuvent exhiber de la même manière. Un Israélite transplanté en Égypte aurait dû en effet reconnaître tous les Égyptiens comme ses frères d’alliance, comme frères en Jahvé. Il est impossible que les Israélites, qui ont créé le texte de la Bible, aient ignoré le fait qu’en Égypte la circoncision était une réalité indigène. Le passage de Josué mentionné par Ed. Meyer ׀146׀ le concède même sans se poser de questions, mais précisément, il fallait à tout prix dénier ce passage.
On n’exigera pas des créations mythiques religieuses qu’elles aient de grandes considérations pour la cohérence logique. Ou alors le sens populaire aurait pu à bon droit s’estimer heurté par la conduite d’une divinité qui passe avec les ancêtres un contrat comportant des engagements mutuels, qui ensuite ne se soucie pas pendant des siècles de son partenaire humain, jusqu’à ce que soudain l’idée la traverse de se manifester de nouveau aux descendants. Plus déroutante encore est l’idée d’un dieu qui d’un seul coup « s’élit » un peuple, le proclame comme étant son peuple, et se proclame lui-même le dieu de ce peuple. Je crois bien que c’est l’unique cas de cette espèce dans l’histoire des religions humaines. Ailleurs, dieu et peuple sont indissolublement liés, ils forment d’emblée une seule et même chose ; on entend certes parfois dire qu’un peuple a adopté un autre dieu, mais jamais qu’un dieu se soit cherché un autre peuple. Peut-être commencerons-nous à comprendre ce phénomène unique, en nous souvenant des relations entre Moïse et le peuple juif. Moïse avait condescendu à se retourner vers les Juifs, en avait fait son peuple ; ils étaient son « peuple élu »XXXIX.
׀147׀ En allant chercher les patriarches, on servait encore une autre visée. Ils avaient vécu au pays de Canaan, leur mémoire était attachée à certaines localités précises. Il se pourrait qu’ils aient eux-mêmes été à l’origine des héros cananéens ou des figures divines locales investies ensuite d’autorité par les Israélites immigrés pour peupler leur propre préhistoire. Quand on se réclamait d’eux, on affirmait en quelque sorte son lien natal avec le sol et se prémunissait contre l’odium15 qui frappait le conquérant étranger au pays. Habile formule que ce renversement qui leur faisait seulement restituer par le dieu Jahvé ce que leurs ancêtres avaient jadis possédé.
Dans les contributions ultérieures au texte biblique s’est imposée la volonté délibérée d’éviter de mentionner Qadès. L’emplacement de la fondation de la religion devint définitivement la montagne de Dieu, le Sinaï-Horeb. La raison n’en est pas tout à fait claire. Peut-être ne voulait-on pas se voir rappeler l’influence de Madian. Mais toutes les défigurations ultérieures, en particulier celles de l’époque du « codex sacerdotal », visent à autre chose. On n’avait plus besoin de modifier dans le sens souhaité des récits consacrés à des épisodes, car il y avait longtemps que c’était chose faite. Simplement, on s’efforçait d’installer rétrospectivement des commandements et des institutions actuelles dans des périodes précoces, de les fonder en règle générale sur la législation mosaïque, pour en déduire ensuite ׀148׀ les caractères de sacralité et d’obligation auxquels ces institutions prétendaient. On avait beau, ce faisant, fausser l’image du passé, le procédé n’était pas dépourvu, malgré tout, d’une certaine légitimité psychologique. Il reflétait le fait qu’au cours de ces longues périodes – entre la sortie d’Égypte et la fixation du texte biblique sous Esdras et Néhémie il s’était écoulé environ huit cents ans – la religion de Jahvé s’était créé rétroactivement une concordance, voire une identité avec la religion originelle de Moïse.
Et c’est là le résultat essentiel, le contenu lourd d’avenir de l’histoire de la religion juive.
Parmi tous les épisodes de l’époque archaïque que les poètes, prêtres et historiens ultérieurs ont entrepris d’adapter, il s’en est détaché un qu’il y avait les plus évidentes et les meilleures raisons humaines de réprimer impérativement. Je veux parler ici du meurtre du grand libérateur et meneur d’hommes Moïse, que Sellin subodore à partir de suggestions trouvées chez les prophètes. On ne peut pas dire du schéma proposé par Sellin qu’il est fantasmagorique : il est passablement vraisemblable. Moïse, issu en droite ligne de l’école d’Akhenaton, ne s’est lui-même servi d’aucune autre méthode que ce roi, il a donné des ordres, imposé de force au peuple sa croyanceXL. La doctrine de Moïse était peut-être plus abrupte encore que celle de son maître, il n’avait pas besoin de l’étayer sur le dieu soleil, pour un peuple étranger, l’école d’On ne signifiait rien. Moïse comme Akhenaton ont rencontré le sort qui attend tous les despotes éclairés. Le peuple juif de Moïse était aussi peu en mesure de supporter une religion spiritualisée à un si haut point, et de trouver dans ce qu’elle proposait une satisfaction de ses besoins, que les Égyptiens de la 18e dynastie. Dans les deux cas il s’est passé la même chose : les mis en tutelle et les rabaissés se soulevèrent et rejetèrent le poids de la religion qu’on leur imposait. Mais alors que les dociles Égyptiens avaient attendu ׀149׀ que le destin eût écarté la personne sacralisée du pharaon, les sauvages sémites prirent leur destin en main et se débarrassèrent du tyranXLI.
On ne peut pas affirmer non plus que le texte biblique conservé ne nous prépare pas à une fin pareille pour Moïse. Le récit de la « traversée du désert » – qui peut être considéré comme s’appliquant à l’époque de la domination de Moïse – décrit toute une série de soulèvements sévères contre son autorité, lesquels d’ailleurs – selon le commandement de Jahvé – sont réprimés par des châtiments sanglants. On peut facilement imaginer qu’un jour une révolte de ce genre ait connu un autre dénouement que ce que le texte veut bien nous dire. La rechute du peuple hors de la nouvelle religion est elle aussi racontée dans le texte, mais, il est vrai, comme un incident accessoire. Il s’agit de l’histoire du Veau d’Or, dans laquelle, au prix d’un habile renversement, le fracassement des tables de la Loi (qu’il faut comprendre symboliquement : « il a commis l’infraction16 ») est imputé à Moïse en personne et motivé par sa fureur indignée.
Vint un temps où l’on regretta le meurtre de Moïse et chercha à l’oublier. Ce fut certainement, à peu près, à l’époque de la rencontre de Qadès. Mais en rapprochant l’Exode de la fondation de la religion dans l’oasis et en y faisant intervenir Moïse de façon active à la place de l’autre, on avait non seulement satisfait la revendication des gens de Moïse, mais également dénié avec succès la pénible réalité de son élimination violente. En réalité, il est très invraisemblable que Moïse eût pu prendre part à ce qui s’est passé à Qadès, même si sa vie n’avait pas été abrégée.
Il faut tenter ici de mettre un peu de clarté dans les données chronologiques qui concernent tous ces épisodes. Nous avons situé la sortie d’Égypte dans la période qui suit l’extinction de la 18e dynastie (1350). ׀150׀ Elle a pu se situer à cette date ou quelque temps plus tard, car les calculs des chroniqueurs égyptiens estiment que les années d’anarchie qui ont suivi tombent dans la période du règne de Haremhab, lequel y mit fin et régna jusqu’en 1315. Le prochain (mais aussi l’unique) point de repère pour la chronologie nous est fourni par la stèle de Merneptah (1225-1215), qui se glorifie de la victoire sur Isiraal (Israël) et de la dévastation de ses semences (?)17. Malheureusement l’exploitation de cette inscription est douteuse, on lui accorde le statut de preuve de ce que les tribus d’Israël étaient déjà installées dans le territoire de Canaan à cette époqueXLII. Ed. Meyer conclut à juste titre à partir de cette stèle que Merneptah ne peut pas avoir été le pharaon de l’Exode, comme on aimait à le penser antérieurement. L’Exode a nécessairement relevé d’une période antérieure. La question du pharaon de l’Exode nous paraît de toute façon oiseuse. Il n’y a pas eu de pharaon de l’Exode, étant donné que celui-ci a eu lieu dans un interrègne. Mais la découverte de la stèle de Merneptah ne jette pas davantage de lumière sur la date éventuelle de la réunification et de l’adoption de la religion à Qadès. Tout ce qu’on peut avancer avec certitude, c’est une période quelconque entre 1350 et 1215. À l’intérieur de ce siècle, supposons-nous, l’Exode intervient très près de la date de départ, et ce qui a lieu à Qadès n’est pas trop éloigné de la date finale. Nous voudrions revendiquer l’attribution de la plus grande partie du laps de temps à l’intervalle qui sépare les deux événements. Nous avons en effet besoin d’une période assez longue, courant jusqu’à ce qu’après l’assassinat de Moïse les passions se soient apaisées chez les rentrants et que l’influence des gens de Moïse, des Lévites, soit devenue aussi importante que le compromis passé à Qadès le présuppose. Deux générations, soixante ans, suffiraient dirons-nous pour cela, mais c’est un calcul un peu serré. La déduction tirée de la stèle de Merneptah tombe trop tôt pour nous, et comme nous nous rendons compte que dans notre schéma chaque hypothèse n’est fondée que sur une autre hypothèse, nous avouons que cette discussion met au jour une faiblesse de notre échafaudage. Malheureusement, tout ce qui est lié à l’établissement du peuple juif en Canaan, est inexpliqué et confus. ׀151׀ Il nous reste au besoin cette information que le nom figurant sur la stèle d’Israël ne se rapporte pas aux tribus dont nous nous efforçons de suivre la destinée et qui se sont adjointes au peuple ultérieur d’Israël. C’est d’ailleurs le nom des Habiru = Hébreux de l’époque d’Armana qui est bel et bien passé à ce peuple.
Quel que soit le moment où s’est déroulée l’unification des tribus en une unique nation par l’adoption d’une religion commune, cela aurait pu facilement devenir un acte parfaitement indifférent pour l’histoire du monde. La nouvelle religion aurait été balayée par le flux des événements, Jahvé aurait eu le droit de prendre sa place au sein du cortège des dieux qui ne sont plus, que l’écrivain Flaubert dit avoir vus, et de son peuple, c’est la totalité des douze tribus qui se seraient « perdues », et pas seulement les dix tribus si longtemps cherchées par les Anglo-saxons. Le dieu Jahvé, à qui le Moïse madianite amena jadis un nouveau peuple, n’était vraisemblablement à aucun égard un être exceptionnel. Mais un dieu local fruste et peu généreux, violent et sanguinaire ; il avait promis à ses partisans de leur donner le pays « où coule le lait et le miel » et il les incitait à exterminer ses habitants actuels « au tranchant de l’épée ». On peut s’étonner que malgré tous les remaniements dans les récits bibliques, on y ait laissé tant de choses permettant de reconnaître sa nature originelle. Il n’est pas même certain que sa religion ait été un véritable monothéisme, qu’elle ait contesté aux divinités des autres peuples leur nature de dieux. Il suffisait vraisemblablement que le dieu qu’on avait soit plus puissant que tous les autres dieux étrangers. Si par la suite tout s’est déroulé autrement que ce genre de prémisses le laissait prévoir, nous ne pouvons en trouver la cause que dans un seul et unique fait objectif. Le Moïse égyptien avait donné à une partie du peuple une autre représentation de dieu, plus hautement spiritualisée, l’idée d’une divinité unique embrassant la totalité du monde, qui n’était pas moins toute-aimante que toute-puissante, et qui, hostile à tout cérémoniel et tout sortilège, assignait aux humains comme but suprême une vie dans la vérité et la justice. Quelque imparfaits en effet que puissent être nos récits sur la dimension éthique de la religion d’Aton ׀152׀, il ne peut être sans signification qu’Akhenaton se soit désigné régulièrement dans ses inscriptions comme « vivant en Maat » (vérité, justice)XLIII. À la longue il devint sans importance que le peuple, sans doute au bout d’un temps assez bref, ait rejeté la doctrine de Moïse et l’ait même éliminé. Il en restait la tradition, et son influence finit par obtenir, à vrai dire progressivement seulement, au cours des siècles, ce qui était resté refusé à Moïse en personne. Le dieu Jahvé était parvenu à des honneurs immérités, quand à partir de Qadès on mit à son compte l’action libératrice de Moïse, mais il dut payer cher cette usurpation. L’ombre du dieu dont il avait pris la place devint plus forte que lui. À la fin de ce développement transparaissait derrière son être l’être du dieu mosaïque oublié. Personne ne doute que c’est seulement l’idée de cet autre dieu qui a permis au peuple d’Israël de surmonter tous les coups du sort et qui l’a maintenu en vie jusqu’à notre époque.
Dans la victoire finale du dieu mosaïque sur Jahvé on ne parvient plus à établir la part des Lévites. Ceux-ci s’étaient en son temps engagés pour Moïse, quand le compromis fut conclu à Qadès, dans le souvenir encore vif de leur maître, dont ils étaient à la fois la suite et les compatriotes. Dans les siècles qui avaient suivi ils s’étaient fondus avec le peuple ou avec la prêtrise et ce qui était devenu la prestation principale des prêtres c’était de développer et surveiller le rituel, et outre cela, de conserver les écritures saintes et de les remanier dans le sens de leurs intentions. Mais tout service sacrificiel et tout cérémoniel n’étaient-ils pas fondamentalement autre chose que de la magie et de l’incantation telles que l’ancienne doctrine de Moïse les avait inconditionnellement rejetées ? C’est alors que se leva dans les rangs du peuple une légion d’hommes dont la succession ne fut plus jamais interrompue, que leur origine ne liait pas à Moïse ׀153׀ mais qui étaient captivés par la grandeur et la puissance de la tradition, qui, peu à peu, dans l’ombre étaient devenus plus nombreux, et ce sont ces hommes, les prophètes, qui professèrent infatigablement l’ancienne doctrine mosaïque, celle qui voulait que la divinité répugne aux cérémonies et aux sacrifices, qu’elle réclame seulement la foi et une vie dans la vérité et dans la justice (« Maat »). Les efforts des prophètes connurent un succès durable ; les enseignements par lesquels ils reconstituaient l’ancienne croyance devinrent le contenu permanent de la religion juive. C’est un honneur assez grand pour le peuple juif qu’il ait su conserver une pareille tradition et produire des hommes qui lui ont donné une voix, quand bien même l’incitation initiale était venue de l’extérieur, d’un grand homme étranger.
Je ne me sentirais pas assuré en exposant tout cela, si je ne pouvais me réclamer du jugement d’autres chercheurs très experts en ces choses, qui voient l’importance de Moïse pour l’histoire religieuse juive dans la même lumière, bien qu’ils ne reconnaissent pas son origine égyptienne. Sellin, par exemple, dit ceciXLIV : « Et donc nous devons, depuis, nous représenter d’emblée la véritable religion de Moïse, la croyance en un dieu moral dont il est le prophète, comme la propriété d’un cercle restreint de personnes au sein du peuple. Nous ne pouvons pas escompter la rencontrer d’emblée dans le culte officiel, dans la religion des prêtres ou dans la croyance du peuple. Nous ne pouvons a priori compter que sur une chose, savoir, que tantôt ici et tantôt là réapparaisse une étincelle de l’incendie spirituel qu’il a jadis allumé, que ses idées n’ont pas dépéri, mais au contraire silencieusement agi çà et là sur la foi et le comportement moral, jusqu’à ce qu’un jour ou l’autre, sous l’influence d’expériences particulières ou de personnes particulièrement marquées par son esprit ces idées refassent surface avec plus de force et gagnent en influence sur les masses populaires plus larges. C’est sous cet angle qu’il faut a priori considérer l’histoire religieuse israélite antique. Quiconque voudrait par exemple construire la religion mosaïque en fonction de la religion que nous observons, ׀154׀ grâce aux documents historiques, dans la vie populaire des cinq premiers siècles dans le pays de Canaan, commettrait la plus grave des erreurs méthodologiques ». Et VolzXLV est encore plus explicite. Il est d’avis « que l’œuvre immense de Moïse ne fut d’abord comprise et réalisée que très modestement et parcimonieusement, jusqu’à ce qu’au cours des siècles elle perce de plus en plus et finisse par trouver chez les grands prophètes des esprits de même complexion qui poursuivirent l’œuvre du solitaire ».
Et disant cela, je serais enfin parvenu à la fin de mon travail, qui était censé ne servir qu’une seule visée : insérer le personnage d’un Moïse égyptien dans le contexte de l’histoire juive. Pour exprimer le résultat auquel nous sommes parvenus dans la formule la plus brève, je dirai : aux dualités déjà connues de cette histoire – deux masses populaires qui se réunissent pour constituer la nation, deux royaumes en lesquels cette nation se divise, deux noms de dieu dans les sources écrites de la Bible – nous en ajoutons deux encore : deux fondations de religion, la première étant refoulée par la seconde et l’emportant cependant en fin de compte en transparaissant derrière elle, deux fondateurs de religion, l’un et l’autre portant le même nom de Moïse et dont nous devons dissocier l’une de l’autre les deux personnalités. Et toutes ces dualités sont des conséquences nécessaires de la première, du fait objectif que l’une des composantes du peuple avait vécu une expérience qu’on peut qualifier de traumatique, que l’autre n’avait pas connue. Il y aurait encore bien des choses par ailleurs à discuter, à expliquer, et à poser. C’est seulement après cela que l’intérêt de notre étude purement historique pourrait, à vrai dire, se justifier. Savoir en quoi consiste la nature véritable d’une tradition, et sur quoi repose son pouvoir spécifique, combien il est impossible de nier l’influence personnelle sur l’histoire universelle des grands hommes considérés individuellement, quel sacrilège on commet à l’égard de la grandiose richesse de l’existence humaine, quand on veut seulement reconnaître des motivations de l’ordre des besoins matériels, à quelles sources bien des idées, en particulier les idées religieuses, puisent la force avec laquelle elles assujettissent tant les hommes que les peuples ׀155׀ – étudier tout cela sur le cas spécifique de l’histoire juive serait une tâche séduisante. Cette poursuite de mon travail finirait par trouver le raccordement avec des développements que j’ai exposés voici vingt-cinq ans dans Totem et Tabou. Mais je ne me sens plus la force de mener cette tâche à bien.
Imago, t. XXIII, 1937, fasc. 1 : « Moïse : un Égyptien ».
Nous n’avons aucune idée des quantités de gens en jeu dans la sortie d’Égypte.
« The first individual in human history », pour reprendre l’expression que Breasted lui applique.
Ce qui suit s’appuie pour l’essentiel sur les descriptions de J. H. Breasted dans son History of Egypt, 1906, ainsi que dans The Dawn of Conscience, 1934, et dans les sections correspondantes de The Cambridge Ancient History, vol. II.
Peut-être même l’épouse aimée d’Amenhotep, Nofrete [Nefertiti].
Breasted, History of Egypt, p. 360 : « But however evident the Heliopolitan origin of the new statereligion might be, it was not merely sun-worship ; the word Aton was employed in the place of the old word for “god” (nuter) and the god is clearly distinguished from the material sun. » « It is evident that what the king was deifying was the force, by which the sun made itself felt on earth » (Dawn of Conscience, p. 279). – Même appréciation d’une formule en l’honneur du dieu chez A. Erman (Die ägyptische Religion, 1905) : « Ce sont… des mots censés exprimer le plus abstraitement possible que l’on ne vénère pas l’astre lui-même, mais l’être qui se manifeste en lui. »
History of Egypt, p. 374.
Je reprends pour ce nom la graphie anglaise [Freud écrit « Ikhnaton »] (on dirait sinon Akhenaton). Le nouveau nom du roi signifie à peu près la même chose que l’ancien : le dieu est content. Voir chez nous Gotthold, Gottfried. [Il s’agit plutôt de la transcription nord-américaine (prononcée sans doute « aïkhnaton ». La graphie anglaise actuelle est « Akhenaten », mais varie souvent.]
C’est là que fut découverte en 1887 la correspondance – si importante pour le savoir historique – entre les rois égyptiens et leurs amis et vassaux d’Asie.
Id. [Breasted], History of Egypt, p. 363.
Weigall (The Life and Times of Akhnaton, 1923, p. 121) explique qu’Akhenaton ne voulait pas entendre parler d’un quelconque enfer, contre les effrois duquel on était censé se protéger par toute une série de formules incantatoires. « Akhnaton flung all thise formulae into the fire. Djins, bogies, spirits, monsters, demigods, demons, and Osiris himself with all his court, were swept into the blaze and reduced to ashes. »
A. Weigall (op. cit.) : « Akhnaton did not permit any graved image to be made of the Aton. The true God, said the King, had no form ; and he held to this opinion throughout his life » (p. 103).
Erman, op. cit., p. 60 : « On ne devait plus entendre parler d’Osiris et de son royaume. » – Breasted, D[awn] of [Conscience], p. 291 : « Osiris is completely ignored. He is never mentioned in any record of Akhenaton or in any of the tombs at Amarna. »
Quelques passages seulement chez Weigall (op. cit.) : « Le dieu Atum, qui désignait le dieu Re comme soleil couchant, était peut-être de la même origine que l’Aton universellement vénéré dans le nord de la Syrie, et c’est pourquoi une reine étrangère ainsi que toute sa suite a pu se sentir davantage attirée vers Heliopolis que vers Thèbes » (p. 12 et p. 19).
Chaque fois que nous procédons avec la tradition biblique de façon aussi arrogante et arbitraire, que nous la sollicitons pour confirmer ce qui nous va bien, et la rejetons sans scrupule quand elle nous contredit, nous savons fort bien que nous nous exposons ce faisant à une critique méthodologique sévère et que nous affaiblissons la force démonstrative de ce que nous exposons. Mais c’est la seule façon de traiter un matériau dont on sait assurément que sa fiabilité a été gravement endommagée par l’influence de tendances défiguratrices. On espère obtenir par la suite une certaine justification si nous parvenons sur les traces de ces motivations secrètes. La certitude, de toute façon, ne saurait être atteinte, et nous pouvons d’ailleurs dire que tous les autres auteurs ont procédé exactement de même.
Si Moïse était un haut fonctionnaire de l’État, cela facilite notre compréhension du rôle dirigeant qu’il assuma auprès des Juifs. S’il était prêtre, il allait de soi qu’il intervienne comme fondateur d’une religion. Dans les deux cas ç’aurait été la continuation de sa profession antérieure. Un prince de la maison royale pouvait aisément être les deux, commandeur et prêtre. Dans le récit de Flavius Josèphe (Antig. jud.) qui admet la légende de l’abandon, mais semble connaître d’autres traditions que la tradition biblique, Moïse avait mené en qualité de chef de guerre égyptien une campagne victorieuse en Éthiopie.
Ce serait un siècle plus tôt que ce qu’admettent la plupart des historiens, qui la situent dans la 19e dynastie sous Merneptah. Peut-être un peu plus tard, car les calculs de l’historiographie officielle semblent avoir situé l’interrègne dans le règne d’Haremhab [parfois transcrit Horemheb].
Hérodote, qui s’est rendu en Égypte aux environs de 450 avant J.-C., fournit dans son récit de voyage une caractéristique détaillée du peuple égyptien qui présente une ressemblance étonnante avec tous les traits connus de la judéité ultérieure : « Ils sont sur absolument tous les points plus pieux que les autres humains, dont ils se distinguent également par plus d’une coutume propre. Par la circoncision, qu’ils ont été les premiers à introduire pour des raisons de pureté ; outre cela par leur répugnance pour le porc, qui est certainement liée au fait que Set sous l’espèce d’un porc noir avait blessé Horus, enfin et surtout par leur respect des vaches, qu’ils ne mangeraient ou ne sacrifieraient jamais parce que ce faisant ils offenseraient Isis aux cornes de vache. C’est pourquoi aussi jamais un Égyptien ou une Égyptienne n’embrasserait un Grec ou n’utiliserait son couteau, sa broche ou son chaudron, ni ne mangerait la viande d’un bœuf par ailleurs pur qu’on aurait découpée avec un couteau grec… ils regardaient avec une condescendance très altière et exclusive les autres peuples, qui étaient impurs et n’étaient pas aussi proches qu’eux des dieux. » (Cité par Erman, La Religion égyptienne, p. 181 sq.).
Il va de soi que nous n’oublions pas ici non plus de faire le parallèle avec la vie du peuple de l’Inde. Qui donc a, au demeurant, inspiré le poète juif Heinrich Heine au XIXe siècle, quand il se plaint de sa religion comme d’un « fléau traîné depuis la vallée du Nil, la vieille croyance malsaine des anciens Égyptiens ». [Freud évoque ici le poème « Das neue Israelitische Hospital zu Hamburg », tiré des Zeitgedichte, XI.]
On trouve la même anecdote, légèrement modifiée, chez Josèphe. [Dans les Antiquités juives de Flavius Josèphe.]
Ed. Meyer, Die Israeliten und ihre Nachbarstämme, 1906.
Dans certains passages du texte biblique il est resté l’indication que Jahvé est descendu du Sinaï pour se rendre à Meribat-Qadès.
Ibid., p. 38, 58.
Ibid., p. 49.
Ibid., p. 449.
Ibid., p. 451.
Ibid., p. 49.
Ibid., p. 72.
Ibid., p. 47.
Ed. Sellin, Mose und seine Bedeutung für die israelitisch-jüdische Religionsgeschichte, 1922.
Cette hypothèse coïncide fort bien avec les indications de Yahuda à propos de l’influence égyptienne sur l’écriture proto-juive. Voir A. S. Yahuda, La Langue du Pentateuque dans ses rapports à l’égyptien, 1929.
Gressmann, op. cit., p. 54.
Encyclopedia Britannica, 11e édition, 1910. Article : Bible.
Voir Auerbach, Désert et Terre bénie promise, 1932.
Jahviste et Élohiste ont été distingués pour la première fois par [Jean] Astruc en 1753.
Il est assuré par des sources historiques que la fixation définitive du type juif fut le succès de la réforme d’Esra et de Nehemia au Ve siècle avant Jésus-Christ, donc postérieure à l’exil, sous la domination perse, bienveillante envers les Juifs. D’après notre calcul, neuf cents ans environ s’étaient écoulés à l’époque depuis l’apparition de Moïse. C’est dans cette réforme que l’on prit au sérieux les dispositions qui visaient à la sacralisation du peuple tout entier, que fut imposée sa particularisation par rapport aux peuples environnants par l’interdiction des mariages mixtes, que le Pentateuque, le livre de la Loi proprement dit acquit sa forme définitive, que ce remaniement, connu sous le nom de codex sacerdotal, fut achevé. Mais il semble certain que la réforme n’introduisit aucune nouvelle tendance, et se contenta d’intégrer et de consolider des incitations antérieures.
Voir Yahuda, op. cit.
S’ils étaient sous la pression de l’interdiction des images, ils avaient même un motif d’abandonner l’écriture iconique des hiéroglyphes, en adaptant leurs signes d’écriture à l’expression d’une nouvelle langue. – Voir Auerbach, op. cit., p. 142.
Les réserves dans l’usage de ce nouveau nom n’en sont pas rendues plus compréhensibles, mais sans doute plus suspectes [Exode 6,3].
Jahvé était sans aucun doute un dieu volcanique. Pour les habitants de l’Égypte il n’y avait aucune occasion ni raison de le vénérer. Je ne suis certainement pas le premier à être frappé par l’homophonie du nom Jahvé et de la racine de l’autre nom de dieu, Ju-piter (Jovis). Le nom Jochanan composé avec l’abréviation de l’hébreu Jahvé (Gotthold par exemple, équivalent punique : Hannibal) est devenu sous les formes Johann, John, Jean, Juan le prénom préféré de la chrétienté européenne. Quand les Italiens le restituent sous la forme Giovanni, et nomment Giovedi un jour de la semaine, ils remettent en lumière une similitude qui ne signifie peut-être rien du tout, mais peut-être aussi beaucoup. On voit s’ouvrir ici des perspectives d’une grande portée, mais également très incertaines. Il semble que les pays situés autour du bassin oriental de la Méditerranée, dans ces siècles obscurs à peine ouverts à la recherche historique, furent le théâtre d’éruptions volcaniques fréquentes et violentes, qui ne pouvaient faire aux habitants des alentours que la plus forte des impressions. Evans fait l’hypothèse que la destruction définitive du palais de Minos à Cnossos fut elle aussi la conséquence d’un tremblement de terre. En Crète, comme sans doute de manière générale dans le monde égéen, on vénérait jadis la grande divinité maternelle. Quand on s’aperçut qu’elle n’était pas en mesure de protéger sa maison contre les assauts d’une puissance supérieure, il se peut que cela ait contribué à ce qu’elle dût céder la place à une divinité masculine, après quoi le dieu volcanique eut un droit de priorité pour la remplacer. Zeus n’est en effet jamais que d’abord l’« ébranleur de la terre ». Il est peu douteux que dans ces périodes obscures se soit produite la relève des divinités maternelles par des dieux masculins (lesquels à l’origine étaient peut-être leurs fils). Le destin de Pallas Athena est particulièrement impressionnant : elle était certainement la forme locale de la divinité maternelle, le renversement religieux la dégrada au rang de fille, elle fut dépossédée de sa propre mère et elle-même exclue de façon permanente de la maternité par la virginité qui lui était imposée.
En ce temps-là il n’y avait, d’ailleurs, pas d’autre façon que celle-là d’influencer les gens.
Il est vraiment remarquable que dans l’histoire millénaire de l’Égypte il soit si peu question de mise à l’écart violente ou d’assassinat d’un pharaon. Une comparaison avec l’histoire assyrienne par exemple ne peut qu’augmenter encore cet étonnement. Cela peut naturellement provenir du fait que l’historiographie servait exclusivement, chez les Égyptiens, à des fins officielles.
Ed. Meyer, op. cit., p. 222.
Ses hymnes insistent non seulement sur l’universalité et sur le caractère unique de Dieu, mais aussi sur sa sollicitude aimante à l’égard de toutes les créatures, ils encouragent à profiter dans la joie de la nature et à jouir de sa beauté. Cf. Breasted, The Dawn of Conscience.
Ibid., p. 52.
Paul Volz, Moïse, Tübingen, 1907 (p. 64).
On notera que la langue allemande ne procède pas comme le français pour les deux énoncés correspondants (mais sémantiquement distincts…) : « Moïse était égyptien » et « Moïse était un Égyptien ». Dans les deux cas il a recours au substantif (précédé ou non de l’indéfini).
Exode 4,24. La Bible précise qu’il s’agit de la circoncision du fils de Çippora et Moïse.
Voir Genèse 1,34 : Sichem, qui a abusé de la fille de Jacob, Lina, n’est pas circoncis. Les fils de Jacob feignent d’accepter une conciliation si les Sichémites mâles se font tous circoncire, ce qu’ils font. Mais la conclusion du récit biblique est différente. Une fois circoncis, les gens de Sichem et Hamor son massacrés traîtreusement par Siméon et Lévi, les fils de Jacob…
Il s’agit des tablettes d’argile composées en akkadien cunéiforme, découvertes en 1887. Plusieurs centaines de lettres ont été retrouvées depuis, dispersées dans plusieurs musées du monde, notamment au Caire et à Berlin.
Geheiligt, à la forme passive, car ils sont « rendus sacrés » par la circoncision (Exode 19,6).
On le disait bègue (Exode 4,10 ; 4,15).
Désignation allemande du « passage de la mer Rouge ».
Osée, le premier des douze « petits prophètes », dits les « douze inspirés », l’un des plus violents harangueurs d’Israël.
Nom donné par l’exégèse au corpus historique composé du Pentateuque et du livre de Josué, les six premiers livres de la Bible.
Nom allemand de la « colonne de nuées » des bibles françaises…
Rappelons que Tendenz désigne en allemand à la fois une tendance objective et une tendance subjective, voire une intention, ou une démarche « tendancieuse ». Ein Tendenzdichter est un poète engagé, poursuivant consciemment certaines fins politiques.
Le Deutéronome ou « deuxième Loi » est le cinquième livre de la Torah (du Pentateuque, ou des livres de Moïse, comme dit la Bible de Luther). Il contient notamment le récit de la mort de Moïse.
Entstellung : ce jeu sémantique intervient sans doute, moins explicitement, dans la description du travail onirique de L’Interprétation du rêve à laquelle cette remarque de Freud fait ici écho. Il y fonctionne comme antonyme de Darstellung (figuration), mais associé aux autres procédures du travail du rêve, dont le déplacement (Verschiebung). Il anticipe aussi la « grande explication » à venir…
Exode 4,24-26.
Odium, littéralement la « haine », avec un statut quasi institutionnel.
Er hat das Gesetz gebrochen : « il a rompu la loi ».
La stèle de Merneptah [parfois transcrit Merenptah], découverte en 1896 par Flinder Petrie dans le temple funéraire du pharaon éponyme, est surtout connue comme le seul texte égyptien contenant une mention d’un peuple cananéen qui pourrait être identifié à Israël. Merneptah pourrait être le pharaon contemporain de l’Exode.