« Radio VINCI Autoroutes, l’info trafic : Sébastien Drey. Bientôt 8 h 30. Vos conditions de circulation dans le Sud du pays. Peu d’évolutions si vous nous avez suivis un peu plus tôt, à noter qu’un poids lourd est toujours sur la bande d’arrêt d’urgence, du côté de…  »

— Vous pourriez changer de station ?

La conductrice obtempéra, sélectionna Virgin Radio puis reporta sa concentration sur la route.

La voiture filait sur l’A61 en direction de Narbonne.

À l’intérieur, quatre individus. Quatre destins. Des anonymes cachés derrière un pseudonyme, partageant un morceau de vie à grande vitesse grâce à une application de covoiturage.

L’autoroute des Deux-Mers ressemblait à un interminable ruban d’asphalte nimbé de brouillard. À cette heure-ci, la voie rapide était presque déserte, seuls quelques camions immatriculés en Espagne se traînaient sur la droite. À une vitesse de croisière de cent trente kilomètres à l’heure, la voiture dépassait ces pachydermes de métal.

Assis à l’arrière, il y avait le taciturne Charlie3131. Conformément à ce qui était stipulé sur son profil, il n’aimait pas faire la conversation, il fixait le paysage monotone d’un air désabusé. Soit. À ses côtés se tenait Lotus M, qui pianotait nerveusement sur son smartphone depuis le départ. C’était elle qui avait demandé à changer de station de radio.

Devant, Coccinelle échangeait des banalités avec Bébé31, la conductrice, d’une humeur plutôt morose malgré son statut d’ambassadrice mentionné sur l’appli.

Un silence pesant finit par s’installer.

Les quatre voyageurs étaient partis de Toulouse depuis un peu plus d’une heure, pourtant l’envie de faire une halte s’imposait déjà à eux. Ils avaient effectué plus de la moitié du trajet jusqu’à Perpignan – leur destination finale –, aussi décidèrent-ils après concertation de s’arrêter.

Un panneau apparut, tel un signe providentiel, pour le plus grand bonheur des vessies pleines et des organismes en mal de nicotine : aire de Gignac.

La voiture se déporta sur la droite, suivit le lacet vers l’aire de repos en ralentissant. Le parking était enclavé de brume, abandonné, à l’exception d’un véhicule garé sur une place pour handicapé, près des toilettes.

Un bouquet d’arbres entourait les sanitaires, les cimes disparaissaient dans la grisaille oppressante. Des sacs-poubelle, des cartons de fast-food et des packs de bière étaient entassés à côté des conteneurs à déchets semi-enterrés. Une nuée de mouches tourbillonnait autour. Des flaques nauséabondes s’étalaient sur le trottoir jonché de mégots et d’emballages. C’était glauque. Dégueulasse. Les paroles de I Heard It Through the Grapevine, par le groupe américain Creedence, émanaient des enceintes disséminées dans les toilettes et flottaient dans l’air, ajoutant une note incongrue à ce décor passablement étrange, un décalage entre la mélodie entraînante et cette atmosphère poisseuse digne d’un Tarantino.

L’endroit était calme. Trop calme.

La voiture se gara à une dizaine de mètres de l’autre véhicule.

En sortant, aucun des quatre voyageurs ne remarqua l’homme au physique de colosse dans les sanitaires. Un homme recouvert de sang.