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Samedi 30 octobre, 20 h 05

L’écran diffusait un film de la série Halloween ; Charles ne se souvenait même plus duquel. Une jambe posée sur l’autre, il dévorait ses pâtes au pesto, tout en se demandant comment Michael Myers parvenait systématiquement à rattraper ses victimes en marchant… Il but une gorgée de bière. Il enroulait des tagliatelles gorgées de sauce sur sa fourchette quand un son creux tinta à l’extérieur, gommant les cris d’épouvante de la jeune femme à la télévision, qui, quoi qu’il arrive, finirait inéluctablement en charpie sous les coups de couteau du tueur masqué. Il suspendit son geste.

Le bruit retentit à nouveau.

Le carillon.

Charles, circonspect, reposa ses couverts. Ce truc continuait à tintinnabuler alors qu’il l’avait décroché plus tôt dans la journée. Sans doute à cause du vent. Il aurait dû le rentrer. Dans le raffut des hurlements émanant de la télévision, il se leva et ouvrit la porte d’entrée en grand.

Le carillon était suspendu à la poutre, chahuté par les bourrasques chargées d’eau qui fouettaient la clairière.

Charles resta coi. Un sentiment d’angoisse l’étreignit, combiné à une pointe d’excitation. On souhaitait lui jouer un mauvais tour. Il n’y avait pas d’autre explication. À lui, le semeur d’épouvante. Le challenge était intéressant. Il troquait son statut d’offenseur contre celui de victime. Il ravala sa fierté, se décrispa. Un sourire anima son visage. Si quelqu’un voulait jouer, alors il allait jouer.

La terrasse était détrempée. Il posa une pantoufle sur une planche humide et tendit le bras en s’étirant au maximum pour attraper ce foutu carillon.

Du regard, il fouilla les environs. Seules les lumières des chalets poinçonnaient l’obscurité. Charles nota que les trois autres habitations étaient illuminées ; elles étaient toutes occupées.

Il rentra au chaud, essuya son chausson mouillé sur le paillasson, sa figure avec la manche de son pull, puis expédia l’objet bruyant sur une des chaises du salon.

Canapé. Platée de pâtes. Michael Myers qui tue tout le monde. En marchant, of course.

Charles termina son assiette. Il se pencha pour attraper sa bière au moment où une série de coups intempestifs cognaient contre le chalet. Surpris, il lâcha la canette, qui se renversa sur les lattes de bois.

— Fait chier, pesta-t-il à voix basse.

Il se rua vers sa chambre pour fermer la porte, afin que ce visiteur impromptu ne découvre pas son travail épinglé sur le mur.

On frappa avec plus de véhémence.

— Une seconde !

Il se hâta d’éponger la flaque d’alcool avec du sopalin puis alla ouvrir sans masquer sa contrariété.

— Oui ? fit-il sèchement.

— Ça vous éclate ?

Charles recula légèrement.

— Je vous demande pardon ?

— Il est sourd, en plus ? Ça vous éclate de nous mater, sale pervers ?

Une jeune femme était plantée sur la terrasse, l’air irascible. Une de ses paupières tressautait, signe d’irritation. Ingrid, se remémora Charles, toujours aussi bougon. Une des lesbiennes du chalet d’en face. Elle avait les cheveux blonds dégoulinants de pluie, coiffés en deux couettes aux reflets bleus et roses, à l’image du portrait de Harley Quinn floqué sur son T-shirt. La ressemblance était d’ailleurs frappante.

— De quoi vous parlez ?

— Faites pas l’innocent. On vous a vu !

— Où ça ?

— Derrière notre fenêtre. En train de nous observer.

Charles pouffa avec condescendance.

— Vous délirez.

Il médita un court instant. Le lien s’établissait dans son esprit.

— Alors c’est pour ça que vous essayez de me foutre les jetons avec mon carillon ?

— Hein ?

Le romancier se décala de l’embrasure et indiqua les morceaux de bambou qui gouttaient sur la chaise.

Ingrid demeura interdite, les sourcils arqués.

— Essayez pas de me la faire à l’envers en m’embrouillant avec vos conneries. Nous, on veut pas d’ennuis. Alors foutez-nous la paix.

Sur cette dernière réplique, elle fendit la pluie en direction de son chalet.

Charles claqua la porte et la verrouilla à double tour. Il frappa du poing contre le lambris. Une photo encadrée de l’abbaye de Saint-Martin-du-Canigou tomba sur le parquet et se brisa. Il la piétina, furieux d’avoir été cueilli par surprise.

Les palpitations dans sa cage thoracique s’estompèrent et il bondit jusqu’à la fenêtre de la cuisine pour s’assurer qu’Ingrid retournait bel et bien dans son chalet.

C’est juste un imprévu. Tous les autres occupants sont identifiés. Sous contrôle. Il se détendit.

Une forme en mouvement attira soudain son attention, au centre de la clairière, près du chêne. Une ombre fuyant dans les ténèbres.

Une silhouette se carapatait en direction du zoo.