Adossée contre le mur du chalet, Clotilde observait sa voisine d’en face traverser la clairière. Pour le côté discrétion, on repassera, se dit-elle en tirant sur sa cigarette. Son visage anguleux s’illuminait à chaque bouffée de nicotine, lui conférant, supposait-elle, un aspect assez terrifiant. Elle s’interrogeait sur la sortie furtive de la locataire rondelette quand le babyphone recracha les pleurs de sa fille.
Elle écrasa sa cigarette dans le cendrier et fonça à l’intérieur du chalet. Se lava les mains en quatrième vitesse, s’aspergea de parfum avant de remettre la sucette dans la bouche de Nina. Elle coinça doudou-lapin sous son petit bras potelé, s’assit en tailleur à côté du lit parapluie et poursuivit la lecture de l’histoire Les Trois Petits Cochons, au moment où le loup s’apprête à souffler sur la maison en bois…
Une fois la fillette rendormie, Clotilde recula sans faire de bruit jusqu’au canapé. Le livre Market Terror traînait entre les coussins. Pendant dix minutes, elle bouquina, installée en amazone, un plaid sur les genoux. Malgré une histoire alambiquée et des personnages attendus, le livre était prenant. Et puis il lui procurait quelques frissons, elle devait bien le reconnaître. Les êtres humains révélaient leur vraie nature lorsque leur quotidien s’effritait. Les situations critiques réveillaient leur part animale. Ce thriller le démontrait bien. Assurément, le type qui avait écrit cette histoire n’était pas tranquille.
Après s’être assurée que Nina dormait profondément, elle reposa le roman.
Cuisine. Réfrigérateur. Verre à pied. Chardonnay !
Elle passa sa veste de sport sur ses épaules et retourna sur la terrasse. Construit à l’est de l’esplanade, à l’orée des arbres dressés en amont du ravin, le chalet était relativement épargné par les trombes d’eau obliques qui criblaient la vallée.
Après la dispute entre la blonde de la BM et le métalleux, puis le passage éclair de la bonne femme lunatique, la clairière avait recouvré son calme habituel. Deux habitations sur trois étaient éclairées. Clotilde but une gorgée de vin blanc, attrapa une nouvelle cigarette. En temps normal, elle en fumait une par jour, le soir, quand Nina dormait – la seule entorse au régime de vie draconien qu’elle s’imposait –, mais ce soir le stress la poussait à enfreindre la règle.
Elle écarta les mèches de cheveux qui encadraient son visage, les lèvres pincées autour de sa clope. Le briquet lui échappa. Elle serra les poings pour contenir sa colère, ne pas réveiller Nina.
Elle se pencha et, cette fois-ci, alluma sa cigarette en maîtrisant les tressautements de sa main.
Dans la poche de sa veste, elle récupéra le mot qu’elle avait découvert plus tôt dans la soirée, glissé sous sa porte. Elle le déplia.
JE CONNAIS VOTRE SECRET.
Clotilde tirait sur sa clope comme une condamnée à mort.
Quelqu’un l’avait démasquée.
Quelqu’un, parmi les occupants des chalets, la menaçait.