Les entailles burinées dans le tronc étaient claires, détonnant avec l’écorce rabotée et mouillée de couleur marron foncé. L’œuvre était récente, réalisée avec un couteau.
Cinq personnages gravés dans le chêne, sous une inscription sibylline.
Trois femmes, deux hommes.
Un trait oblique raturait le dernier.
Clotilde s’arracha à cette étrange vision et poussa Nina vers le rideau d’arbres en direction du zoo.
La bruine s’était transformée en un crachin pénétrant.
Elle entonna une comptine d’un ton guilleret. À l’âge de Nina, les enfants étaient des « éponges », ils absorbaient les émotions de leurs parents, aussi Clotilde singeait-elle une attitude enjouée. Elle hissa à bout de bras la poussette par-dessus le châtaignier abattu et arpenta le chemin jusqu’au parking du zoo. Les feuilles perlées d’eau semblaient tout droit sorties d’une contrée imaginaire, l’écorce des troncs brillait comme s’ils étaient incrustés de diamants, les flaques sporadiques miroitaient dans la semi-obscurité.
Clotilde se figea à l’orée de la forêt.
Un Kangoo de la gendarmerie stationnait sur les graviers.
Elle avança à sa rencontre, remarqua que les guichets du parc animalier étaient fermés. Bizarre. Deux gendarmes se tenaient près du véhicule, sanglés dans leur gilet pare-balles, arme à la ceinture. Des officiers de police judiciaire, devina Clotilde, pour avoir déjà collaboré avec certains d’entre eux lors de ses interventions. Le premier était une jeune femme de son âge, blonde avec une queue-de-cheval glissée dans sa casquette ; le second, un homme sec d’une cinquantaine d’années, coupe rase grisonnante, lunettes fines et rectangulaires posées sur un nez courbé. Alertés par le crissement des roues de la poussette sur le gravier, ils pivotèrent. Leur expression trahissait une surprise évidente : ils ne s’attendaient pas à croiser une touriste, qui plus est avec un bébé.
— Qu’est-ce que vous faites ici ? demanda la gendarme.
Clotilde balbutia :
— Je suis pour quelques jours dans les chalets, plus haut.
Coup d’œil soupçonneux entre les militaires.
— Vous êtes nombreux, là-bas ? s’enquit le plus âgé.
— Les quatre habitations sont occupées, oui.
Clotilde devait venir ici pour appeler les secours, or la présence inopinée des gendarmes la désarçonnait. L’attitude méfiante de ces derniers, pour ne pas dire hostile, lui faisait perdre ses moyens.
— Il y a un problème avec le zoo ?
— Oui, confirma la jeune femme. Il y a eu une intrusion cette nuit. Pourquoi n’êtes-vous pas enfermée dans votre logement ?
— Vous ne pouvez pas rester ici, embraya l’autre d’une voix autoritaire. C’est dangereux. Vous n’avez pas été prévenue ?
Clotilde hallucinait.
— Prévenue ? Mais de quoi ?
— Retournez dans votre chalet, s’il vous plaît, éluda la gendarme d’un ton conciliant. Des collègues passeront vous avertir quand la zone sera à nouveau sûre.
Clotilde demeurait interdite. Elle se rappela enfin le motif de sa promenade.
— Attendez, il y a un arbre qui barre le chemin. Vous pourriez venir voir ?
Le gendarme soupira bruyamment.
— Écoutez, madame. Nous ne pouvons rien faire pour vous dans l’immédiat. Appelez les pompiers. Cela dit je doute qu’ils puissent vous aider pour l’instant, ils sont saturés d’appels. Avec la pluie qui est tombée hier et cette nuit, la rivière du Cady est en crue, il y a eu des inondations et des éboulements de terrain en aval de la vallée. La route qui relie Vernet-les-Bains à Villefranche-de-Conflent est coupée. Nos collègues et les pompiers sont débordés. Surtout que les recherches se poursuivent. Les équipes devraient bientôt arriver dans ce secteur.
— Quelles recherches ?
Il esquiva d’une voix sans appel :
— Rentrez dans votre chalet. Prévenez les autres locataires, verrouillez les portes et les fenêtres. Des collègues vous avertiront quand la situation sera sous contrôle.
Clotilde perdait patience.
— Donc vous n’allez rien faire pour cet arbre ?
— Nous sommes vraiment débordés à l’heure actuelle, répondit la gendarme. Et de toute manière la population est priée de rester confinée chez elle jusqu’à nouvel ordre.
— Que se passe-t-il, enfin ? Pourquoi vous ne voulez rien me dire ?
La jeune femme tendit une carte.
— Voici mon numéro. Appelez-moi s’il y a une urgence avec votre bébé. On viendra vous chercher. Pour l’instant, barricadez-vous dans votre chalet.
Elle hésita une seconde, souffla. Puis :
— Il y a eu une évasion hier matin sur la route de Vernet-les-Bains. Un individu dangereux est dans la nature. On le recherche activement.