C’était un petit homme trapu et légèrement rubicond, dont les cheveux bruns veinés de blanc commençaient à se raréfier au sommet du crâne. J’étais assis dans le cabinet de travail de sa maison de campagne, au nord de l’État de New York, et je buvais une bière tout en lui résumant mes problèmes. Il savait écouter, et la fenêtre me révélait une nuit étoilée.
« Vous dites que ce Luke n’est pas réapparu le lendemain, répéta-t-il. Vous a-t-il laissé un message ?
— Non.
— Et vous, qu’avez-vous fait, très exactement ?
— Je suis retourné dans sa chambre à mon éveil. Rien n’avait changé. Ensuite, j’ai gagné la réception. Rien. Après avoir pris mon petit déjeuner, je suis allé voir à nouveau. Toujours rien. Alors, j’ai fait une longue promenade dans la ville, jusqu’à midi. Après avoir déjeuné, j’ai regagné sa chambre. La même chose. Je me suis permis d’emprunter les clés de sa voiture pour retourner dans les montagnes, là où avait eu lieu la fusillade. Rien de suspect. J’ai même gravi la pente et regardé aux alentours. Pas de corps, pas le moindre indice. De retour en ville, j’ai déposé ses clés dans sa chambre et suis allé attendre l’heure du dîner au salon de l’hôtel. Je vous ai téléphoné sitôt après. Comme vous m’avez dit de venir, j’ai réservé une place sur le vol pour New York du lendemain et me suis couché de bonne heure. Ce matin, j’ai regagné Albuquerque par le car et pris l’avion.
— Êtes-vous retourné dans sa chambre, avant votre départ ?
— Ouais. Rien de neuf. »
Il ralluma sa pipe.
Cet homme s’appelait Bill Roth et avait été l’ami et le conseiller juridique de mon père, à l’époque où ce dernier vivait dans la région. C’était peut-être le seul habitant de ce monde auquel mon père avait accordé sa confiance, et j’étais sûr de sa loyauté. Je lui avais rendu visite à plusieurs reprises, au cours des huit années écoulées... la dernière fois, un an et demi plus tôt, en de tristes circonstances : les funérailles de sa femme. Je lui avais raconté l’histoire de mon père, telle qu’il me l’avait lui-même narrée hors des Cours du Chaos, ayant l’impression qu’il désirait que Bill fût mis au courant, comme s’il estimait qu’il devait des explications à cet homme qui l’avait tant aidé. Et Bill avait semblé me croire et comprendre. Il faut dire qu’il connaissait mon père bien mieux que moi.
« J’avais déjà noté une forte ressemblance, entre vous. »
J’acquiesçai d’un hochement de tête.
« Ce n’est pas uniquement physique, ajouta-t-il. Fut un temps, Carl avait pour habitude de surgir comme un pilote de chasse dont l’avion aurait été abattu derrière les lignes ennemies. Je n’oublierai jamais la nuit où il arriva monté sur un destrier, avec une épée à la ceinture, pour me charger de découvrir ce qu’était devenu un tas de compost. Et voici que son fils me raconte une histoire pouvant laisser supposer qu’on vient de rouvrir la boîte de Pandore. Ah ! pourquoi n’êtes-vous pas venu me voir pour un divorce, faire votre testament, monter une société, rédiger un contrat d’association ou autre chose de ce genre ? Non, votre problème me rappelle ceux qu’avait votre père. Même si ce que j’ai fait jusqu’à présent pour Ambre peut paraître comparativement banal.
— Vous voulez parler de l’Accord... lorsque Random vous a envoyé Fiona avec une copie du traité de la Marelle qui devait être signé avec Swayvill, roi du Chaos, afin qu’elle vous le traduise et que vous en cherchiez les lacunes ?
— Effectivement. C’est d’ailleurs ainsi que j’ai appris votre langage. Puis Fiona a voulu récupérer sa bibliothèque... une tâche peu aisée... et ensuite retrouver un ancien amant. J’ignore toujours si c’était par nostalgie ou désir de vengeance, mais j’ai été payé en or, ce qui m’a permis d’acheter ma maison de Palm Beach. Puis... Oh ! bon Dieu. J’ai parfois même envisagé d’ajouter “Conseiller de la cour d’Ambre” sur mes cartes de visite. Mais tout cela était relativement commun. Je suis constamment chargé d’effectuer des démarches de ce genre, à un niveau plus terre à terre. Cependant, on retrouve dans votre récit les éléments de magie noire et de meurtre qui semblaient indissociables de votre père. Cela m’inspire de la terreur, et je ne saurais même pas vous conseiller.
— Eh bien, disons que sorcellerie et violence sont mon domaine. En fait, cela influence ma façon de penser. Je sais que vous ne voyez pas la situation sous le même jour que moi. Ce qui m’échappe est, par définition, ce dont je n’ai pas conscience. Qu’ai-je bien pu omettre, selon vous ? »
Il but une gorgée de bière, ralluma sa pipe.
« D’accord. Commençons par votre ami Luke... d’où vient-il ?
— Je crois qu’il est originaire du Midwest : Nebraska, Iowa, Ohio... un de ces États.
— Mm-hm. Que font ses parents ?
— Je n’en sais rien.
— A-t-il des frères ou des sœurs ?
— Je l’ignore.
— Vous ne trouvez pas ça bizarre... qu’il n’ait jamais rien dit de sa famille ou de sa ville natale, depuis huit ans que vous vous connaissez ?
— Non. Après tout, je n’ai jamais parlé des miens ou de mes origines, moi non plus.
— Ce n’est pas normal, Merle. Vous n’avez pas passé votre enfance sur ce monde, ce qui vous donne d’excellentes raisons d’éluder ce sujet. Mais pourquoi Luke a-t-il fait de même ? À votre arrivée, vous ne pouviez connaître nos us et coutumes, mais ne vous êtes-vous jamais interrogé sur son compte, depuis ?
— Bien sûr que si. Cependant, il respectait mon désir de discrétion, et je devais lui rendre la pareille. Nous avions en quelque sorte passé un accord tacite : de tels sujets étaient tabous.
— Comment l’avez-vous rencontré ?
— Nous étions nouveaux au collège, et nous suivions les mêmes cours.
— Vous veniez tous deux d’une autre ville et ne connaissiez personne. Votre amitié date donc du tout début de...
— Non. Les premiers temps, nous nous adressions à peine la parole. Je le prenais pour un petit con imbu de lui-même. Je ne l’aimais pas, et c’était réciproque.
— Pourquoi ?
— L’opinion qu’il avait de moi n’était pas plus flatteuse.
— Vous vous êtes donc rendu graduellement compte que vous vous trompiez.
— Oh ! nous ne nous trompions pas ! C’est en essayant de surpasser l’autre, que nous avons fini par mieux nous connaître. Nous pratiquions les mêmes sports, sortions avec les mêmes filles, tentions d’avoir des notes supérieures...
— Et...
— Progressivement, nous nous sommes respectés. Quand nous avons tous deux réussi à nous qualifier pour les jeux Olympiques, il s’est produit une sorte de rupture. Nous nous sommes donné des tapes dans le dos, avant d’éclater de rire. Nous avons ensuite dîné ensemble et passé toute la nuit à discuter. Luke m’a dit qu’il se fichait pas mal des jeux Olympiques, et je lui ai répondu : “Moi aussi.” Il a ajouté qu’il avait seulement voulu me démontrer qu’il était meilleur que moi, mais qu’il estimait désormais cela sans importance, que nous étions tous deux hors du commun, et qu’il était inutile de poursuivre cette compétition. Comme je partageais entièrement son point de vue, nous sommes devenus amis.
— Je vois. Une sorte de camaraderie spécialisée. Copains dans certains domaines. »
J’eus un rire et pris mon verre.
« N’est-ce pas toujours le cas ?
— C’est fréquent, surtout au début. Il n’y a pas de mal à ça. Disons simplement que ça saute aux yeux, dans votre cas.
— Possible.
— Mais cela n’explique rien. Deux jeunes gens aussi liés que vous l’étiez... et sans passé à se raconter.
— Vous devez avoir raison. Qu’en déduisez-vous ?
— Vous n’êtes pas ce que l’on pourrait appeler un être humain normal.
— Non.
— Je ne suis pas certain que Luke en soit un, lui non plus.
— Que pourrait-il être, alors ?
— Cela relève de votre domaine. Mais ce sujet mis à part, quelque chose me tracasse.
— Quoi ?
— Ce Martinez. Il vous a suivis en pleine nature, s’est glissé furtivement jusqu’à vous, puis a ouvert le feu. Qui voulait-il tuer ? Luke ? Vous ? Les deux ?
— Je l’ignore. Je ne sais pas à qui était destinée la première balle. Quand Luke a riposté, Martinez s’est vu contraint de se défendre.
— Exactement. Mais si Martinez était F... ou un de ses émissaires... pourquoi aurait-il pris la peine de vous aborder au bar de cet hôtel ?
— J’ai à présent l’impression que son histoire de capitaux n’était qu’un prétexte pour engager la conversation et me demander si Luke connaissait Ambre.
— Votre réponse a été négative, mais votre réaction l’a incité à croire que vous mentiez.
— En fait, Luke était bel et bien au courant... d’après ce qu’il m’a avoué ensuite. Vous croyez qu’il pourrait être un tueur à la solde d’un Ambrien ?
— Possible. Pourquoi n’en serait-il pas un lui-même ?
— Je n’ai entendu parler de personne pouvant correspondre à la description de Luke, au cours de mon séjour en Ambre. J’ai en outre consulté un grand nombre d’ouvrages généalogiques. Mes parents s’intéressent énormément à ce sujet, même s’ils sont moins ordonnés que ceux du Chaos... il leur arrive même de se quereller pour savoir qui est l’aîné, parce que certains d’entre eux sont nés dans des lieux où les courants temporels sont différents... mais tout est consigné dans leurs archives.
— Le Chaos ! Il est vrai que vous y avez également des parents ! Est-ce que... »
Je secouai négativement la tête.
« Impossible. Je connais encore mieux les familles du Chaos. Je pourrais énumérer tous ceux qui sont capables de manipuler Ombre, d’y voyager. Luke n’est pas l’un d’eux, et...
— Une minute ! Y a-t-il dans les Cours d’autres personnes qui peuvent traverser Ombre ?
— Oui. Ou encore ramener à elles des choses prélevées en Ombre. C’est en quelque sorte une inversion de...
— Je croyais qu’il fallait subir l’épreuve de la Marelle, pour en être capable ?
— Ils ont une sorte d’équivalent de la Marelle, appelé le Logrus. Un labyrinthe chaotique, en perpétuel mouvement. Très dangereux. Il engendre un déséquilibre mental temporaire. Extrêmement désagréable.
— Vous l’avez donc traversé ?
— Oui.
— Et vous avez également subi l’épreuve de la Marelle ? »
J’humectai mes lèvres, à ce souvenir.
« Effectivement. Et j’ai bien failli y perdre la vie. Suhuy pensait que je périrais mais Fiona estimait que je pourrais réussir, si elle m’aidait. J’étais...
— Qui est Suhuy ?
— Le Maître du Logrus... et également un de mes oncles. Pour lui, la Marelle d’Ambre et le Logrus du Chaos étaient incompatibles. Random, Fiona et Gérard m’avaient guidé jusqu’à la Marelle, quand je pris contact avec Suhuy et lui demandai de venir y jeter un coup d’œil. Il me dit alors que la Marelle et le Logrus étaient antithétiques et que je serais détruit, ou que je ne pourrais garder en moi les images de l’un et de l’autre... la première hypothèse étant la plus plausible. Fiona estimait quant à elle que la Marelle pouvait englober toute chose, y compris le Logrus, et que ce dernier était capable de s’adapter à toute chose, y compris la Marelle. Aussi me laissèrent-ils décider seul, et je compris que je devais tenter cette épreuve. Je parvins à traverser, et j’ai toujours en moi le Logrus et la Marelle. Suhuy reconnut que Fi avait vu juste, et attribua ma réussite au fait que mon père était originaire d’Ambre et ma mère du Chaos. Fiona n’était pas du même avis, et... »
Bill leva la main, pour m’interrompre.
« Une minute. Je ne comprends pas comment vous avez pu faire venir si rapidement votre oncle Suhuy dans le sous-sol du palais d’Ambre.
— Oh ! je dispose de deux jeux d’Atouts, l’un d’Ambre et l’autre du Chaos, grâce à mes parents des Cours.
— Tout cela est passionnant, mais nous nous écartons du sujet. D’autres personnes peuvent-elles voyager en Ombre ? Existe-t-il d’autres façons de parvenir à ce résultat ?
— Oui, les méthodes ne manquent pas. Un certain nombre de créatures magiques, comme la Licorne, peuvent se rendre où elles le désirent. N’importe qui peut encore suivre un voyageur d’Ombre ou une de ces créatures surnaturelles, tant qu’on ne perd pas sa trace. Et rien n’empêche un voyageur d’Ombre de se faire accompagner par toute une armée. Je pourrais encore citer les habitants de divers royaumes d’Ombre proches d’Ambre ou du Chaos. On trouve parmi eux de puissants sorciers, en raison de l’influence des deux centres du pouvoir. Certains, parmi les plus doués, sont devenus des experts en la matière... même si leurs images de la Marelle et du Logrus sont imparfaites et ne peuvent être comparées aux originaux. Mais à ces deux extrémités, il n’est même pas utile d’être initié pour pouvoir s’aventurer en Ombre, dont les interfaces sont plus ténues. Nous effectuons même des échanges commerciaux avec ces peuples. Et plus les routes établies sont fréquentées, plus il est facile de les suivre. S’en écarter est par contre assez délicat. Mais nous savons que d’importantes forces armées ont traversé. C’est pourquoi nous montons la garde. Julian en Arden. Gérard pour la mer, etc.
— D’autres explications ?
— Une tempête d’Ombre, peut-être.
— De quoi s’agit-il ?
— D’un phénomène naturel, pour lequel nous n’avons aucune explication satisfaisante. La meilleure comparaison que je pourrais trouver, c’est avec un ouragan tropical. Une théorie sur leur origine fait entrer en ligne de compte le battement des ondes de fréquence émises par Ambre et les Cours qui façonnent la nature des ombres. Quoi qu’il en soit, quand une tempête se lève, elle peut traverser un grand nombre d’ombres avant de s’apaiser. Certaines sont dévastatrices, d’autres moins. Mais elles emportent fréquemment des choses avec elles.
— Y compris des personnes ?
— Nous savons que cela s’est déjà produit. »
Il termina sa bière. Je fis de même.
« Et les Atouts ? demanda-t-il. N’importe qui peut apprendre à les utiliser ?
— Oui.
— Il en existe combien de jeux ?
— Je l’ignore.
— Qui les fabrique ?
— Les imagiers sont nombreux, dans les Cours. C’est là-bas que j’ai appris cet art. Il y a encore Fiona et Bleys, en Ambre... et il me semble qu’ils ont transmis leur savoir à Random...
— Ces sorciers dont vous parlez... ceux des royaumes voisins... L’un d’eux pourrait-il faire un jeu d’Atouts ?
— Sans doute, mais les cartes seraient loin d’être parfaites. Je crois savoir qu’il faut être un initié de la Marelle ou du Logrus, pour en fabriquer sans défauts. Certains pourraient cependant faire des jeux utilisables... à condition de courir le risque de périr à l’arrivée ou de se retrouver dans quelques limbes.
— Et le jeu trouvé chez Julia ?...
— Ces Atouts sont des originaux.
— Comment expliquez-vous leur présence dans son appartement ?
— Un initié a dû transmettre son savoir à une personne capable de l’assimiler, et ce dans le plus grand secret. Voilà tout.
— Je vois.
— Nous ne sommes guère avancés, je le crains.
— Je dois disposer de tous les éléments, pour analyser la situation. Comment serait-il autrement possible de savoir dans quel sens diriger les recherches ? Une autre bière ?
— Un moment. »
Je fermai les yeux et visualisai une image du Logrus... mouvante, en déplacement constant. Je m’imaginai l’objet de mon désir, et deux des lignes qui nageaient dans cet univers immatériel acquirent de l’éclat et de la substance. Je déplaçai lentement mes bras, imitant leurs ondulations, leurs soubresauts. Finalement, ces lignes et mes membres semblèrent fusionner. J’ouvris les mains et tendis les bras en avant, en Ombre.
Bill se racla la gorge.
« Hé... que faites-vous, Merle ?
— Une minute. »
Les lignes continueraient de s’étirer à l’infini jusqu’au moment où elles rencontreraient ce que je cherchais... ou bien où j’aurais épuisé ma patience ou ma concentration. Finalement, je perçus une légère secousse : des touches sur deux lignes de pêche.
« Et voilà », déclarai-je.
Et je les ramenai rapidement.
Une bouteille de bière glacée apparut dans chacune de mes mains. Je refermai mes doigts sur elles et en tendis une à Bill.
« Voilà ce que je veux dire en parlant du phénomène inverse d’un voyage en Ombre, dis-je tout en inspirant profondément. Je suis allé y chercher deux bières pour vous éviter de vous rendre dans la cuisine. »
Il étudia l’étiquette orange, et l’inscription verte aux lettres singulières.
« Je ne connais pas ce langage, dit-il. Et encore moins la marque. Vous êtes certain que c’est sans danger ?
— Oui, j’ai choisi une bière réputée.
— Heu... vous n’avez pas pensé à prendre également un ouvre-bouteilles, n’est-ce pas ?
— Oops ! Désolé, je...
— Ne prenez pas cette peine. »
Il se leva, gagna la cuisine, et en revint peu après avec un décapsuleur. Lorsqu’il eut ouvert la première bouteille, de la mousse en jaillit et il dut la placer au-dessus de la corbeille à papier. Tout se passa de façon identique pour la seconde.
« Les objets sont un peu secoués, quand on les ramène rapidement, lui expliquai-je. Il est rare que j’utilise cette méthode lorsque j’ai soif, et je n’ai pas pensé...
— C’est sans importance. »
Il s’essuya les mains dans son mouchoir, puis goûta sa bière.
« Elle est excellente, fit-il observer. Je me demande... non...
— Quoi ?
— Pourriez-vous nous ramener une pizza ?
— Napolitaine ou aux fruits de mer ? »
Le lendemain matin, nous fîmes une longue promenade le long d’un petit cours d’eau qui suivait la limite des terres d’un de ses voisins et clients. Nous marchions lentement. Un bâton à la main et une pipe à la bouche, Bill poursuivait l’interrogatoire commencé le soir précédent.
« Vous avez dit une chose que je n’ai pas relevée sur l’instant, parce que je m’intéressais à d’autres aspects de la situation, déclara-t-il. Vous et Luke vous êtes qualifiés pour les jeux Olympiques, puis avez laissé tomber, c’est bien ça ?
— Oui.
— Quelle discipline ?
— Athlétisme et course sur diverses distances. Nous étions tous deux des coureurs et...
— Et ses temps étaient proches des vôtres ?
— Sacrément. Parfois, c’était mon temps qui était proche du sien.
— Étrange.
— Quoi ? »
La berge devenait abrupte et nous traversâmes le cours d’eau sur des pierres. Un chemin longeait l’autre rive, plus large et moins accidentée.
« Que ce type soit aussi bon que vous dans le domaine sportif est une coïncidence plutôt extraordinaire. D’après ce que je sais, les Ambriens sont bien plus athlétiques que nous. Leur métabolisme particulier leur donne une énergie peu commune, et un pouvoir de récupération et de régénération que nous ne possédons pas. Comment diable ce Luke pouvait-il vous égaler dans des compétitions de haut niveau ?
— C’était un athlète, et il entretenait sa forme physique. Il y a d’autres hommes comme lui... musclés et rapides. »
Il secoua la tête, tout en repartant le long du sentier.
« Je ne dis pas le contraire. Je trouve simplement que c’est une coïncidence de trop. Ce garçon est aussi discret que vous sur son passé, puis il s’avère qu’il connaît votre véritable identité. Dites-moi, est-il vraiment un grand amateur d’art ?
— De quoi ?
— D’art. L’apprécie-t-il au point de collectionner des toiles ?
— Oh ! oui. Nous allions régulièrement aux vernissages et aux expositions organisés par les musées. »
Il renifla et donna un coup de bâton à un caillou, qui disparut dans la rivière.
« Bon, voilà qui affaiblit un argument, mais ne l’élimine pas pour autant.
— Je ne vous suis pas...
— Qu’il ait lui aussi connu ce peintre occultiste dément peut paraître moins étrange, si vous dites que ce type avait du talent et que Luke est amateur d’œuvres d’art.
— Rien ne l’obligeait à m’apprendre qu’il connaissait Melman.
— Exact. Mais ceci ajouté à ses qualités physiques... Même s’il s’agit de simples coïncidences, il est indéniable que ce Luke sort de l’ordinaire.
— J’avoue que cela m’est venu très souvent à l’esprit, depuis l’autre nuit. Mais s’il n’est pas originaire de ce monde, je me demande bien d’où il peut venir.
— Nous avons donc fait le tour de la question, en ce qui le concerne. »
Sur ces mots, Bill s’arrêta pour observer des oiseaux qui s’envolaient d’un terrain marécageux, de l’autre côté du cours d’eau. Il regarda derrière nous.
« Dites-moi... dans un tout autre domaine... quel est votre... heu... votre rang ?
— Que voulez-vous dire ?
— En tant que fils d’un prince d’Ambre, quel est votre statut officiel ?
— Oh ! vous me demandez mon titre ? Je suis duc des Marches de l’Ouest et comte du Kolvir.
— Ce qui signifie ?
— Que je ne suis pas un prince d’Ambre ; que personne n’a à redouter que je veuille accéder un jour au trône ; que je ne risque pas d’être assassiné pour des questions de succession...
— Hm.
— Pourquoi ce “hm” ? »
Il haussa les épaules.
« J’ai trop lu de récits historiques. Personne n’est en sécurité.
— Selon les derniers communiqués, tout était calme sur le front intérieur.
— Eh bien, voilà au moins une bonne nouvelle. »
Nous atteignîmes une vaste grève de galets et de sable, qui montait doucement sur une dizaine de mètres vers une levée de terre abrupte de près de deux mètres cinquante de hauteur. Je regardai la ligne tracée par les crues et les racines dénudées des arbres poussant au sommet. Bill s’assit sur un rocher, sous leur ombre, et ralluma sa pipe. Je m’installai sur une pierre proche, à sa gauche. L’eau clapotait et se ridait, et nous restâmes à admirer ses reflets pendant un long moment.
« Joli, dis-je un peu plus tard. Cet endroit est très agréable.
— Uh-uh. »
Il regardait à nouveau dans la direction d’où nous étions venus.
« Quelque chose ? fis-je à voix basse.
— Il m’a semblé entrevoir quelqu’un, tout à l’heure, murmura-t-il. Un homme qui venait dans notre direction... à une certaine distance derrière nous. Puis les courbes de la berge me l’ont dissimulé.
— Je ferais mieux d’aller jeter un coup d’œil.
— J’ai pu me faire des idées. Le temps est magnifique et les promeneurs sont nombreux, par ici. J’ai décidé cette petite halte pour l’attendre, mais sans doute est-il allé ailleurs.
— Pourriez-vous me le décrire ?
— Non. Je l’ai seulement entrevu. Il n’y a pas de quoi s’inquiéter. À force de réfléchir à votre histoire, je suis devenu méfiant... ou paranoïaque. J’hésite à me prononcer. »
Je pris ma propre pipe, la bourrai, l’allumai. Nous attendîmes à peu près un quart d’heure. Personne n’apparut.
Finalement, Bill se leva et s’étira.
« Fausse alerte, déclara-t-il.
— Probablement. »
Il repartit, et je lui emboîtai le pas.
« Et il y a encore cette Jasra qui m’inquiète, ajouta-t-il. Vous dites qu’elle vous a rejoint en utilisant un Atout... et qu’elle avait dans la bouche une aiguille empoisonnée ?
— Exact.
— Aviez-vous déjà rencontré quelqu’un comme elle, auparavant ?
— Jamais.
— Des suppositions ? »
Je répondis négativement.
« Et pourquoi cette histoire de nuit de Walpurgis ? Je comprends que cette date puisse avoir une signification pour un psychopathe, et que les adeptes de certaines religions primitives accordent de l’importance au retour du printemps. Mais F agit avec trop de méthode pour que nous le classions parmi les malades mentaux. Quant à cet autre type...
— Melman accordait de l’importance à cette date.
— Oui, mais il était plongé dans la sorcellerie jusqu’au cou. Je ne serais pas surpris qu’il ait établi seul ce rapport, intentionnellement ou non. Oui, il a admis que son maître n’avait jamais précisé pourquoi il avait choisi le 30 avril. Cette supposition est de lui. Mais vous êtes mieux placé que moi dans ce domaine. Le fait d’assassiner un membre de votre famille ce jour de l’année a-t-il une signification particulière, ou permet-il d’obtenir un pouvoir quelconque ?
— Rien dont j’ai entendu parler, en tout cas. Mais il existe naturellement un grand nombre de choses que j’ignore. Je suis très jeune, comparé à la plupart des adeptes. Où voulez-vous en venir, Bill ? Vous estimez que F n’est pas un cinglé, et refusez d’admettre qu’il existe un rapport avec la nuit de Walpurgis.
— Je ne sais pas. Je réfléchis à haute voix. Disons que je trouve cela peu plausible, c’est tout. Au fait, saviez-vous que le 30 avril les membres de la Légion étrangère française ont quartier libre pour aller s’enivrer, et deux jours supplémentaires pour dessoûler ? C’est l’anniversaire du combat de Camerone, un de leurs plus grands faits d’armes. Est-ce cependant une raison pour établir un rapport avec l’affaire qui nous concerne ? J’en doute. Et pourquoi le sphinx ? Pourquoi cet Atout qui vous transporte en un lieu où vous devez trouver la solution d’une devinette stupide, ou être dévoré ?
— J’ai l’impression que c’était à la seconde possibilité que pensait l’auteur de cette carte.
— Moi aussi, mais je trouve cela extrêmement bizarre. Vous savez, je parierais qu’elles sont toutes du même genre... des pièges d’une nature ou d’une autre.
— Possible. »
Je plongeai la main dans ma poche, pour les prendre.
« N’y touchez pas, fit-il. Ne nous attirons pas d’ennuis. Vous devriez peut-être les enterrer, pour quelque temps tout au moins. Je pourrais les placer dans mon coffre du bureau. »
J’eus un rire.
« Les coffres-forts ne sont pas assez sûrs. Non, merci. Je préfère les garder sur moi. Il existe peut-être un moyen de les tester sans courir de risques.
— C’est vous le spécialiste. Je voulais justement vous demander si quelque chose ne pourrait pas sortir des scènes représentées sur ces cartes sans que vous...
— Non. Aucun danger de ce genre avec un Atout. Il faut beaucoup d’attention. Énormément de concentration.
— C’est déjà ça. Je... »
Il regarda une fois de plus derrière nous. Quelqu’un approchait. Je fléchis mes doigts, machinalement.
Puis je l’entendis libérer sa respiration.
« Tout va bien, me dit-il. Je le connais. C’est George Hansen. Le fils du propriétaire de la ferme voisine. Salut, George ! »
Le personnage qui approchait nous fit un geste de la main. De taille moyenne et de forte corpulence, il avait des cheveux sable, portait un Levi’s et un tee-shirt de Grateful Dead, avec un paquet de cigarettes glissé sous la manche gauche. Il devait avoir une vingtaine d’années.
« Salut, fit-il, en se rapprochant. Chouette journée, pas vrai ?
— Effectivement, répondit Bill. C’est la raison pour laquelle nous avons préféré faire une petite promenade, plutôt que de rester à la maison. »
Le regard de George se porta sur moi.
« Moi aussi, dit-il, en passant ses dents sur sa lèvre inférieure. Fait vraiment beau.
— Je te présente Merle Corey. Il est venu me rendre une petite visite.
— Merle Corey », répéta George, qui me tendit la main. « Salut, Merle. »
Je la pris et la serrai, la trouvant un peu moite.
« Ce nom te dit quelque chose ?
— Heu... Merle Corey.
— Tu as connu son père.
— Ouais ? Oh ! bien sûr !
— Sam Corey, précisa Bill en m’adressant un regard.
— Sam Corey, répéta George. Heureux de vous rencontrer. Vous comptez rester ici longtemps ?
— Probablement quelques jours. J’ignorais que vous connaissiez mon père.
— Un chic type. D’où venez-vous ?
— Californie, mais j’ai décidé de changer de cadre de vie.
— Où irez-vous ?
— Je compte quitter ce pays.
— Europe ?
— Encore plus loin.
— Terrible. J’aimerais bien voyager, moi aussi.
— Vous le ferez peut-être.
— Possible. Bon, je vous laisse. Profitez de la promenade. Heureux de vous avoir rencontré, Merle.
— Tout le plaisir était pour moi. »
Il recula, nous salua de la main, et s’éloigna.
J’adressai un regard à Bill, et notai qu’il tremblait.
« Qu’est-ce qui se passe ?
— Je connais ce môme depuis toujours. Vous pensez qu’il est camé ?
— En tout cas, je n’ai vu aucune trace de piqûre sur ses bras. Et je n’ai pas eu l’impression qu’il planait.
— Vous ne le connaissez pas aussi bien que moi. Il était... comment dire ?... différent. C’est sous le coup d’une impulsion que j’ai appelé votre père Sam... parce que quelque chose me paraissait bizarre. Sa façon de parler a changé, son attitude, sa démarche... des choses intangibles. J’attendais qu’il me reprenne, et m’apprêtais à faire une plaisanterie sur ma sénilité précoce, mais il a même répété ce prénom, sans relever mon erreur. Merle, j’en ai froid dans le dos ! Il le connaissait très bien... sous le nom de Carl Corey. Votre père aimait vivre dans un cadre agréable, mais pas désherber le jardin ou râteler les feuilles mortes, et c’est George qui a entretenu sa pelouse pendant des années. Il ne peut ignorer qu’il se prénommait Carl.
— Je ne comprends pas.
— Moi non plus, et c’est ce qui m’inquiète.
— Il a donc une conduite étrange... Et vous pensez qu’il nous filait ?
— J’en suis désormais convaincu. C’est une coïncidence trop extraordinaire... juste après votre arrivée. »
Je pivotai.
« Je vais le suivre, et apprendre la vérité.
— Non. Surtout pas.
— Je ne lui ferai aucun mal. Il existe d’autres méthodes.
— Il serait préférable de lui laisser croire qu’il nous a trompés et d’attendre qu’il commette des imprudences ou laisse échapper des informations utiles. En outre, tout ce que vous pourriez faire (même en agissant discrètement ou en employant la magie) révélerait que nous nous méfions de lui. Permettez-lui de filer et estimez-vous heureux d’avoir été mis en garde. Contentez-vous de redoubler de prudence.
— Vous marquez un point. D’accord.
— Rentrons, et allons déjeuner en ville. Je dois faire un saut au bureau pour récupérer certains documents et passer quelques coups de téléphone. J’ai rendez-vous avec un client à deux heures. Vous pourrez prendre la voiture et flâner en attendant que j’aie terminé.
— Parfait. »
Tout en faisant le chemin en sens inverse, je m’interrogeai. J’avais tu certaines choses à Bill. Par exemple, je n’avais pas jugé utile de lui dire qu’un lacet d’étrangleur invisible aux propriétés peu communes restait lové autour de mon poignet gauche. Une de ses propriétés était de me mettre en garde contre les personnes ayant de mauvaises intentions à mon égard, ce qu’il n’avait cessé de faire en présence de Luke au cours des deux années ayant précédé la naissance de notre amitié. Quelle que fût la raison de l’étrange conduite de George Hansen, Frakir n’avait pas réagi.
Étrange, cependant... il y avait un je-ne-sais-quoi dans la façon dont il parlait, dont il prononçait ses paroles...
J’allai faire une promenade en voiture après le déjeuner, pendant que Bill réglait ses affaires. Je me rendis là où mon père avait vécu, des années plus tôt. J’y étais déjà allé un bon nombre de fois, sans jamais pénétrer dans la demeure. Aucune raison valable de le faire, quoi qu’il en soit. Je me garai plus loin sur la route, en haut d’une éminence, et étudiai la maison. Bill m’avait appris qu’un jeune couple y vivait, avec des enfants... ce que je pus constater moi-même en voyant des jouets disséminés dans le jardin. Je tentai de me mettre dans la peau d’un gosse passant son enfance en cet endroit, et supposai que j’aurais trouvé une telle vie agréable. La maison était bien tenue, coquette, et ses occupants devaient être heureux.
Je me demandai où se trouvait Père... s’il était encore parmi les vivants. Personne n’avait pu le joindre par l’entremise de son Atout, mais cela ne prouvait rien. Il existe de nombreuses raisons pour empêcher un tel contact. On disait d’ailleurs que l’une d’elles s’appliquait à son cas, même si je ne voulais pas envisager cette hypothèse.
Selon une rumeur, mon père était devenu fou dans les Cours du Chaos et errait désormais en Ombre, victime d’un sortilège que lui avait lancé ma mère. Mais elle refusait de faire le moindre commentaire à ce sujet. Selon une autre version, il s’était rendu dans un univers qu’il venait de créer et n’en était jamais ressorti, ce qui le plaçait hors d’atteinte des Atouts. On disait encore qu’il avait péri après son départ des Cours... et un certain nombre de mes parents du Chaos m’avaient affirmé l’avoir vu partir après son séjour. Si les rumeurs sur sa mort étaient fondées, il n’avait donc pas péri dans les Cours du Chaos. D’autres personnes prétendaient l’avoir vu plus tard en des lieux extrêmement éloignés, des rencontres ayant pour seul point commun son étrange conduite. L’un disait qu’il voyageait en compagnie d’une danseuse muette (une dame fluette et charmante avec qui il communiquait par gestes) et qu’il ne parlait guère lui non plus. Un autre racontait l’avoir vu beugler dans un saloon, complètement ivre, avant d’être finalement expulsé par les clients qui souhaitaient pouvoir écouter tranquillement l’orchestre. Je ne me serais porté garant de l’authenticité d’aucun de ces récits. Il m’avait fallu de longues recherches simplement pour récolter ces quelques rumeurs. Il m’était également impossible de le localiser par une évocation du Logrus. J’avais essayé maintes fois. Naturellement, s’il se trouvait très loin, mon pouvoir de concentration était peut-être tout simplement insuffisant.
En d’autres termes, j’ignorais totalement où se trouvait mon père, Corwin d’Ambre, et personne ne semblait mieux renseigné que moi. Je le regrettais amèrement, car je n’étais resté véritablement près de lui que lorsqu’il m’avait raconté sa longue histoire hors des Cours du Chaos, le jour de la bataille de la Marelle. Cela avait marqué un tournant dans mon existence, m’incitant à aller acquérir de l’expérience et de la maturité dans le monde-ombre où il avait vécu si longtemps. Il me fallait comprendre ce dernier afin de pouvoir comprendre mon père. J’estimais y être parvenu, au-delà de mes espérances, mais il m’était impossible de le joindre pour reprendre notre entretien.
J’allais tester une nouvelle méthode pour le localiser (maintenant que la Roue spectrale était presque prête), quand la situation s’était brusquement dégradée. J’avais eu l’intention de me rendre dans mon univers personnel et me mettre à l’ouvrage, après un voyage à travers le pays prévu pour s’achever chez Bill un ou deux mois plus tard.
Mais à présent que l’imprévu s’en était mêlé, je devais régler un problème plus urgent avant de pouvoir me consacrer à cette quête.
Je passai devant la maison, roulant au pas. J’entendis de la musique par les fenêtres ouvertes et jugeai préférable de ne pas savoir exactement à quoi ressemblait l’intérieur. Mieux vaut parfois préserver un peu de mystère.
Ce soir-là, après le dîner, je m’assis sur la véranda avec Bill et cherchai d’autres sujets pour m’occuper l’esprit. Je n’y étais toujours pas parvenu quand il prit l’initiative de nous rebrancher sur notre roman-feuilleton.
« Autre chose, commença-t-il.
— Dan Martinez vous a abordé en déclarant que Luke cherchait des investisseurs pour fonder une nouvelle société d’informatique. Vous avez ensuite estimé qu’il s’agissait d’une simple excuse, d’un moyen d’endormir votre méfiance avant de vous poser cette question sur Ambre et le Chaos.
— Exact.
— Mais ensuite Luke a effectivement parlé de se lancer dans ce genre d’activités, tout en affirmant ne pas avoir pris contact avec des commanditaires potentiels et ne pas connaître ce Dan Martinez. Même lorsqu’il a eu le cadavre de ce dernier sous les yeux, un peu plus tard, il a maintenu ne l’avoir jamais rencontré. »
Je l’approuvai d’un hochement de tête.
« Donc, soit Luke mentait, soit Martinez avait appris ses projets d’une façon que nous ignorons.
— Je crois que Luke a dit la vérité. J’ai longuement réfléchi à toute cette histoire. Je le connais bien, et je ne crois pas qu’il aurait contacté des investisseurs sans être certain d’avoir quelque chose à financer. Il a probablement été sincère, même s’il me semble à présent que c’est la seule véritable coïncidence de toute cette affaire. J’ai l’impression que Martinez en savait long sur mon ami, et qu’il n’ignorait que cela... si Luke connaissait Ambre et les Cours. Cet homme m’a paru très perspicace, et à partir de ce qu’il savait déjà, et du fait que je travaillais pour la même société que Luke, il a pu concocter une fable plausible.
— C’est possible. Mais quand votre ami...
— Je commence à croire que les explications de Luke étaient elles aussi créées de toutes pièces, l’interrompis-je.
— Je ne vous suis plus.
— Je pense qu’il les a inventées de la même façon que Martinez, et pour les mêmes raisons... afin d’obtenir de moi certaines informations sans éveiller outre mesure ma méfiance.
— Je suis perdu. Quelles informations ?
— Ma Roue spectrale. Il voulait savoir de quoi il retournait plus exactement.
— Et il a été déçu d’apprendre que ce n’était qu’un essai de conception hypothétique sans applications pratiques. »
Bill nota mon sourire.
« Il y a autre chose ? fit-il. Un moment. Ne me dites rien. Vous mentiez, vous aussi. Cet appareil existe ?
— Oui.
— Je n’aurais pas dû vous poser cette question... à moins que vous n’estimiez cela important et que vous ne souhaitiez m’en parler. Je pourrais cracher le morceau. Mon seuil de résistance à la douleur est très bas. Réfléchissez-y. »
Je le fis, et restai assis un moment, plongé dans mes pensées.
« Ce risque existe effectivement, déclarai-je. D’une manière marginale à laquelle vous ne vous référiez certainement pas. Mais je ne vois pas en quoi cela pourrait être (pour vous citer) important. Que ce soit pour Luke, ou pour toute autre personne... parce que nul ne sait de quoi il s’agit, moi excepté. Non. Je ne parviens pas à imaginer comment la Roue spectrale pourrait entrer dans cette équation, hormis en ayant éveillé la curiosité de Luke. Voilà pourquoi je vais suivre votre suggestion et m’abstenir de fournir des précisions à son sujet.
— Ça me convient parfaitement. Reste la disparition de Luke... »
Le téléphone sonna à l’intérieur de la maison.
« Excusez-moi », me dit Bill.
Il se leva et gagna la cuisine.
Quelques instants plus tard, je l’entendis crier.
« Merle, c’est pour vous ! »
J’allai le rejoindre. Il répondit par un haussement d’épaules à mon regard interrogateur, et le cours de mes pensées s’accéléra. Je me remémorai qu’il y avait deux autres postes, dans la maison. Je tendis le doigt vers Bill, puis désignai son bureau et mimai l’acte de soulever un combiné et de le porter à l’oreille. Il sourit et s’éloigna.
J’attendis pour parler d’avoir entendu un déclic, afin de faire croire à mon correspondant que j’avais pris la communication sur un second poste.
« Allô ? fis-je.
— Merle Corey ?
— Oui.
— J’ai besoin d’une information que vous pouvez me fournir. »
C’était une voix masculine que je ne pus reconnaître, mais qui me parut familière.
« À qui ai-je l’honneur ?
— Désolé. Je ne puis répondre à votre question.
— En ce cas, je ne répondrai pas à la vôtre.
— Me laisserez-vous la poser ?
— Allez-y.
— D’accord. Vous et Luke Raynard êtes amis. »
Il fit une pause.
« C’est exact, déclarai-je, afin de meubler le silence.
— Vous l’avez entendu parler de lieux appelés Ambre et les Cours du Chaos. »
À nouveau une affirmation.
« C’est possible.
— Savez-vous également certaines choses à ce sujet ? »
Finalement une question.
« C’est possible.
— Je vous en prie. C’est sérieux. Ne soyez pas évasif.
— Désolé. Vous n’obtiendrez rien de plus tant que vous ne me direz pas qui vous êtes, et pourquoi cela vous intéresse.
— Je puis vous être très utile, si vous jouez franc-jeu avec moi. »
Je retins de justesse une réponse et sentis mon pouls s’emballer. Mon interlocuteur venait de s’adresser à moi en thari. Je gardai le silence.
Puis :
« Eh bien, c’est raté. Je ne suis toujours pas fixé.
— Quoi ? À quel sujet ?
— J’ignore lequel de vous deux vient de là-bas.
— Pour parler sans détour, pourquoi cela vous intéresse-t-il ?
— Parce que l’un de vous est en danger.
— Celui qui vient de ce lieu, ou l’autre ?
— Je ne puis rien vous dire. Je n’ai plus de droit à l’erreur.
— Que voulez-vous dire ? Quelle erreur avez-vous déjà commise ?
— Vous refusez de me répondre... est-ce pour protéger votre ami, ou vous-même ?
— Je pourrais jouer cartes sur table, mais qui me dit que ce danger ne vient pas de vous ?
— Je vous assure que je veux seulement aider cette personne.
— Des mots, des mots, toujours des mots. Et en supposant que nous soyons tous deux originaires des lieux auxquels vous vous référez ?
— Oh ! Seigneur ! Non. Ce serait impossible.
— Et pourquoi ?
— Sans importance. Que puis-je faire pour vous convaincre ?
— Mm. Attendez une minute. Laissez-moi réfléchir... Bon, que dites-vous de ceci ? J’accepte de vous rencontrer quelque part. Un lieu de votre choix. Nous sommes face à face et nous échangeons des informations, une à une, jusqu’au moment où nous nous estimons mutuellement satisfaits. »
Un long silence, puis :
« C’est une condition expresse ?
— Oui.
— Accordez-moi un temps de réflexion. Je vous rappellerai sous peu.
— Une chose...
— Quoi ?
— Si j’étais cette personne, serais-je déjà en danger ?
— Je le pense. Oui, c’est indubitable. Au revoir. »
Il raccrocha.
Je parvins à soupirer et jurer en même temps, tout en posant le combiné. Les gens qui nous connaissaient semblaient avoir décidé de se montrer au grand jour.
Bill regagna la cuisine, l’expression inquiète.
« Comment cet interlocuteur anonyme savait-il seulement que vous vous trouviez ici ?
— C’est précisément la question que je voulais vous poser. Trouvez-en une autre.
— C’est chose faite. S’il accepte ce rendez-vous, comptez-vous vous y rendre ?
— Évidemment. Je n’aurais pas fait cette proposition si je ne voulais pas rencontrer ce type.
— Comme vous l’avez vous-même déclaré, c’est peut-être lui, le danger.
— Ça me va. Je peux être dangereux, moi aussi.
— Tout cela ne me plaît guère.
— Je mentirais en disant que je suis fou de joie, mais c’est la meilleure offre qu’on m’ait faite pour l’instant.
— Enfin, c’est à vous de décider. Il est dommage que nous n’ayons aucun moyen de le localiser.
— Ça m’est également venu à l’esprit.
— Écoutez, pourquoi ne pas l’ébranler un peu ?
— Comment ?
— Il m’a paru nerveux, et je ne crois pas qu’il ait apprécié plus que moi votre proposition. Soyons absents, lorsqu’il rappellera. Il prendra de l’assurance, s’il pense que vous êtes resté assis à attendre son coup de téléphone. Laissez-le mijoter. Trouvez-vous des vêtements de circonstance en Ombre et allons passer deux heures au country club. Plus intéressant qu’un raid dans un frigo, non ?
— Bonne idée. J’avais eu l’intention de prendre des vacances, et c’est probablement ce qui peut s’en approcher le plus. »
Je renouvelai ma garde-robe en Ombre, égalisai ma barbe, pris une douche et me vêtis. Puis nous gagnâmes le club en voiture et dînâmes sur la terrasse, en prenant notre temps. C’était une nuit magnifique, embaumée et constellée d’étoiles, baignée par la clarté laiteuse de la lune. Par accord tacite, nous restâmes muets sur mes problèmes. Bill semblait connaître presque tout le monde, ici, et l’ambiance était amicale. Il y avait longtemps que je n’avais pas passé une soirée en étant aussi détendu. Ensuite, nous allâmes prendre un verre au bar, qui avait dû être un des lieux favoris de mon père. De la musique de danse nous parvenait de la salle voisine.
« Oui, vous avez vraiment eu une excellente idée, lui dis-je. Merci.
— De nada. J’ai passé de bons moments, ici, avec votre père. Vous n’auriez pas par hasard...
— Non, aucune nouvelle de lui.
— Désolé.
— Je vous le ferai savoir, dès qu’il réapparaîtra.
— Bien sûr. Merci. »
Le retour s’effectua sans incident, et personne ne nous suivit. Nous arrivâmes peu après minuit et nous nous souhaitâmes une bonne nuit. Après avoir gagné directement ma chambre, je retirai ma veste neuve et l’accrochai dans le placard, me débarrassai de mes nouvelles chaussures et les laissai sur place. Quand je revins vers le lit, je notai un rectangle blanc sur l’oreiller.
Je m’en approchai en deux enjambées et pris la feuille, sur laquelle était écrit en lettres capitales :
DÉSOLÉ DE N’AVOIR PU VOUS JOINDRE, MAIS JE VOUS AI VU AU CLUB ET VOTRE DÉSIR DE SORTIR EST COMPRÉHENSIBLE. CELA M’A DONNÉ UNE IDÉE. RETROUVONS-NOUS AU BAR DU CLUB, DEMAIN SOIR, À DIX HEURES. JE ME SENTIRAI PLUS TRANQUILLE AVEC DU MONDE AUTOUR DE NOUS, MAIS LOIN DES OREILLES INDISCRÈTES.
Merde ! Je voulus aller en informer Bill, puis pensai que cela ne changerait rien à la situation et lui ferait perdre inutilement quelques instants de repos, alors qu’il en avait certainement plus besoin que moi. Aussi repliai-je la note et la glissai-je dans la poche de ma chemise, avant de suspendre cette dernière.
Pas même un cauchemar pour animer mon sommeil. Je dormis profondément, détendu, sachant que Frakir m’éveillerait en cas de danger. Je fis même la grasse matinée et trouvai cela agréable. C’était une journée ensoleillée, et les oiseaux chantaient.
Je descendis au rez-de-chaussée et gagnai la cuisine après m’être humidifié le visage et peigné, et avoir effectué un raid en Ombre pour me procurer un pantalon neuf et une chemise. Je trouvai un message sur la table de la cuisine, un de plus. Mais je reconnus l’écriture de Bill. Il m’annonçait qu’il avait dû se rendre à son bureau et que je devais me débrouiller avec tout ce qui semblait pouvoir convenir à un petit déjeuner. Il rentrerait un peu plus tard.
Je regardai dans le réfrigérateur et y pris des petits pains, une tranche de melon et un verre de jus d’orange. Le café fut prêt peu après, et je sortis sur la véranda avec une tasse.
Assis à l’extérieur de la maison, je me demandai si je n’aurais pas mieux fait de laisser à mon tour un message et de quitter les lieux. Mon correspondant mystérieux (probablement F) avait téléphoné puis pénétré chez Bill. La façon dont il avait appris que je me trouvais ici était sans importance. Si je n’avais guère de scrupules à faire partager certains de mes problèmes à mes amis, je refusais par contre de les exposer au moindre danger. Cependant, il faisait jour, et notre rendez-vous était fixé pour ce soir. Dans quelques heures je saurais à quoi m’en tenir, et il eût été stupide de disparaître à présent. Il était en fait préférable que je reste chez Bill jusqu’à cette rencontre. Je pourrais monter la garde, et le protéger en cas de besoin...
Brusquement, je m’imaginai Bill écrivant ce message sous la menace d’une arme, puis suivant mon interlocuteur mystérieux qui le prenait comme otage pour me contraindre à répondre à ses questions.
Je me précipitai dans la cuisine et composai l’indicatif du bureau de Bill. Horace Crayper, son secrétaire, décrocha à la seconde sonnerie.
« Bonjour, ici Merle Corey. M. Roth est-il arrivé ?
— Oui, mais il se trouve avec un client. Dois-je lui demander de vous rappeler ?
— Non. C’est sans importance. Inutile de le déranger. Merci. »
Je me servis une deuxième tasse de café et regagnai la véranda. Ce genre de situation mettait mes nerfs à rude épreuve. Je décidai de partir le soir même, si tout n’était pas réglé.
Une silhouette apparut à l’angle de la maison.
« Salut, Merle. »
C’était George Hansen. Frakir se contracta légèrement, comme si elle avait voulu me donner un avertissement puis était revenue sur sa décision. Réaction ambiguë. Inhabituelle.
« Salut, George. Comment allez-vous ?
— Très bien, merci. M. Roth est-il là ?
— Non, il a dû se rendre en ville. Il rentrera probablement vers midi, ou un peu plus tard.
— Oh ! il y a quelques jours, il m’a demandé de passer dès que je serais libre ! Il avait un travail à me confier. »
Il approcha, mit un pied sur la marche.
« Désolé, mais je ne peux rien vous dire. Il ne m’en a pas parlé. Il faudra revenir plus tard. »
Il hocha la tête, prit son paquet de cigarettes, en sortit une et l’alluma, puis replaça le paquet dans son tee-shirt. Un Pink Floyd, cette fois.
« Comment se présente votre séjour ? demanda-t-il.
— Très bien. Une tasse de café vous tente ?
— Je l’accepterai avec plaisir. »
Je me levai et entrai.
« Avec un peu de crème et du sucre », ajouta-t-il.
Je la lui préparai et, à mon retour sur la véranda, il était assis dans l’autre fauteuil.
« Merci. »
Il but une gorgée de café, puis ajouta :
« Au fait, je sais que votre père s’appelait Carl et non Sam, comme l’a dit M. Roth. Je n’ai pas voulu le reprendre. Il doit avoir des problèmes de mémoire.
— Ou de prononciation. »
Il sourit.
Qu’avait donc de particulier sa façon de parler ? Sa voix aurait pu être celle entendue la veille au téléphone, mais mon correspondant anonyme avait articulé lentement chaque mot, posément, afin d’en supprimer toute intonation. Ce n’était pas cette comparaison qui me troublait.
« Votre père était un militaire retraité, pas vrai ? Et une sorte de conseiller du gouvernement ?
— Exact.
— Où est-il, à présent ?
— Il se déplace beaucoup... à l’étranger.
— Vous comptez passer lui rendre visite, au cours de votre propre voyage ?
— J’espère pouvoir le faire.
— Vous le saluerez de ma part. »
Il tira sur sa cigarette et avala la fumée, puis une gorgée de café.
« Ah ! C’est bon ! » fit-il avant d’ajouter brusquement : « Mais je ne me souviens pas vous avoir déjà vu. Vous n’avez jamais vécu avec lui, pas vrai ?
— Non. J’ai été élevé par ma mère, et d’autres parents.
— Loin d’ici, hein ?
— Au-delà des mers.
— Comment s’appelle-t-elle ? »
Je faillis le lui dire. Je ne sais pourquoi. Mais je changeai son prénom en « Dorothy », au moment de le prononcer.
Je le regardai et le vis faire une moue. Il m’avait dévisagé pendant que je répondais.
« Pourquoi cette question ?
— Rien de spécial. Curiosité héréditaire. Ma mère colportait tous les ragots, ici. »
Il rit et but du café.
« Vous comptez rester longtemps ?
— Difficile à dire. Mais je ne pense pas.
— Eh bien, je vous souhaite en tout cas une fin de séjour agréable. »
Il termina son café, posa la tasse sur la balustrade, se leva, s’étira et ajouta :
« J’ai été heureux de pouvoir bavarder avec vous. »
Au milieu des marches, il s’arrêta et pivota vers moi.
« J’ai l’impression que vous irez loin, me dit-il. Bonne chance.
— Vous aussi, peut-être. Vous savez jongler avec les mots.
— Merci pour le café. À plus tard.
— Oui. »
Il disparut à l’angle de la maison. Je ne savais quoi penser de lui, et dus renoncer à me faire une opinion sur son compte après plusieurs tentatives. Quand l’inspiration fait défaut, la raison se lasse rapidement.
Je me préparais un sandwich, quand Bill revint. J’en fis un second pendant qu’il allait se changer.
« Je suis censé être en congé, ce mois-ci. Mais il s’agissait d’un vieux client et ses affaires étaient pressantes, alors, j’ai dû y aller, me dit-il. Que diriez-vous de suivre la rivière dans l’autre direction, cet après-midi ?
— Volontiers. »
Alors que nous traversions le champ, je lui parlai de la visite de George.
« Non, je ne lui ai jamais dit que j’avais un travail à lui confier, fit-il.
— En d’autres mots...
— C’est vous qu’il voulait rencontrer. Il m’a probablement vu partir.
— J’aimerais bien savoir ce qu’il me voulait.
— Si c’est important, il reviendra vous le demander.
— Mais le temps presse. J’ai décidé de vous quitter demain matin, peut-être même ce soir.
— Pourquoi ? »
Pendant que nous suivions la berge du cours d’eau, vers l’aval, je lui parlai du message trouvé sur l’oreiller et du rendez-vous prévu pour ce soir. Je lui avouai également mes craintes de l’exposer à des balles perdues, ou lui étant destinées.
« Il ne faut pas dramatiser la situation..., commença-t-il.
— Ma décision est prise, Bill. Je regrette de partir si vite, surtout après être restés si longtemps sans nous voir, mais je n’avais pas prévu ces complications. Et si je m’éloigne, ce mystérieux personnage fera de même.
— C’est probable, mais... »
Nous poursuivîmes cette discussion en longeant la rivière, puis changeâmes finalement de sujet de conversation et passâmes inutilement en revue mes casse-tête. Tout en marchant, je lançais des regards derrière nous, sans voir personne. J’entendais parfois des bruissements dans les buissons de l’autre berge, mais sans doute s’agissait-il d’animaux dérangés par nos voix.
Nous marchions depuis un peu plus d’une heure, lorsque j’eus la prémonition que quelqu’un prenait mon Atout. Je me figeai.
Bill s’immobilisa et pivota vers moi.
Je levai la main.
« Communication interurbaine », annonçai-je.
Un instant plus tard, je perçus le premier contact. J’entendis également des bruits dans les buissons, de l’autre côté du cours d’eau.
« Merlin. »
C’était la voix de Random. Il m’appelait. Je le vis, quelques secondes plus tard, assis à un bureau, dans la bibliothèque d’Ambre.
« Oui ? » répondis-je.
L’image acquit de la substance, de la réalité, comme si nous nous trouvions dans deux pièces mitoyennes. Je voyais toujours mon environnement, cependant, et j’aperçus George Hansen qui se redressait dans les buissons de l’autre berge.
« Tu dois rentrer en Ambre sur-le-champ », déclara Random.
George avança, pénétra dans le cours d’eau.
Random me tendit la main.
« Traverse. »
Mes contours commençaient sans doute à miroiter, car j’entendis George crier :
« Arrêtez ! Attendez ! Je dois vous... »
Je me penchai et saisis Bill par l’épaule.
« Je ne peux pas vous laisser avec ce dingue. Venez ! »
Mon autre main se referma sur celle de Random.
« J’arrive, lui dis-je, en m’avançant.
— Arrêtez ! hurla George.
— Va te faire foutre ! »
Ses doigts se refermèrent sur un arc-en-ciel.