Le défilé était long, obscur, resserré par endroits, et le froid devenait de plus en plus intense au fur et à mesure que nous avancions, mais nous atteignîmes finalement un large plateau rocheux, face à un cratère fumant. Une odeur d’ammoniac flottait dans l’air. Mes pieds étaient gelés et mon visage congestionné, comme toujours. Je cillai en étudiant les nouveaux contours du labyrinthe qu’estompaient les nappes de brouillard en déplacement constant. Tout était recouvert d’un linceul gris perle que traversaient par instants des éclairs orangés.
« Heu... où est-elle ? » me demanda Luke.
Je désignai le point d’origine de la dernière lueur.
« Là-bas. »
À cet instant, le brouillard se dissipa pour révéler d’innombrables arêtes noires et lisses, qui dessinaient des zigzags en direction d’une île-forteresse ceinte d’une muraille basse derrière laquelle se dressaient des structures métalliques.
« C’est... un labyrinthe, murmura-t-il. Allons-nous suivre les couloirs, ou marcher sur les murs ? »
Je souris, pendant qu’il étudiait la scène.
« Ça dépend du moment et du lieu.
— Alors, quelle direction faut-il prendre ?
— Je ne sais pas encore. Je dois l’étudier chaque fois, car il ne cesse de se métamorphoser.
— Se métamorphoser ?
— Oui. L’ensemble flotte sur un lac d’hydrogène liquide et d’hélium. Le labyrinthe s’y déplace sans cesse. Il est toujours différent. Il faut également tenir compte de l’atmosphère. Celui qui déciderait de marcher sur les murs se retrouverait en plusieurs endroits au-dessus de la poche d’air respirable, et ne survivrait pas longtemps. Sans parler des températures qui passent d’un froid insoutenable à une chaleur suffisante pour rôtir un poulet, à seulement quelques dizaines de centimètres d’écart de hauteur. Connaître le chemin ne suffit pas... il est également indispensable de savoir à quel moment il convient de ramper, de grimper sur un mur ou de faire autre chose.
— À quoi t’en rends-tu compte ?
— Uh-uh. Je veux bien te servir de guide, mais pas te livrer mes secrets. »
La brume s’éleva à nouveau pour former de petits nuages.
« Je comprends pourquoi tu n’as pu reproduire cet endroit sur un Atout », fit-il.
Je continuai d’étudier le labyrinthe.
« Ça y est, déclarai-je. Par ici.
— Et si ta Roue nous attaque pendant que nous sommes à l’intérieur ?
— Rien ne t’oblige à m’accompagner.
— Je préfère rester avec toi. Tu vas vraiment arrêter cette machine ?
— Je ne sais pas encore. Viens. »
J’avançai de quelques pas, sur la droite. Un cercle de clarté apparut dans les airs, devant moi. Il devint plus lumineux, et je sentis la main de Luke se poser sur mon épaule.
« Que...
— Pas un pas de plus ! ordonna une voix qui était la mienne.
— Je suis certain que nous parviendrons à trouver un terrain d’entente, répondis-je. J’ai pensé à diverses solutions, et...
— Non ! J’ai entendu les propos de Random.
— Je suis prêt à lui désobéir, s’il existe une autre façon de régler la question.
— Tu espères me duper. Tu veux me débrancher.
— Tes démonstrations de puissance ne font que compliquer la situation. Je vais aller te rejoindre et nous...
— Non ! »
Une rafale de vent sortit du cercle et me cingla, me faisant trébucher. Je vis mes manches virer au brun, puis à l’orange. Elles commençaient à s’effilocher.
« Que fais-tu ? Je dois te parler, t’expliquer...
— Pas ici ! Pas maintenant ! Jamais ! »
Je fus projeté contre Luke, qui tomba à genoux mais parvint à me retenir. Un souffle arctique nous assaillit, et des cristaux de glace dansèrent devant mes yeux. Puis je fus en partie aveuglé par des éclairs colorés.
« Arrête ! » criai-je, inutilement.
Le sol parut s’incliner sous nos pieds. Brusquement, il disparut. Je n’avais cependant pas l’impression de tomber. C’était plutôt comme si nous restions en suspension au cœur d’un ouragan de lumière.
« Arrête ! » hurlai-je à nouveau.
Mais mes paroles furent emportées par le vent.
Le cercle de clarté décrut, paraissant s’éloigner à l’intérieur d’un long tunnel. Puis une avalanche d’informations sensorielles me fit prendre conscience que c’était Luke et moi qui étions emportés loin de sa source, que nous avions déjà été projetés à une distance importante. Nous aurions dû nous retrouver dans les collines, mais il n’y avait rien de solide autour de nous.
Un léger bourdonnement se fit entendre, et s’amplifia pour se changer en grondement sourd. Dans le lointain, je crus voir une minuscule locomotive à vapeur gravir le flanc d’une montagne selon un angle impensable, puis une cataracte inversée, un ciel sous des flots verts. Un banc public passa rapidement devant nous. Une femme à l’épiderme bleuté y était assise, agrippée au dossier, les traits déformés par la terreur.
Je plongeai frénétiquement ma main dans ma poche, conscient que nous risquions d’être tués d’un instant à l’autre.
Luke avait hurlé ces mots contre mon oreille, et sa prise disloquait presque mon bras.
« Tempête d’Ombre ! Tiens bon ! »
Ce conseil était inutile.
Une créature qui me fit penser à un chiroptère s’écrasa sur mon visage, pour être emportée presque aussitôt. Elle laissa une entaille suintante sur ma joue. Quelque chose heurta violemment mon pied gauche.
Une chaîne de montagnes inversées défila devant nous, en s’arquant et ondulant. Le rugissement devint assourdissant. Des ondes de lumière de toutes les couleurs du spectre passaient près de nous, nous frôlant avec une force qui les faisait paraître matérielles. Ampoules de chaleur et carillons de vent...
J’entendis Luke crier, mais ne pus me tourner vers lui pour l’aider. Nous étions à présent dans une zone traversée par des éclairs comparables à ceux de la foudre. Mes cheveux se dressaient sur mon crâne et des décharges électriques parcouraient mon épiderme.
Mes doigts se refermèrent sur le paquet de cartes et le sortirent de ma poche. Nous commencions à tournoyer et je craignais de les laisser échapper. Je les serrai avec force, n’osant les trier, les tenant contre mon corps. Je les levai lentement, prudemment. La première du paquet serait obligatoirement notre porte de sortie.
Des bulles noires se matérialisaient puis éclataient autour de nous, libérant des gaz délétères.
Quand ma main apparut dans mon champ de vision, je découvris que mon épiderme était grisâtre et parcouru de tourbillons fluorescents. Les doigts de Luke, refermés sur mes épaules, étaient cadavériques. Lorsque je portai les yeux sur lui, ce fut une tête de mort souriante qui soutint mon regard.
Je reportai mon attention sur les cartes. Il était difficile de voir nettement l’Atout du dessus à travers la grisaille, et en raison d’un effet d’éloignement singulier, mais j’y parvins finalement. Je reconnus l’avancée de terrain herbue et le petit lac aux flots paisibles, avec une arête cristalline et brillante qui saillait loin sur la droite.
Je concentrai mon attention. Les sons qui me parvenaient par-dessus l’épaule m’indiquaient que Luke s’adressait à moi, mais je ne pouvais comprendre ses paroles. Je continuais de fixer l’Atout, et la scène acquit de la profondeur. Lentement, très lentement. Quelque chose heurta avec force mon flanc, sous ma cage thoracique. Je pris sur moi-même pour ignorer la douleur et me concentrer encore.
Finalement, la scène représentée sur la carte sembla venir vers moi, grandir. Je perçus une fraîcheur familière quand l’image m’absorba. En ce lieu régnait un calme presque élégiaque.
L’herbe amortit ma chute. Mon cœur battait follement, mon flanc était parcouru d’élancements. Je haletais et je percevais toujours les mondes côtoyés, comme l’image d’une autoroute due à la persistance rétinienne lorsqu’on ferme les yeux à la fin d’un long trajet.
Je sentais la douce odeur de l’eau, quand je perdis connaissance.
J’avais la vague impression d’être tiré, porté. Je participai à l’effort, en trébuchant. Je sombrai ensuite dans une inconscience totale, qui se fondit dans le sommeil et les rêves.
... Je longeais les rues d’une Ambre en ruine, sous un ciel de plus en plus bas. Un ange estropié marchait dans les hauteurs qui me surplombaient, en abattant son glaive de feu de tous côtés. De la fumée, de la poussière et des flammes s’élevaient de tout ce que touchait la lame ignée. Son auréole était ma Roue spectrale, d’où se déversaient des vents puissants chevauchés par des abominations qui formaient en passant près de son visage un voile sombre et vivant, et engendraient chaos et désolation partout où elles tombaient. À côté du palais à moitié effondré se dressaient des gibets. Les membres de ma famille s’y balançaient et tournaient sur eux-mêmes sous l’assaut des rafales de vent. Avec une épée dans une main et Frakir qui pendait de l’autre, je montai à la rencontre de l’Ange exterminateur, pour l’affronter. Un pressentiment épouvantable m’envahit alors que je gravissais la pente rocailleuse, comme si mon échec imminent appartenait déjà au passé. Même ainsi, décidai-je, mon adversaire aurait des blessures à panser.
L’être nota ma présence pendant mon approche et pivota vers moi. Son visage m’était toujours dissimulé, lorsqu’il leva son glaive. Je courus à sa rencontre, regrettant seulement de ne pas avoir eu le temps d’empoisonner ma lame. Je virevoltai à deux reprises et feintai, pour le toucher à proximité du genou gauche.
Il s’ensuivit un éclair de lumière, et je tombai, tombai, entouré de flammèches, tel un phénix.
Je chus ainsi pendant ce qui sembla durer un siècle et demi, et me retrouvai couché sur le dos sur la grande table de pierre d’un cadran solaire, dont le style avait manqué de peu m’empaler... ce qui me parut absurde, même en rêve. Il n’existe pas de tels instruments de mesure du temps dans les Cours du Chaos, où nul soleil ne permettrait de les utiliser. Je me trouvais à la bordure d’un jardin, non loin d’une haute tour noire, et je ne pouvais me mouvoir et encore moins me lever. Depuis un balcon de cette tour, ma mère, Dara, belle et majestueuse, abaissait vers moi son regard.
« Mère ! criai-je. Libérez-moi !
— J’ai envoyé quelqu’un te secourir, répondit-elle.
— Qu’est devenue Ambre ?
— Je l’ignore.
— Et mon père ?
— Ne me parle pas des morts. »
Le style du cadran solaire pivota, vint se placer au-dessus de ma gorge, et entama une descente lente mais inexorable.
« Aidez-moi, hurlai-je. Vite !
— Où es-tu ? » cria-t-elle en portant le regard de tous côtés. « Où es-tu passé ?
— Je suis toujours là !
— Où es-tu ? »
Je sentis le style me frôler le cou...
La scène se fragmenta et disparut.
Mes épaules reposaient contre un support solide et mes jambes étaient étendues devant moi. Quelqu’un venait de serrer mon épaule, et me toucher le cou.
« Merle, ça va ? Tu veux boire ? » me demandait une voix familière.
Je pris une profonde inspiration, la libérai. Je cillai, plusieurs fois. La clarté était bleutée, mon univers un ensemble de lignes et d’angles. Une louche apparut devant ma bouche.
« Tiens. »
C’était la voix de Luke.
Je bus l’eau.
« Encore ?
— Oui.
— Une minute. »
Je le sentis se déplacer, j’entendis ses pas s’éloigner. Je regardai la paroi nimbée d’une clarté diffuse, à deux mètres de moi. Je fis courir ma main sur le sol. Il semblait fait du même matériau.
Luke revint bientôt, en souriant, et me donna la louche. Je bus son contenu et la lui rendis.
« Encore ? demanda-t-il.
— Non. Où sommes-nous ?
— Dans une caverne... spacieuse et agréable.
— Où as-tu trouvé à boire ?
— Dans une salle latérale, là-bas. Il y a plusieurs barils d’eau et d’importantes réserves de nourriture. Tu veux manger quelque chose ?
— Pas encore. Tu n’as pas été blessé ?
— Je suis meurtri de toutes parts, mais intact. Tu sembles n’avoir rien de cassé, toi non plus, et l’entaille de ta joue ne saigne plus.
— C’est déjà quelque chose. »
Les ultimes réminiscences de mon rêve se dissolvaient. Je me relevai lentement, et notai que Luke s’était détourné et s’éloignait. Je fis plusieurs pas derrière lui, avant de penser à lui demander :
« Où vas-tu ?
— Là-dedans », dit-il en tendant la louche vers une ouverture dans la paroi.
Je le suivis et pénétrai dans une salle fraîche qui avait approximativement les dimensions du salon de mon ancien appartement. Luke accrocha la louche dans le plus proche de quatre gros barils de bois placés contre la paroi de gauche. En face de l’entrée, je vis des piles de cartons et de sacs.
« Conserves, annonça-t-il. Fruits, légumes, jambon, saumon, biscuits, confiseries. Plusieurs caisses de vin. Un réchaud à alcool et une bonne réserve de combustible. Et même une ou deux bouteilles de cognac. »
Il pivota et passa rapidement devant moi pour regagner l’autre salle.
« Hé, où vas-tu, à présent ? »
Mais il s’éloigna rapidement, sans répondre, et je dus presser le pas pour le rattraper. Nous passâmes devant plusieurs couloirs et ouvertures, puis il s’arrêta et m’annonça : « Voici les latrines. Un simple trou recouvert de quelques planches, mais fonctionnel.
— Où diable sommes-nous ? »
Il leva la main.
« Tu comprendras dans une minute. Par ici. »
Il disparut derrière un mur de saphir. Désorienté, je le suivis. Après plusieurs bifurcations et un retour en arrière, je ne savais plus où je me trouvais et Luke n’était visible nulle part.
Je m’arrêtai et tendis l’oreille. Pas un son, ma respiration exceptée.
« Luke, où es-tu ?
— Là en haut. »
Sa voix paraissait provenir du plafond, sur ma droite. Je passai sous une voûte basse et entrai dans une salle lumineuse, du même cristal bleuté que le reste des lieux. Je notai un sac de couchage et un oreiller dans un angle. Un rai de lumière descendait d’une petite ouverture de la paroi, deux mètres cinquante au-dessus de ma tête.
« Luke ?
— Ici. »
Je vins me placer sous le trou et regardai vers le haut. La clarté me fit ciller et je protégeai mes yeux avec ma main. La tête et les épaules de Luke se découpaient au-dessus de moi, sa chevelure dans laquelle se reflétait la clarté de l’aube ou du crépuscule le parait d’une auréole de flammes. Il souriait à nouveau.
« C’est la sortie, je présume ?
— Une issue qui m’est réservée.
J’entendis un crissement, et le passage fut partiellement obstrué par un gros rocher.
« Que fais-tu ?
— Je compte bloquer l’ouverture, puis caler le rocher avec quelques coins.
— Pourquoi ?
— Les petites fissures sont assez nombreuses pour que tu ne risques pas de suffoquer.
— Tu m’en vois ravi. Mais pourrais-tu m’expliquer ce que je fais ici ?
— Pas d’existentialisme, Merle. Nous ne sommes pas à un séminaire de philosophes.
— Luke ! Qu’est-ce qui se passe, bordel ?
— Tu aurais déjà dû comprendre que tu es mon prisonnier. Au fait, ce cristal est imperméable au pouvoir des Atouts, et il annihile la magie fondée sur des éléments extérieurs. Je devais te réduire à l’impuissance sans t’ôter la vie, tout en te gardant sous la main. »
J’étudiai l’ouverture et la paroi.
« N’essaie pas. J’ai l’avantage de la position.
— Ne crois-tu pas que tu me dois quelques explications ? »
Il m’observa un instant, puis hocha la tête.
« Je dois y retourner, et tenter d’obtenir le contrôle de ta Roue spectrale. Des suggestions ? »
J’eus un rire.
« Je ne suis plus en très bons termes avec elle, désormais. Je crains de ne pouvoir t’aider.
— Je devrai donc improviser. Seigneur, quelle arme ! Si j’échoue, je reviendrai te demander conseil. Réfléchis à la question, d’accord ?
— Ce ne sont pas les sujets de réflexion qui vont me manquer, Luke. Mais je crains que certaines de mes pensées ne te plaisent guère.
— Compte tenu de la situation, tu n’es pas dangereux.
— Pour l’instant. »
Il posa ses mains sur le rocher, entreprit de le déplacer.
« Luke ! »
Il s’arrêta, m’observa. Son expression changea. Je ne l’avais encore jamais vu ainsi.
« Ce n’est pas mon véritable nom, déclara-t-il un instant plus tard.
— Comment t’appelles-tu, alors ?
— Je suis Rinaldo, ton cousin. J’ai tué Caine, et j’ai failli de peu éliminer également Bleys. Mais j’ai raté mon coup avec la bombe, lors des funérailles. Quelqu’un m’a vu. Je détruirai la maison d’Ambre, avec ou sans ta Roue spectrale... même s’il est évident que ma tâche serait facilitée si je disposais de sa puissance.
— Que nous reproches-tu, Luke ?... Rinaldo. Pourquoi ce désir de vengeance ?
— J’ai exécuté Caine le premier, car c’est lui qui a tué mon père.
— Je... je l’ignorais. »
Je regardai le phénix ornant sa poitrine.
« Je ne savais pas que Brand avait eu un fils, ajoutai-je finalement.
— Ce n’est plus le cas, à présent. Je ne tiens pas à ce que tu puisses avertir les autres, mon vieux, et c’est une raison supplémentaire pour t’empêcher de partir et te garder en un lieu tel que celui-ci.
— Tu échoueras. »
Il resta silencieux quelques secondes, puis haussa les épaules.
« Quelle que soit l’issue de cet affrontement, je ne puis reculer.
— Pourquoi le 30 avril ? lui demandai-je brusquement. Explique-moi.
— C’est un 30 avril, que j’ai appris la mort de Père. »
Il tira le rocher, qui recouvrit totalement le trou. Des coups sourds me parvinrent.
« Luke ! »
Il ne répondit pas. Je voyais son ombre au travers de la roche translucide. Finalement, il se redressa, puis disparut. Je n’entendais plus que ses pas, à l’extérieur.
« Rinaldo ! »
Il ne dit rien, et le bruit de bottes décrut.
Le cristal bleu qui s’assombrit puis s’éclaire me permet de compter les jours. Voilà plus d’un mois que je suis captif, mais j’ignore quel est le décalage temporel entre cette ombre et les autres. J’ai exploré toutes les salles et les galeries de la caverne, sans trouver d’issue. Les cartes d’Ambre et du Chaos ne servent à rien, ici, pas plus que les Atouts de la Vengeance. Mes pouvoirs de magicien sont également inutiles, ainsi limités par ces murs de la même couleur que la pierre de la bague de Luke. Il m’arrive même d’envier l’évasion qu’offre la folie temporaire, mais ma raison s’y refuse. Il me reste trop d’énigmes à élucider : Dan Martinez, Meg Devlin, ma Dame du lac... Pourquoi ? Et pourquoi Luke est-il resté si longtemps en ma compagnie ? Rinaldo, mon ennemi. Je dois trouver un moyen d’avertir les autres de ses projets. S’il parvient à utiliser ma Roue spectrale contre eux, alors le rêve de Brand (mon cauchemar de vengeance) deviendra réalité. Je suis désormais conscient d’avoir commis maintes erreurs... Pardonne-moi, Julia... Je vais parcourir à nouveau ma prison. Il doit exister quelque part une faille dans la logique glacée qui m’entoure et contre laquelle butent mes cris, mes rires amers, mon esprit. Dans cette salle, dans ce tunnel. Le bleu est omniprésent. Les ombres ne m’emporteront pas, car il n’en existe aucune en ce lieu. Je suis Merlin le captif, fils de Corwin l’égaré, et mon beau rêve s’est changé en cauchemar. J’erre dans ma prison tel mon propre spectre. Il ne faut pas que tout s’achève ainsi. Le prochain tunnel, peut-être... ou le suivant...