Ce livre est le témoignage d’un médecin infectiologue qui s’est retrouvé en première ligne dans la crise d’un coronavirus venu de Chine. Témoigner est vite devenu une nécessité. Car le vertige et la violence de cette crise sont amnésiants. Ces mois de lutte contre le Covid-19 se sont construits sur un paradoxe : une surinformation, un déballage médiatique sans précédent, un flot ininterrompu d’experts ou de prétendus tels, alors que l’hôpital s’est refermé sur lui-même, opaque vis-à-vis du monde extérieur. Pas de caméras, plus de familles ni de visiteurs. Comme on dresse des tentes et des bandes en plastique dites de « gel des lieux » pour protéger et isoler une scène de crime. Afin d’éviter la « contamination » – c’est le terme –, c’est-à-dire la dégradation des preuves.
La ligne de démarcation entre les zones les plus contaminées et les autres n’était prévue par aucun plan sanitaire. Le virus se devait de rentrer par les centres de référence, surpréparés et équipés de chambres à pression négative, qui devaient assurer les premières digues de défense. Les Agences régionales de santé auraient alors repéré les personnes contacts une par une pour les isoler. Tout aurait été contenu par notre système de santé. Le politique pensait que nous étions prêts, à la différence des Italiens. Et la bête n’aurait dépassé le marché aux animaux vivants de Wuhan que de manière anecdotique. Mais le Covid-19 n’a sonné à aucune porte comme attendu. On l’attendait à Roissy, à la descente des avions venus de Chine ou de Lombardie, il est apparu dans un lycée de Crépy-en-Valois. Diffusant ses formes bénignes ou réanimatoires par grappes de proximité, par « clusters ». Ou au cas par cas. De façon aléatoire et anxiogène. Et à une vitesse folle. Comme la marée autour du mont Saint-Michel que me narrait mon père à l’enfance quand nous étions en vacances à Dinard. En Italie, l’épidémie a sapé le service sanitaire du Nord. L’Espagne ne contrôlait pas les vidéos des patients mourant dans les services d’urgence faute de place en réanimation. Singapour, Hongkong, Taïwan, la Corée du Sud et le Vietnam commençaient à inscrire le coronavirus au rang des épiphénomènes neutralisés à ranger dans le mouchoir de la santé publique. En France, alors que le Crépynois s’essayait au confinement imposé, le virus était déjà en nombre dans un rassemblement évangéliste de Mulhouse qui allait essaimer jusqu’en Guyane et en Corse. Puis dans toute la France, territoires ultramarins inclus. D’est en ouest. Dévastant le Haut-Rhin, mais épargnant le grand-ouest. Sans explication à ce jour. Laminant les équipes médicales, les structures et le réseau sanitaire. Désorganisant la recherche en une collusion néfaste entre la Science et le Politique.
Les Parisiens n’ont eu qu’à regarder leurs boussoles pour s’exiler le week-end de la Sainte-Louise dans les TGV et sur les routes vers un ouest plus safe. En un exode inversé où cette fois seuls les riches fuyaient. En quelques mois, le Covid-19 a annihilé la parole de nombre d’experts imprudents. Et celle de politiques mal préparés. Pour provoquer la plus grande crise sanitaire du siècle et le plus grand séisme économique depuis 1945. Conduisant au confinement progressif de plus de 3 milliards d’êtres humains.
Dès lors, les soignants vont devoir ne compter que sur eux-mêmes. Ils seront, comme le reste de la population, égarés, apeurés, par les louvoiements des décisions politiques et des modélisateurs qui ne voient pas au-delà de trois jours d’épidémie. Et par une comptabilité pathétique de gestionnaires par temps de pénurie indigne d’un pays comme la France. Comme le souligne Didier Lestrade, activiste historique de la lutte contre le VIH, « tous les ingrédients sont rassemblés pour un traumatisme social qui deviendra politique ».
Nous n’étions pas prêts.
Cette crise était-elle prévisible ? L’Histoire le dira. Après cette « guerre sanitaire » viendra la crise politique, économique et sociale. Le populisme et le complotisme, aidés par quelques « experts » à charge et par la collusion avec le politique, se sont emparés du Covid-19. Il nous faudra comprendre comment cette vulnérabilité soudaine a gommé des siècles de progrès et nous a renvoyés à nos archaïsmes. Les « héros en blouse blanche » présidentiels seront-ils reconnus durablement et au-delà des primes, des médailles ou des cérémonies sous les lambris dorés de la République ? Le poids humain de la crise du Covid-19 sera-t-il pris en compte ?
Le virus était inconnu de nos experts, comme de notre système immunitaire. Et inconnu de notre suffisance. Personne n’avait imaginé que les soignants et autres personnels de l’hôpital allaient répondre par une solidarité sans faille à l’impréparation et aux atermoiements des autorités sanitaires.