Cimetière protestant de Nîmes, route d’Alès. On enterre mon frère unique, des suites d’une longue maladie hématologique et d’un cancer ORL qui n’auront duré « que » deux ans. Deux années éprouvantes où dans notre tête nous applaudissions tous, famille et amis, les soignants. Entre l’hôpital Saint-Louis et la Fondation Cognacq-Jay à Paris, les allers-retours rythmaient sa survie et peuplaient notre vie. Dont plusieurs mois de soins palliatifs interminables. Michel » avait soixante-dix ans et un joli sourire de dandy jusqu’à ses dernières heures. En bon avocat, il a continué à plaider dans le nuage cognitif qu’imposaient la progression de la maladie et les morphiniques distillés à la seringue électrique.
Je suis venu tant de fois dans ce cimetière où dort une partie de ma famille. C’est là que j’irai si le coronavirus m’attrape avec violence. La lumière paisible filtre au travers des pins centenaires. On pleure beaucoup, on s’embrasse tout autant. On boit. On chante aussi Que je t’aime sur la sépulture encore ouverte.
Pourtant pas le moindre souvenir que le coronavirus ait bridé notre chagrin et cette jolie fête censée amoindrir notre douleur. Avec le recul, on mesure la chance qu’il soit passé entre les grosses gouttes du confinement et des restrictions funéraires qui nous auraient volé sa mort. Comme à tant d’autres pendant la crise. Une mort à laquelle nous nous étions tant préparés. Plutôt mal que bien. J’ai eu beau traverser les années noires du sida avec un décès tous les trois jours, je ne m’y habituerai jamais. Encore moins de si près.
Aujourd’hui, le service qui l’a admirablement pris en charge durant des mois à l’hôpital de la Fondation Cognacq-Jay est devenu une unité Covid. Ce service, où il était la mascotte et où je croisais nombre de mes malades. Le Dr Marie-Pierre Treilhou, qui le dirige avec douceur et efficacité, a fait sortir d’une autre unité des malades du VIH, des tuberculeux pour faire table rase et accueillir des Covid +, de toute l’Île-de-France.
Trois mois après le « plan d’urgence » du gouvernement, les personnels hospitaliers ont manifesté ce même vendredi leur amour du service public. Mais plus encore leur colère. Syndicats et collectifs estimaient que les mesures annoncées à l’automne ne répondaient pas à leurs revendications. « Nous avons le cœur brisé », pouvait-on lire sur les banderoles, Saint-Valentin oblige. Les collectifs Inter-Hôpitaux et Inter-Urgences, à l’origine de cette nouvelle mobilisation, avaient demandé aux soignants d’« apporter une fleur blanche » pour « témoigner (leur) amour à l’hôpital public ». À Paris, quelques milliers de soignants – plus de 10 000 selon la CGT – ont défilé dans l’après-midi. Pour ma part, parti de Lariboisière avec le Dr Ludovic Lassel et un de nos internes, je pousse mon vélo jusqu’à République où débute la énième manifestation contre la réforme des retraites. Sans vraiment y croire. Parce qu’une grève de soignants est invisible. Ils assurent la continuité des soins. Alors qu’un simple mouvement de grève d’éboueurs en plein mois estival se règle en quelques jours. Cœurs peints sur le visage et ballons roses à la main, l’ambiance animée tranche avec la gravité de ce qui se prépare pour nous tous.