JEUDI 27 FÉVRIER 2020  10 HEURES

Il me faut déjà monter au créneau contre les fake news que génère la crise du coronavirus

Même en y passant la nuit raccourcie par le Covid dans la tête, impossible de faire une liste exhaustive de ces fake news. Un journal médical m’a proposé un éditorial sur ce sujet, La Lettre de l’infectiologue. J’y réfléchis d’autant plus que les patients en téléconsultation, des personnels soignants, des amis les véhiculent et me questionnent. Tout au plus peut-on en faire une sélection partielle et partiale. Exercice de déminage des principales fausses informations à la date du 27 février 2020.

 

Fake news numéro 1 : Non, le coronavirus Covid-19 n’a pas été créé (ni breveté) aux États-Unis. À l’origine de cette rumeur, la copie d’un brevet déposé aux États-Unis en 2007, brevet sur une souche humaine de coronavirus (SRAS), qui arriverait à expiration le 23 janvier 2020. D’où la porte ouverte à un délire complotiste selon lequel les États-Unis auraient tout intérêt à lancer un vaccin anticoronavirus avant que le brevet expire. Voire en pleine épidémie…

 

Fake news numéro 2 : Le Covid-19 serait-il sorti du laboratoire P4 de virologie en Chine accrédité par la France en 2017 ? Rumeur devenue virale puisque dans l’invitation du cabinet du Premier ministre de l’époque figure, logiquement, le directeur de l’Inserm, Yves Lévy, qui n’est autre que le mari de… Agnès Buzyn. Pour ma part, j’ai eu, comme toute la communauté médicale, des rapports « compliqués » avec le Pr Yves Lévy. Sans plus. Durant plus de quinze ans, j’ai été au cœur de la recherche vaccinale contre le VIH pour le compte de l’Agence nationale de recherche sur le sida. Et même le premier clinicien français – hors essais sauvages – à avoir injecté un candidat-vaccin anti-VIH dans le muscle d’un volontaire sain ultrasélectionné. L’essai ANRS VAC-01. C’était à l’hôpital de l’Institut Pasteur, en juin 1992. Les questions que nous nous posions à l’époque seront les mêmes que celles pour la quête d’un vaccin contre le Covid-19 : quel est le meilleur antigène ? Quel vecteur choisir ? Quelles seront la qualité et la durée de la réponse immune induite ? Ce vaccin sera-t-il sûr ? Et accessible partout dans le monde ? Pour le VIH, trente ans après, ces questions ne sont pas résolues. On verra que pour le Covid-19, l’impatience médiatisée, la compétition internationale, l’effet d’annonce des start-up rajouteront à l’irrationnel de cette crise. Quant à Yves Lévy, il emportera toute la recherche vaccinale anti-VIH dans son giron à l’hôpital Henri-Mondor, hors de l’ANRS, avant de diriger l’Inserm.

La ministre de la Santé, dès sa défection de la fonction ministérielle, et son couple seront la cible d’attaques odieuses. Rien ne prouve à ce jour de février 2020 que ce laboratoire P4 travaillait sur le coronavirus. Mais une mission d’enquête est réclamée par l’administration Trump. D’ailleurs un simple P3 (la hiérarchie de protection des laboratoires) suffit pour le Covid-19. La Direction générale de la santé (DGS) a dû indiquer néanmoins qu’« aucun élément ne permet d’accréditer les allégations liant la crise sanitaire en cours à l’existence à Wuhan d’un laboratoire P4 ». Et puis, sur le fond, la séquence virale du Covid-19, au-delà de son analogie à 80 % avec le virus du SRAS de 2003, présente 96,3 % de similitude génomique avec la séquence d’un virus présent chez la chauve-souris (BatCoV RaTG13). Ce qui en fait un virus circulant et non le fruit d’une récente recombinaison, a fortiori de laboratoire. Reste qu’un doute planera durant des mois, attisé par le discours antichinois de Trump. Tant et si bien que seule une commission d’enquête internationale lèvera le doute sur la possibilité qu’un employé de ce laboratoire soit le patient zéro de la Chine, ou l’un d’entre eux.

 

Fake news numéro 3 : Non, contrairement à ce qui se trouve relayé sur WhatsApp et Facebook, le fenouil (Foeniculum vulgare), quel que soit son mode d’administration, n’est pas « le médicament idéal pour se protéger contre (et même soigner !) le coronavirus chinois ». Un « médecin infectiologue brésilien » recommanderait 2 tisanes de fenouil par jour pour bloquer la progression du virus. Comme les Mexicains l’avaient fait sans trembler pour la tuberculose multirésistante. Idéal paraît-il pour stimuler la digestion, limiter les ballonnements et soulager la constipation, mais totalement infondé quant à des vertus préventives ou curatives des coronavirus. Au Cap-Vert et au Brésil, des maraîchers se seraient retrouvés en rupture de stock… de fenouil. On peut rajouter au candidat anti-Covid : l’ail, les solutions salines, l’huile de sésame, les bains de bouche, le Schweppes et même la cocaïne.

 

Fake news numéro 4 : Non, la fondation de Bill et Melinda Gates n’a pas prédit « jusqu’à 65 millions de décès » liés à la souche chinoise de coronavirus. Point de départ de cette rumeur, le fait que la fondation aurait financé en partie un exercice de modélisation, intitulé Event 201, qui a été réalisé conjointement avec le Forum économique mondial et l’école de santé publique Johns Hopkins Bloomberg. Le centre Johns Hopkins a bien mené un exercice théorique de simulation en octobre 2019, mais celui-ci ne portait pas sur la souche de coronavirus qui frappe actuellement la Chine. « Bien que notre modélisation ait inclus un nouveau coronavirus fictif, les données que nous avons utilisées pour modéliser l’impact potentiel de ce virus fictif ne sont pas similaires au nCoV-2019 », a précisé le centre dans un communiqué. Cette fake news est minime dans la déviation de l’information, majeure toutefois dans ce qu’elle sous-tend. Au cœur du sujet, figurent les modélisations, hasardeuses ou visionnaires, et la science complexe de la médecine prédictive.

 

Fake news numéro 5 : Non, le coronavirus n’est pas transmis par la nourriture chinoise, rumeur si virulente que beaucoup d’établissements en France se sont vidés de leur clientèle. Lorsque les mets sont cuits, notamment la viande, les coronavirus ne résistent pas à la température de la cuisson. Même si le ministère recommande quand même aux voyageurs ou transits dans les zones touchées par le virus d’éviter : tout contact avec des animaux, vivants ou morts ; de se rendre sur les marchés où sont vendus des animaux vivants ou morts ; de consommer la viande non ou peu cuite.

 

Fake news numéro 6 : Non, il n’y a pas de risque avec les colis envoyés de Chine. Beaucoup de consommateurs en ligne achètent des produits venant de Chine. Très peu d’articles démontant ces fake news précisent au passage que les coronavirus sont sensibles à tous les bionettoyants dont l’hypochlorite de sodium à 0,1 %, les composés organochlorés à 0,1 %, l’éthanol à 70 % et aussi le glutaraldéhyde à 2 %. Ce qui rend aisé tout nettoyage de colis « suspect ».