VENDREDI 20 MARS 2020  14 h 30

Chambre 603, Secteur Covid +,
un Choix de Sophie viral

Monsieur C. est toujours là. On y croit jusqu’au bout. Schizophrène en institution, hypertendu et obèse, lui aussi récusé de la réanimation, s’aggrave peu à peu. Les réanimateurs sont venus à deux quelques minutes sur le dossier et dans la chambre. Deux minutes suffisent. Le triage est leur quotidien. La réanimation, c’est le type même de l’analyse bénéfice-risque. Le message n’est pas passé dans la population. Notamment celui, déjà ancré, que l’on n’envoie pas quelqu’un dont l’état clinique, l’âge et l’état physiologique permettent de prédire qu’il n’en sortira que les pieds devant. Ne serait-ce que pour la personne. Et également pour les proches. Voir partir quelqu’un d’intubé, ventilé, curarisé sans échanger une caresse, une dernière parole. Juste le « débranchement ». Mot atroce, mais pire que de perdre un être cher en l’accompagnant.

Les réanimateurs sont sous pression. Les appels se multiplient, les services de médecine gèrent de plus en plus de formes graves, sans compter le flux des récusés. Ils sont sur-sollicités. C’est une scène comme au marché :

— Celui-là on le prend, celui-ci vous le gardez…

C’est dur d’être réanimateur par temps de coronavirus. Le Choix de Sophie, version virale.

Le patient n’est maintenant que sous 2 litres d’oxygène. Le temps d’y croire, il décède. L’interne avait même écrit son cas clinique en anglais pour témoigner qu’on pouvait réanimer en salle de médecine des patients récusés de la réanimation. Illusion de la jeunesse, il garde sa publication sous le coude pour un autre cas. Le corps est mis dans un double sac d’isolement transparent à fermeture éclair : clic, clac, pas d’épanchement, pas de contact, la famille habillée comme les soignants, masque chirurgical, surblouse à manches longues, surchaussures et charlotte. Le Covid-19 orchestre les derniers instants.