Fabien est le représentant d’une entreprise qui fait des tests de diagnostic et notamment des tests rapides. J’ai déjà travaillé avec lui, en particulier dans le développement de tests à domicile pour le VIH puis pour l’hépatite C. Chaque fois qu’il a une nouveauté, il vient me l’apporter dans mon bureau. Ce jour-là, c’est une petite boîte blanche venue… de Chine. Il s’agit d’un test à faire soi-même par une petite piqûre au bout du doigt, un petit stylet fait remonter 10 microlitres de sang par capillarité. La goutte de sang est déposée dans un des puits, 3 gouttes de réactif dans l’autre puits, et par migration le test fonctionne en quinze minutes. C’est excitant pour cette épidémie où l’on ne sait rien de l’immunité acquise. Le test sert juste à savoir si on a été contaminé et donc possiblement immunisé par le contact avec le virus, avec ou sans symptôme. Selon le commercial, dont je connais l’honnêteté, la sensibilité du test (le fait qu’il donne un résultat positif quand les anticorps sont là) est parfaite. C’est un excellent moyen de savoir son statut immunitaire. Mais il faut attendre deux ou trois semaines après le début des symptômes pour qu’il soit à près de 100 % fiable.
On constitue un groupe de travail auquel je participe avec d’autres cliniciens et un virologue. De réunion en réunion Zoom, on brainstorme sur le positionnement de ces tests rapides pour l’après-confinement, en attendant les autorisations de mise sur le marché des autorités sanitaires. Et d’établir aussi quelques projets de recherche comme l’analyse d’un foyer de transmission au sein d’une famille aisée de Bretagne : 30 personnes sur 3 générations, de trois à quatre-vingt-quatre ans. Dont une poignée de « fuyards » qui ont quitté l’Île-de-France peu avant le confinement. Emportant le Covid-19 dans leurs bagages. Ils vivent dans trois grandes maisons sur des dizaines d’hectares. Avec des échanges qui vont des repas communs aux lits conjugaux. Tout est décortiqué jusqu’à savoir ceux qui font lit à part. Avec leur accord, il s’entend. Un tiers d’entre eux (10/30) seront contaminés, dont 2 sans le moindre symptôme. Mais le cluster épargnera les enfants. Cette étude, menée par le Dr Thierry Prazuck d’Orléans, résume bien les questions que la Science ne résout pas encore fin mars : qui contamine qui ? Quel est le rôle de la contamination intrafamiliale ? Des enfants ? Quelle est la proportion de personnes asymptomatiques ? Quel est le poids de la transhumance pré-confinement ? Les tests anticorps permettent-ils de « rattraper » des cas non diagnostiqués par les prélèvements dans l’arrière-nez ?
Rentrés à la maison avec Julie, ma compagne médecin, nous effectuons le test en quinconce. Plutôt malhabiles, car nous n’avons eu que peu de démonstrations. Nous nous y prenons chacun plusieurs fois. Quatre doigts troués pour moi, trois pour elle. C’est un peu comme un test de grossesse, avec une bandelette témoin et deux bandelettes pour les deux sortes d’anticorps (IgG et IgM). Le test ne bouge pas, seule la bandelette témoin reste allumée. Le bilan est clair : nous sommes négatifs. C’est, je crois, la première fois de ma vie que d’être séronégatif à un test me pèse.
Plus tard, j’utiliserai mon petit pécule. D’abord avec l’une de mes filles de dix-huit ans en prépa-intégrée et colocation étudiante qui a présenté tous les symptômes de la maladie, comme dans une publication. Elle s’avérera négative au test. Ce sera aussi le cas avec des médecins de Tenon testés positifs par PCR et curieusement négatifs au test anticorps. Mais ces tests anticorps sont-ils fiables pour tout le monde ?