MARDI 24 MARS 2020 – À PAS DHEURE,
IMPOSSIBLE DE DORMIR

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« L’épidémie médiatique et psychotique »

Dans l’histoire des maladies infectieuses, se tromper est la règle. Cependant, rarement une épidémie s’est métamorphosée aussi rapidement en pandémie, en une mondialisation quasi immédiate, une circulation de l’information sur les réseaux sociaux, les chaînes d’information continue, les radios, les 20 heures. Cette situation en a fait disjoncter plus d’un dans les réunions ou les déclarations publiques. La surexposition médiatique soudaine, que beaucoup n’avaient pas connue, a réveillé les ego et libéré la pseudo-expertise. Ce qui inévitablement a provoqué quelques faux pas que l’on retrouve dans les bêtisiers des réseaux sociaux… Exemples qui n’ont ni prétention d’exhaustivité ni de jugement, mais illustrent la complexité à apprécier en temps réel un phénomène émergent, violent et inconnu comme l’est le Covid-19.

21 janvier 2020, le Pr Yazdan Yazdanpanah, le meilleur d’entre nous. Le plus humble aussi. Un bourreau de travail. Yazdan conseillera Macron, dirige le centre de référence de l’hôpital Bichat, et il est consultant à l’OMS. Il travaille à la fois sur le VIH, le VHC, Ebola, les bactéries multirésistantes, les modèles économiques… Un infectiologue multicarte et omnipraticien. Yazdan a guidé la montée en charge du Covid en Île-de-France. Il est tombé malade du Covid et sortira fatigué de l’hospitalisation dans son propre service, celui des maladies infectieuses de l’hôpital Bichat, dans le nord de Paris, centre de référence. En janvier 2020 pourtant, Yazdan s’est trompé, alors que le monde regardait la Chine se dépêtrer avec son épidémie. C’est dire si nous n’étions pas prêts. À l’émission C à dire sur France 5 il déclare : « Il peut y avoir un cas. Mais je pense qu’on va très rapidement le contenir. Il ne va pas y avoir une épidémie en France. Parce que justement on est préparés. » Aujourd’hui, Yazdan ne renie pas cette phase : « Oui, mes enfants m’ont dit que j’étais dans un bêtisier suivi par 750 000 followers… Pourtant à l’époque, en janvier, on a résonné par mimétisme avec les autres virus que l’on avait su gérer. » Le spécialiste en profite pour revenir sur ce qui l’a le plus marqué durant cette crise : « La folie des gens ! Et pas seulement sur l’hydroxychloroquine. On n’a jamais eu une telle irrationalité dans les cellules de crise, dans la recherche aussi, dans les médias Au début, précise ce scientifique reconnu internationalement, je me suis fait traiter “d’accès maniaque”. Quand on a compris que la vague arrivait, les collègues ne nous croyaient pas. Il était de ma responsabilité de le dire, mais nous n’arrivions pas à convaincre. Ce fut pour moi un grand moment de solitude, le moment le plus dur. » Sur cette montée en force de l’irrationalité médicale, il a son explication : « Cette épidémie a donné à certains l’occasion d’être visibles au sein de leur établissement, ou dans les médias. Ils ont eu aussi l’impression qu’ils pouvaient toucher le pouvoir, qu’ils allaient trouver LE médicament. » Quant à ses rapports avec le pouvoir, comme membre du conseil scientifique du président Macron, il les regarde avec la distance qui a manqué à d’autres : « Ce ne sont pas des extraterrestres, ils ont aussi leurs incertitudes, leurs doutes, leurs faiblesses… » Il n’en dira pas plus.

 

Autre monde. Autre lieu. Interrogé par un de ses étudiants en thèse de science à l’Institut hospitalo-universitaire de Marseille (IHU), le Pr Didier Raoult, directeur de l’IHU, répond ainsi le 26 janvier 2020 :

— Professeur Didier Raoult, une épidémie de coronavirus fait l’actualité en Chine. Doit-on craindre quelque chose ?

— Vous savez, c’est un monde de fou, moi ce qui se passe, le fait que des gens soient morts de coronavirus en Chine, vous savez je ne me sens pas tellement concerné. Et donc c’est vrai que le monde est devenu complètement fou. C’est-à-dire qu’il se passe un truc où il y a trois Chinois qui meurent et ça fait une alerte mondiale, l’OMS s’en mêle, ça passe à la télévision et à la radio. S’il y a un bus qui tombe au Pérou, on va dire que les accidents de la route tuent de plus en plus. Tout ça est fou, c’est-à-dire qu’il n’y a plus aucune lucidité et quand on regarde ce qui se passe en Chine, c’est tellement dérisoire que ça finit par être hallucinant, ça veut dire qu’il n’y a plus aucune connexion entre l’information et la réalité du risque. Mais aucune, du tout, avant elle était assez distante, maintenant c’est devenu totalement délirant. »

 

17 février 2020, le Pr Éric Caumes, infectiologue, mon camarade de route depuis l’internat. Il sera un des piliers des centres de référence et l’auteur de la « gripounette » sur laquelle il reviendra avec un regard critique. Aujourd’hui il précise que l’expression a été mal comprise : « Elle concernait les formes mineures, ou non-Covid, que le 15 envoyait dans les centres de référence au tout début. J’aurais dû employer le mot “Coronarophobie”. » En ce 17 février, Éric Caumes dit, repris sur Brut, à propos du virus venu de Chine : « Comme il n’est pas particulièrement pathogène contrairement à ce qui est dit, ça va passer en douceur et on va peut-être même pas s’en rendre compte. » Mais le 27 février devant les politiques, puis le 12 mars, Éric rectifiera, et crèvera l’écran face au nouveau ministre de la Santé Olivier Véran sur LCI : « On est tous persuadés qu’il va se reproduire un scénario à l’italienne dont on n’est pas vraiment sûrs que les autorités aient pris la mesure », expliquant que l’accélération de l’épidémie en France est « très probable », et que la courbe du nombre de cas est « exponentielle ».

 

17 février 2020, Pr Didier Raoult : « C’est beaucoup de bruit pour pas grand-chose. »

 

Le 5 mars 2020, la Pr Christine Katlama – pardon Christine ! –, infectiologue, l’une des plus brillantes dans la recherche sur le VIH et qui fut ma « cheffe » lorsque j’étais interne à Claude-Bernard. Christine a l’habitude de dire les choses là où d’autres se taisent. Mais en l’espèce, c’est un peu comme au jeu de la roulette. Elle a tout misé sur le rouge (une chance sur deux) et la boule s’est arrêtée sur le noir. Elle dit, cheveux au vent devant la réanimation EOLE de son hôpital où des malades du Covid + sont ventilés sur le ventre, face à la caméra : « Le message pour les Français qui sont quand même très affolés par l’épidémie médiatique, psychotique, c’est que c’est une infection bénigne. On est parfaitement organisés dans les systèmes hospitaliers… »

 

Le 6 mars 2020, Dr Christophe Prudhomme, représentant de l’Association des médecins urgentistes, et délégué national CGT, ce qu’il oublie souvent de préciser lorsqu’il intervient sur les plateaux de télévision : « Tous les jours, c’est 8 à 10 morts sur les lits, tous les jours. L’épidémie de grippe, juste depuis le début de l’épidémie de grippe, c’est 5 000 morts. » Le 20 avril, comme le précisera Jérôme Salomon, le directeur général de la santé, le nombre de décès imputables directement au Covid-19 sera de 20 265 morts, « dépassant toutes les épidémies de grippe récentes en France. Et même le bilan de la canicule de 2003 ».