Point du jour de la réunion menée par le Pr Jean-Michel Molina (hôpital Saint-Louis, Paris) : les aspects virologiques. On en oublierait presque que le Covid-19 est un virus tant il est compliqué d’avoir une lisibilité de la politique d’utilisation des tests. Au 30 mars, on ne dépiste que les personnes qui vont entrer à l’hôpital pour des formes sévères, les personnels soignants et les sujets symptomatiques ayant des maladies aggravantes. Une virologue est formelle : « Il y a rupture de stock mondial sur les écouvillons, mais des entreprises françaises du coton-tige s’y mettent et vont produire en masse (!). Ils sont capables de fournir 300 000 écouvillons par semaine à partir de cotons-tiges rallongés. Il y a aussi un approvisionnement qui vient de Chine. » D’aucuns s’inquiètent également de la place du dépistage dans les EHPAD qui restent sur une politique de guerre : « On dépiste trois patients, s’ils sont positifs on arrête ! On ne peut pas tester tout le monde. » Les laboratoires de virologie travaillent sept jours sur sept, on attend parfois soixante-douze heures pour avoir les résultats d’un test Covid. Ce délai est compliqué à gérer, notamment pour les patients qui vont être négatifs et qu’on n’a pas pu évacuer vers d’autres centres pour laisser de la place quand la marée monte. C’est la médecine de guerre avec une tranchée de retard… La Direction générale de la santé vient d’obtenir 20 semi-automates – il y en a plus de 200 en Allemagne – dont 2 seront attribués à l’Île-de-France, permettant 190 extractions en quatre-vingts minutes dans une plateforme qui va être installée à Paris dans un hôpital désaffecté, l’hôpital Broussais. Les machines sont bien sûr… chinoises. On découvre donc que les Chinois avaient non seulement le virus, mais les tests, les masques, les écouvillons, les respirateurs, les tenues de protection…
Certains services d’urgence parmi les mieux lotis s’organisent pour pouvoir dépister dès la porte de l’hôpital avec une PCR (amplification du génome viral) dite « rapide » dont le résultat est obtenu en soixante-quinze minutes. Ces tests ne sont pas totalement fiables, on parle de 30 % de faux négatifs. Les malades considérés comme Covid négatif sont « rattrapés » lorsqu’ils s’enfoncent dans la maladie… et qu’ils ont un virus circulant. On sait aussi que le scanner des poumons est pris à défaut dans les premiers jours de la maladie alors que les tests PCR, plus sensibles, sont positifs. Tout cela s’organise, nous apprenons sur le tas et le Covid-19 n’a pas fini de nous livrer ses surprises cliniques et virologiques.
À partir du 30 mars, parmi les 150 mails reçus chaque jour autour du Covid, beaucoup portent sur les manifestations très diversifiées de la maladie. À se demander quel organe est épargné, puisqu’il y a des alertes sur les manifestations cutanées, sur les manifestations vasculaires ou les troubles de la coagulation. Un observatoire des formes neurologiques se met en place. Le virus semblerait non seulement toucher l’odorat et le goût, mais aussi possiblement les capacités cognitives… Rien n’est connu quant à la durée des dégâts observés. Ça collige de partout. La recherche clinique partie de zéro pour le coronavirus explose dans les services, les essais, les études de cohorte, les recherches, assez confuses et opaques… Cela va finir par payer, mais n’est-ce pas le trop-plein ? Quand la France lance 160 essais sur son territoire, la Grande-Bretagne se concentre sur deux dont un donnera des résultats probants : Recovery qui concernera 1 100 malades quand son équivalent français Discovery peinera à inclure 800 patients.
Discovery devait être le plus grand essai européen contre le coronavirus. Un projet titanesque de 3 200 patients en Europe dont 800 en France. L’Inserm est mobilisé sept jours sur sept. Les équipes sont sous la pression de l’OMS. Le laboratoire qui fournit une des molécules, le remdesivir, est sous tension, car on utilise les réserves laissées par l’épidémie d’Ebola. L’essai est attractif, mais complexe dans son design. Il mêle différentes approches : antivirale, immunologique et, disons, marseillaise. Mais l’ouverture des centres s’est faite en toute opacité, parfois indépendamment de l’épidémie qui touche des régions plus que d’autres : l’Île-de-France, le Haut-Rhin, les Hauts-de-France. S’ouvrent en priorité des centres à Saint-Étienne ou à Rennes, peu touchés. Et Tenon (845 malades dépistés, 123 décès, 245 soignants contaminés) ne sera ouvert que dans les derniers. L’Île-de-France et le Haut-Rhin seront moins servis que l’Auvergne Rhône-Alpes en dépit des chiffres de l’épidémie. Discovery sera aussi politisé et présenté comme le fleuron de la recherche française par le Premier ministre flanqué de la responsable de l’essai lors d’une prise de parole solennelle. Le président donnera même rendez-vous aux Français le 14 mai « pour des résultats ». Des résultats qui ne seront pas à ce rendez-vous et ne le seront peut-être jamais, car seule la France inclura des patients. Le reste de l’Europe boudant l’essai, à part le Luxembourg, préférant ses propres recherches, et l’épidémie passera, empêchant d’autres centres d’ouvrir et ceux ouverts tardivement d’inclure des malades. Quel gâchis !