La réunion de cellule de crise commence par les chiffres nationaux communiqués la veille par le directeur général de la santé. Le directeur médical de crise, Mathieu Raux, a le ton encore plus grave que d’habitude : « On est au-delà du scénario le plus pessimiste. On envisage un pic à 2 400 lits de soins critiques en Île-de-France occupés par des patients Covid + dans une semaine. Nous avons eu un faux espoir, une fausse accalmie. Et nous nous retrouvons très au-delà de ce que l’on pensait et de nos capacités. » 3 membres du personnel de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris sont en réanimation, 626 personnes sont contaminées au sein de notre groupe hospitalier. La durée moyenne de séjour des patients en réanimation est de vingt-cinq jours. C’est long, c’est très long. Et cela ne ressemble à aucune maladie respiratoire connue. Encore moins à une version tragique de la gripounette. Pire encore, on libère 4 % des lits de réanimation par jour, c’est très insuffisant même si d’importants moyens se sont mis en place pour évacuer les patients vers l’Île-de-France et la province hors Assistance publique. Soit par hélicoptère soit par avion, train ou ambulance. Un réanimateur annonce un autre levier possible : « C’est totalement insupportable à entendre, surtout pour ceux qui ont connu les attentats tragiques de 2015 à Paris, mais nous sommes passés d’une logique de bénéfice individuel à une logique de bénéfice collectif… Il faut qu’on accède à plus de places en réanimation, faire plus pour le plus grand nombre de malades et peut-être faire moins individuellement. »
La pression monte d’un cran lorsque l’on évoque l’utilisation des masques de plongée Decathlon pour équiper la ventilation en salle. Il est question d’adapter un filtre sur la partie supérieure du tuba pour filtrer toutes les particules virales et bactériennes, et brancher sur la partie inférieure l’oxygénothérapie en l’adaptant sur les patients. Un groupe de travail s’est même attelé à ce projet. Et ce n’est pas un poisson d’avril.
Entre les réunions, médecins et cadres parlent déjà de l’après-Covid. Cet « après » est une liste de questions : quelle organisation pour les « malades normaux » alors que le Covid sera toujours là ? Quid du personnel hospitalier sous-payé ? Même si le directeur général s’est voulu clair sur un point : « Aucun droit de congés ne sera perdu et, quelle que soit la période, la prise de jours de congé ne pourra être imposée. Ce sera compliqué à mettre en place et peut-être que les six derniers mois de l’année 2020 verront d’autres problèmes que le Covid, moins graves, mais plus compliqués sur le plan organisationnel et sans doute avec moins d’élan de solidarité et plus de tension avec l’administration. »