JEUDIAVRIL 2020  9 HEURES

Un décès par étage et Aznavour qui accompagne un patient de quatre-vingt-dix-neuf ans

Ça pleure, ça crie, ça ne respecte pas toujours les règles de distanciation sociale et les règles de prévention contact. Entre deux sanglots, on arrive à faire reprendre le masque aux familles.

À la 204, Monsieur K., soixante-dix ans, diabétique et obèse. L’équipe s’est battue jour après jour, multipliant les possibilités thérapeutiques, les inclusions dans les essais. Il n’était pas réanimatoire et pourtant, les uns et les autres ont tenté de le réanimer. Il est parti dans un dernier souffle, dans la tristesse ambiante d’y avoir cru.

Au 4e, c’est Léo notre interne si jeune et compétent. Il a été lui-même Covid +, puis est retourné au travail après huit jours d’éviction et ne s’occupe que de malades Covid +. Ce jour-là, c’est double tristesse parce qu’on pensait battre les records de sortie de patients âgés avec Monsieur G., quatre-vingt-dix-neuf ans. Il s’est battu comme un jeune homme. Au bout du compte, c’est le virus qui a eu le dernier mot et Léo la palme de la générosité tranquille. En entrant à l’hôpital, le vieil homme qui était valide à son domicile avait dit que s’il lui arrivait quelque chose, il voudrait écouter du Aznavour. Alors Léo, qui sait son téléphone contaminé par le Covid, l’a posé pendant des heures pour diffuser Aznavour dans la chambre. Le vieil homme a entendu :

J’arracherai sans une larme, sans un cri

Les liens secrets qui déchirent ma peau

Me libérant de toi, pour trouver le repos

Et pourtant, et pourtant

C’est ainsi que le presque centenaire a rejoint ses congénères dans les statistiques sans âme du point presse quotidien de la Direction générale de la santé.