Marina Carrère d’Encausse m’avait pourtant bien prévenu : « Ne regarde pas les commentaires qui accompagnent les vidéos de tes prestations télé reprises sur YouTube, c’est souvent le rendez-vous des haineux et des complotistes. » Nonobstant cet avertissement, j’ai regardé. Les dix premières. Certaines sont aimables. La plupart peuvent se lire avec une distanciation compassionnelle et consternée, tel ce post : « HIV première escroquerie maçonnique : le traitement du sida tue plus que le sida en lui-même. » Parfois avec amusement : « Je suis en réanimation après avoir vu sa chemise. » À fleurs ! Le commentaire qui m’a fait le plus mal est celui-ci : « Regardez, il a toujours le sourire, c’est parce qu’il veut que cette épidémie dure encore. » Comme si nous étions payés au malade qui tombe ! Et parce qu’en ayant vu mourir en quarante ans des centaines de malades du VIH, mais aussi de l’hépatite C, des infections bactériennes multirésistantes, de la tuberculose, on ne peut imaginer qu’on nous prête un tel dessein.
Cependant, d’autres ont connu des agressions bien plus graves. Le Covid, les atermoiements des uns et des autres, la politisation permanente de la santé et peut-être le confinement ont exacerbé les clivages sociaux, la défiance vis-à-vis du politique et pour certains des experts scientifiques. Et la violence. Ce qui unit certains observateurs, journalistes et les complotistes, c’est l’utilisation de la notion de « liens d’intérêts » – tel médecin a touché une rémunération de l’industrie pharmaceutique pour un travail ou un congrès, dûment répertoriée sur les sites publics – comme preuve d’un conflit qui entacherait l’opinion, voire les pratiques de l’expert. Mais démontrer qu’un lien d’intérêt est un « conflit » reste un travail d’investigation. Ces attaques auront lieu, par exemple, contre tous ceux qui critiqueront la promotion marseillaise de l’hydroxychloroquine. C’est le cas du Pr Karine Lacombe. Encore peu connue du grand public avant le Covid, mais totalement respectée dans le champ de l’infectiologie, Karine Lacombe est devenue une des figures médiatiques de cette épidémie. C’est une collègue proche. Elle sera à la une de nombre de journaux et régulièrement conviée sur TF1. Elle est cheffe de service des maladies infectieuses à l’hôpital Saint-Antoine à Paris juste avant la crise du Covid-19. Lors de son explosion médiatique, Karine Lacombe a été très pédagogique. Qui plus est, c’est une femme et un nouveau visage, une nouvelle compétence. Ceci explique l’engouement. Elle a régulièrement critiqué la méthodologie des études du Pr Didier Raoult sur l’hydroxychloroquine. Une position qui lui a valu de sérieux retours. « On m’a menacée de venir me casser la figure si je ne prescris pas de chloroquine, si je n’arrête pas de parler. » Elle a été aussi menacée de mort. À tel point que le 16 avril 2020, elle portera plainte contre X auprès du procureur de la République près le tribunal judiciaire de Paris pour le chef « menaces de mort envers un professionnel de santé commis à Paris courant avril 2020 ». Ses secrétaires ont été harcelées au téléphone en son nom. En un seul week-end, après sa seconde intervention sur TF1 comme caution scientifique du Premier ministre, elle a reçu 700 mails contenant les mêmes propos : « Je vous tiendrai entièrement responsable si un membre de ma famille décède du Covid-19. Responsable par vos conflits d’intérêts et votre obstination plus que douteuse à l’encontre du traitement du Pr Raoult. » Face à ces attaques et ces menaces, Karine Lacombe a pris une décision radicale : quitter les réseaux sociaux. Mais pas son franc-parler.