L’hôpital est cloisonné. On voit les mêmes, on travaille avec les mêmes. Les autres sont des adresses mail ou des numéros DECT. Or, les cellules de crise quotidiennes, parfois biquotidiennes, ont mis des voix, des visages déformés par la visioconférence, des noms, des histoires, des émotions, des sensibilités sur des badges et des codes téléphoniques. Mais aussi des humanités, des incompréhensions qu’on lit sur les visages pendant les réunions de cellule de crise. Les médecins sont comme les autres, ils ne tiennent pas le masque au sens propre comme au sens figuré au-delà de quelques semaines. La crise leur fait plier l’échine. Certains se révèlent. Qu’ils soient au front des Covid-19 ou déployés sur d’autres missions. Les masques tombent sous le masque chirurgical. Parmi ceux-là, le Dr Hélène Goulet. Elle est la cheffe de service des urgences. Elle est aussi la directrice médicale de la cellule de crise de notre hôpital. Pour moi, une vraie révélation. C’est elle qui anime chaque jour, week-end compris, la réunion de crise de l’hôpital tout en assurant sa mission de cheffe de service des urgences. Elle se moque comme d’une guigne de ne pas être professeur. Sa fonction l’expose quotidiennement, jour et nuit, du DECT au 06. Durant quatre mois. C’est elle qui donne les chiffres des lits libres chaque jour, plutôt des lits occupés ou suroccupés. Parfois, elle précise comment « on fait des sorties ». Entendez par décès ou par guérison. C’est elle aussi qui clôt les débats stériles et remet le Skype en ordre de marche. Dans cette guerre-là, on n’a pas le temps de tergiverser. Son leitmotiv à elle, après une discussion qui s’éternise inutilement, c’est : « Là, j’ai toujours pas compris où je mettais les malades des urgences ! » Les urgences qu’elle appelle les « urges ». Non seulement il faut éponger le flux des patients Covid suspects, mais aussi s’occuper des 135 malades à l’intérieur de l’hôpital, en réanimation, qui sont infectés par le virus, en plus des équipes épuisées. Avec elle, nous repérons ceux qui font semblant de ne pas comprendre. Qui veulent reprendre leurs activités ou qui ont tout simplement disparu des écrans radars de l’hôpital public, occupés sans doute à des tâches plus importantes.