Dans la nuit du samedi au dimanche, les services du Premier ministre ont mis en ligne un avis du conseil scientifique exposant les prérequis à mettre en place pour une « sortie progressive » du confinement. On est à J-2 de l’annonce par le Premier ministre du plan détaillé du déconfinement. Durant cette nuit, je me voyais dans mon service qui était entièrement vidé, ce qui en soi pourrait tenir du rêve, mais j’y avais hospitalisé la plupart des membres de ma famille, atteints du Covid. Et je ne trouvais nulle trace des uns et des autres. Ni sur la liste des sortants. Ni sur le registre des décès. Le Covid a envahi nos têtes et nos nuits. Il est temps qu’il en sorte.
Le document du conseil scientifique à usage ministériel comme niveau d’exigence avant le déconfinement fait 42 pages, dont 24 de fiches techniques. Pourtant les mesures phares, au nombre de 6, sont assez claires. Mais tellement irréalisables en quarante-huit heures que cela confine à la déclaration d’intention. Pour ne citer que l’essentiel :
« Des services de réanimation et d’hospitalisation soulagés, des équipes soignantes reposées, des stocks de matériels, de traitements et d’équipements de protection reconstitués. » Comment, en quarante-huit heures, la France hospitalière, qui subit depuis quatre mois et n’était pas sortie de crise avant l’arrivée du virus de Wuhan, peut-elle arriver à hauteur de cette exigence ? Et le document de poursuivre avec une « médecine de ville repositionnée en première ligne, avec intégration des outils de suivi numérique des patients de Covid-19 consolidés ».
Précisément, je fais partie d’un petit groupe animé par Alexandre Mignon, un anesthésiste de l’hôpital Cochin. Un petit groupe baptisé COVID-IA, avec IA comme intelligence artificielle. Notre but est de voir comment l’intelligence artificielle peut aider à modéliser et à accompagner la sortie du confinement. Ce groupe comprend des mathématiciens, un virologue, des infectiologues, des épidémiologistes. C’est une structure bénévole animée surtout par des cerveaux et par la recherche de moyens. On mise beaucoup sur l’utilisation des tests pour sortir du confinement. Et pour l’après, quand le virus devrait circuler à bas bruit ou par vagues. Pas seulement les tests virologiques qui détectent la maladie, mais surtout les tests sanguins qui recherchent les anticorps. Notre idée est d’accompagner les entreprises pour effectuer de la recherche-action pour leurs salariés en leur permettant, via la médecine du travail, d’être testés dans la stricte protection du secret médical. Avec un objectif qui servira les intérêts des personnes, mais aussi des entreprises et par l’utilisation de l’intelligence artificielle et des modélisations qui livrera des données sur la circulation du virus. Nous espérons aussi lever des fonds pour mener des actions pour ceux qui sont dans l’angle mort des systèmes de surveillance sanitaire, comme les foyers de migrants.
Les six autres mesures phares du conseil scientifique du président sont toutes de la même facture, indiscutables, mais pour la plupart inatteignables :
« Avoir des capacités d’identification rapide des cas, de leurs contacts et d’isolement des patients de tous les porteurs sains contagieux. » On en revient encore à la pénurie de tests. L’Allemagne affiche 2 millions de tests à la date du 26 avril, alors que la France en est péniblement à 460 000. Nul ne peut assurer qu’on pourra tester toute une partie de la population sitôt le confinement lâché.
« Disposer d’un système de surveillance épidémiologique capable de détecter les nouveaux cas et une reprise de l’épidémie. » Toutes les Agences régionales de santé ont été débordées, notamment dans l’Oise. Même le Centre d’épidémiologie sur les causes médicales de décès est à la traîne. Au début de la crise, ce service technique qui compte les décès en était à chiffrer les morts de… 2017 ! Si bien qu’à la date de ce dimanche 26 avril, on ne sait toujours pas quels sont les chiffres de la mortalité hors Covid. Je repense au Conseil national du sida (CNS), exactement cinq semaines avant l’alerte chinoise sur l’émergence d’une nouvelle pathologie respiratoire. Dans son avis du 21 novembre 2019, le CNS notait, sur les orientations de la politique de dépistage du VIH en France : « Améliorer la production de données épidémiologiques actualisées et territorialisées pour adapter les politiques de dépistage aux besoins. » Faisant le constat au passage que « la production actuelle de données épidémiologiques n’est pas satisfaisante »… Le Covid surligne cruellement l’incompétence de notre système de soins à détecter puis à suivre une épidémie en temps réel. Et plus encore à adapter les outils de dépistage et de prévention à des chiffres nationaux et territoriaux. Le Covid est pire que le VIH pour ce qui est de la territorialité et de la complexité du mode de transmission.