En pleine cellule de crise, je regarde mes mails. Le mot du directeur général est tardif ce lundi-là. Il s’en explique : il attendait de pouvoir annoncer « la bonne nouvelle ». Les premiers résultats de l’essai Corimuno-19 promu par l’AP-HP et l’Inserm montreraient que le tocilizumab, un anticorps monoclonal déjà utilisé dans la polyarthrite rhumatoïde, « améliore significativement le pronostic des patients avec une pneumonie liée au Covid de gravité moyenne ou sévère ». La communication est à la marseillaise, car nous ne disposons pas encore des données scientifiques publiées. Le Canard enchaîné, daté du 13 mai, épinglera la communication hasardeuse du directeur de l’AP-HP avec ce sous-titre : « Gouvernement fumasse, audit en urgence et démissions en chaîne, le coup de com de l’AP-HP sur un essai clinique continue de faire des remous. » On reproche au Pr Raoult sa communication, mais la direction de l’AP-HP comme le grand Anthony Fauci, aux États-Unis, grilleront plus encore les règles élémentaires de communication scientifique : attendre d’avoir des données consolidées et une publication validée par ses pairs avant de faire un communiqué de presse. Cela reste un premier signal fort. Toutefois prudence. D’ailleurs sur la photo des six collègues, que des hommes, qui accompagne la communication de presse, aucun ne se laisse aller à sourire. Le tocilizumab illustre une des deux approches contre le Covid-19 : soit taper sur le virus, soit régler l’excès de zèle de la réponse immunitaire qui fait toute la gravité des atteintes pulmonaires. Et de sans doute bien d’autres organes : rein, système nerveux, foie, peau, myocarde. Il reste à confirmer. À voir aussi dans les autres essais de ce format. Et ce que fait le produit en réanimation. À Tenon, toutes les équipes sont plutôt fières. L’hôpital est le premier centre recruteur à inclure des malades dans cet essai, avec 49 patients dont 9 en réanimation. Et vu le buzz sur les essais Covid, nous serons audités par l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM).
Mais avant il y a eu la colère. Depuis les années noires du sida, je me suis toujours battu pour que les essais thérapeutiques arrivent à temps dans le service. Avec Discovery, l’autre essai thérapeutique à cinq bras, dont l’hydroxychloroquine, ce fut la foire d’empoigne. Tenon n’était toujours pas ouvert cinq semaines après le premier centre. Je déteste cette injustice et une vision « provinciale » de la recherche. Le grand-Est et l’Île-de-France seront servis à la marge et tardivement, après Nantes, Annecy, Besançon qui ne sont pas a priori les berceaux de l’épidémie. J’en suis réduit à suivre, comme le trajet d’un Uber, l’arrivée de la molécule, Remdesivir, censée être le facteur bloquant. Ironie de l’histoire, à l’heure où s’écrivent ces lignes, Discovery n’a toujours pas livré de résultat… Et n’en livrera peut-être jamais, l’Europe n’ayant pas suivi la France. Nous avons inclus quelques patients, puis le gros de l’épidémie s’est éloigné.
Il n’y a plus de sport, plus de culture, plus de politique politicienne hors Covid. Tout un chacun s’invente une compétence, une expertise, une prophétie sur la pandémie. Comme je le répondrai sur un plateau de télévision au très respectable philosophe André Comte-Sponville, qui argumente, de sa place de confiné, les chiffres de mortalité : « Vous imaginez un taux de létalité de 1 ou 2 %, sans doute moins, et les gens parlent de fin du monde. Mais c’est quand même hallucinant. » En France, depuis le Covid, nous avons 60 millions d’épidémiologistes.