Autant l’écrire tout de go. À l’hôpital Tenon, comme dans la plupart des grands centres hospitalo-universitaires, nous avons prescrit de tout. Enfin, tout ce qu’il était possible de prescrire dans le cadre réglementaire comme le cocktail marseillais (hydroxychloroquine + azithromycine), d’autres antibiotiques, des antiviraux, du plasma de malades guéris, des anticorps monoclonaux comme le tocilizumab (anti interleukine-6), en incluant de manière collégiale des patients dans les essais comme Corimuno ou Discovery. Parce que nous ne savions pas, nous n’avons privilégié aucune piste. N’en retenir qu’une est un coup de poker qui défie la science et l’éthique et contre laquelle une grande partie de la communauté scientifique française s’est levée.
Certaines de ces molécules donnent des résultats encourageants et a-polémiques. On l’a observé de notre regard de clinicien avec le tocilizumab (49 patients inclus à Tenon) et l’impression clinique que cet anticorps monoclonal permettait de faire passer le cap du passage à la réanimation de certains patients. Même si les données préliminaires et l’impression nécessitent une preuve scientifique irréfutable. Il en est de même avec l’anakinra (anti interleukine-1), un autre anticorps monoclonal initialement destiné à des maladies rhumatismales, qui réduirait le risque de décès et le besoin d’être mis sous respirateur en réanimation. Le but étant de contrôler « l’orage cytokinique », une réaction inflammatoire incontrôlée mise en cause dans les formes graves de pneumonie Covid-19, débouchant sur le Syndrome de détresse respiratoire aiguë. Un peu comme la gomme fait un trou dans le papier à force de frotter. Une situation où les poumons ne fournissent pas assez d’oxygène aux organes vitaux, qui nécessite l’assistance d’une ventilation artificielle.
Mais à l’heure où se clôt ce carnet de bord, tout laisse à penser que l’hydroxychloroquine n’a pas le moindre effet sur le Covid-19, et ce en toute insécurité quant à l’augmentation de la mortalité cardiaque. L’article de The Lancet qui aurait pu signer la fin de la partie, suivi des avis suspensifs de l’OMS, de l’Agence de santé française du Haut conseil de santé publique et du comité indépendant de l’essai Discovery, est lui-même attaqué de toutes parts, relançant le débat sur la molécule controversée. Puis retiré par trois de ses auteurs de la circulation scientifique. En gros, la revue scientifique britannique est prise en flagrant délit d’utiliser certaines des méthodes dénoncées dans cette crise. Pas certain que la Science en sorte grandie.