Le nom de Rubens est connu dans le monde entier, et limportance de lœuvre de cet illustre peintre flamand du XVIIe siècle dans lévolution de toute la culture européenne est universellement reconnue. Les œuvres de cet artiste révèlent une telle spontanéité dans lapproche de la vie, une telle vigueur dans laffirmation de ses valeurs les plus élevées, que les tableaux de Rubens sont de nos jours perçus comme dauthentiques phénomènes esthétiques.

 

Les musées de la Russie peuvent se vanter de posséder une prestigieuse collection de travaux du grand maître, dont les pièces les plus remarquables sont réunies au Musée de lErmitage, qui abrite lun des meilleurs ensembles de Rubens au monde. Trois ouvrages de Rubens, qui se trouvent à présent au Musée des Beaux-Arts Pouchkine à Moscou, faisaient partie de la collection de lErmitage à la fin du XVIIIe siècle. Ce sont la Bacchanale et LApothéose de linfante Isabelle, qui entrèrent à lErmitage en 1779 lors de lachat de la collection Walpole (Houghton Hall, Angleterre), ainsi que La Cène, acquise en 1768 avec la collection Cobenzl (Bruxelles). En 1924 et 1930, ces trois tableaux furent transférés à Moscou.

 

Il semble quau XVIIe siècle le nom de Rubens ne jouissait pas de la célébrité quil connut plus tard. Et cela paraît étrange, car les contemporains célébraient Rubens comme l« Apelle de nos jours ». Pourtant, dès les premières décennies qui suivirent la mort du maître en 1640, la gloire européenne quil connut de son vivant séteignit peu à peu. Cela est dû aux changements qui sopérèrent dans lensemble de la situation politique de lEurope de la seconde moitié du XVIIe siècle.

 

La première moitié du siècle avait vu la formation des nations et des monarchies absolues. Et ce que Rubens apportait de nouveau dans lart ne pouvait laisser indifférentes les diverses couches sociales de nombreux pays européens aspirant à laffirmation de leur conscience et de leur unité nationales.

 

Le peintre défendait les valeurs sensuelles du monde matériel, exaltait lhomme, lui donnant des dimensions cosmogoniques, célébrait lhéroïsme pathétique et la puissante tension des forces physiques et morales de lêtre humain, chantait lélan engendré par une lutte sociale ayant atteint son paroxysme. Tout cela engageait dans le combat, servait à la fois détendard et didéal.

 

Mais dans la seconde moitié du siècle, la situation en Europe occidentale avait changé ; en Allemagne après la guerre de Trente Ans, en France après la Fronde, en Angleterre avec la Restauration, labsolutisme triomphait. Le processus de scission de la société en partis conservateurs et progressistes saccéléra, conduisit à une « remise en cause des valeurs » parmi les milieux conservateurs des classes privilégiées et donna naissance à une attitude ambiguë et contradictoire à légard de Rubens, attitude qui se répandit dans lEurope où, hier encore, retentissait la gloire du maître.

 

Telle est la raison pour laquelle, dans la seconde moitié du XVIIe siècle, nous perdons la trace de nombreuses œuvres de Rubens, qui avaient changé de propriétaires ; cest pour cela aussi que son nom est si rarement mentionné dans les inventaires et les catalogues de lépoque. Ce nest quau XVIIIe siècle que renaît lintérêt pour les œuvres de Rubens.