Ce matin, je suis réveillée en sursaut par le téléphone.
C’est Lola.
Il semble qu’Hubert l’ait surprise.
L’esprit encore ravagé par les vapeurs du sommeil, je constate :
— C’est plutôt une bonne nouvelle… Ça veut dire que tu ne vas pas lui demander le divorce ?
Une longue plainte déchire ma remarque, et je m’interroge aussitôt sur sa cause : est-ce parce que le défi relevé avec succès par Hubert l’empêche d’exiger une issue que finalement elle espérait, ou bien ses larmes poignantes sont-elles directement liées à la surprise même d’Hubert.
Je demande :
— Qu’est-ce qu’il a fait pour te surprendre ?
La réponse est en effet inattendue :
— Il m’a demandé le divorce, pleurniche Lola en hoquetant, malheureuse comme les pierres.
Évidemment…
— Moi, j’avais fait ça pour remettre un peu de piment dans notre relation, sanglote-t-elle avec douleur. Pas pour briser notre couple ! Et maintenant… Maintenant il me dit qu’il a bien réfléchi et qu’il ne voit pas pourquoi il se creuserait la tête pour surprendre une grognasse qui, de toute façon, lui pourrit la vie à longueur de journée. Tu te rends compte ?
Les propos d’Hubert sont en effet plutôt… colorés. À tel point que je ne peux m’empêcher d’émettre un discret sifflement impressionné.
— Au début, j’ai cru qu’il ne parlait pas sérieusement, poursuit Lola après s’être bruyamment mouchée. Alors j’ai éclaté de rire en lui disant que, pour une fois, il faisait preuve d’imagination, en conséquence de quoi j’acceptais d’envisager une alternative à ma menace de divorce. Tu sais ce qu’il a répondu ?
Bien qu’une vague idée de la nature des propos d’Hubert me vienne à l’esprit, je réponds par la négative : ce n’est pas le moment d’en faire.
De l’esprit.
— Il m’a dit que ma demande de divorce était de loin la décision la plus sensée que j’avais prise depuis des années et que ce serait sans conteste le plus grand service que je puisse lui rendre. Parce que gâcher sa vie à côté d’une mégère inapte et bornée, franchement, il avait mille fois mieux à faire.
— Qu’est-ce que tu as répondu ?
— Je l’ai prié de répéter ça en me regardant dans les yeux. Du moins s’il avait assez de couilles pour le faire.
— Et ?
Lola redouble de pleurs.
— Il l’a fait.
À part me taire, je ne vois pas très bien quelle attitude adopter. J’attends que l’orage soit passé pour ensuite demander :
— Et après ?
Lola se remet aussitôt à sangloter.
— J’ai fait une bêtise. Une grosse bêtise.
Aïe.
— Je lui ai dit que son débordement de testostérone me surprenait en effet, vu le manque de vigueur dont il avait fait preuve ces dernières années.
— Je ne vois pas en quoi c’est une bêtise, il l’a bien cherché !
— J’ai précisé qu’il me semblait me souvenir que cette virilité aujourd’hui franchement déplacée lui avait pourtant fait défaut il y a trois ans à un moment où on en aurait eu particulièrement besoin.
— Je ne comprends pas.
— Lui non plus n’a pas compris tout de suite. J’ai dû mettre les points sur les i.
— C’est-à-dire ?
— Je lui ai simplement rappelé l’âge de notre fille : elle vient d’avoir deux ans.
Cette fois, j’émets un sifflement tout ce qu’il y a de plus sonore.
— Et… C’est vrai ?
J’attends que Lola parvienne à dominer ses pleurs pour obtenir un semblant de réponse.
— Je… Je n’en sais rien.
— Comment ça, tu n’en sais rien ?
Lola se mouche encore une fois.
— À cette époque, on essayait d’avoir un deuxième enfant… Les mois passaient et rien ne venait. Il y avait un stagiaire au boulot, un petit gars mignon qui m’avait tapé dans l’œil. Oh, rien de bien méchant, j’avais sept ans de plus que lui, franchement je ne me faisais pas d’illusion. C’était un peu mon Max à moi. La veille de son départ…
Wowowo ! Stop. On met sur « Pause » et on rembobine :
— Qu’est-ce que tu viens de dire ?
Lola s’interrompt, surprise, et reprend :
— J’ai dit que je ne me faisais pas d’illusion, il avait sept ans de moins que moi, j’imagine qu’il…
— Non, juste après, qu’est-ce que tu as dit à propos d’un certain Max ?
— Oh ça ? Ça date de ton histoire avec Alain. Pendant un an, tu as réussi à cacher aux parents que tu couchais avec le voisin du dessus. En revanche, ce que tu n’es pas parvenue à cacher, c’est que tu étais follement amoureuse. C’était tellement évident ! Au début, tu as tout nié en bloc, mais les grimaces, le vieux singe, tout ça, personne n’était dupe. Alors tu t’es inventé un petit ami fictif que tu as appelé Max.
— Tu veux dire que Max… c’est Alain ?
— À l’époque, oui. C’est devenu son nom de code.
J’en reste comme deux ronds de flan. Ça tourbillonne dans mon ciboulot, Max, Alain Nanterre, deux prénoms pour un même homme et un amant fantôme qui soudain se matérialise… Ma bouche s’assèche en un instant, je ravale une salive inexistante et j’essaie de comprendre :
— Pourquoi ai-je eu besoin de lui donner un nom de code ?
— Va savoir… Vous avez caché votre liaison pendant des mois, vous ne vouliez absolument pas que cela se sache et vous avez bien fait puisque, quand maman a découvert le pot aux roses, ça a été le scandale de l’année.
— L’histoire du caleçon ?
— Tout juste.
— Que s’est-il passé, exactement ?
À l’autre bout du fil, Lola soupire.
— Écoute. Je veux bien te raconter, mais cette histoire-là concerne personnellement Mathias. Il nous a fait promettre de ne pas t’en dire un mot, il préfère la gérer lui-même. Tu devrais voir ça avec lui.
— C’est quoi cette embrouille ?
— Ne m’en demande pas plus, Zoé. Demande à Mathias. Tu veux bien ?
Cette fois, c’est moi qui soupire.
— J’ai le choix ?
— Non. Bon ! Je peux reprendre là où j’en étais ? Tu m’écoutes ?
Je t’écoute mais là, j’ai besoin d’une petite pause pour encaisser la nouvelle. On reprend au chapitre suivant, ça te va ?