Tout le monde est rentré chez soi, et moi, j’ai terriblement besoin de rester seule. Je ne sais pas où aller, alors je me rends rue de Tourtille, à la salle de réception où nous aurions dû fêter notre union. Après avoir renvoyé le traiteur, l’orchestre, la concierge, les garçons de salle et le service de nettoyage, je dédommage tout le monde et je referme la porte.
Dans le frigo du bar, il y a les trois ballotins de pralines. Les caprices de mon destin. Je reste un long moment devant ces petites boîtes remplies de douceurs qui, aujourd’hui, me donnent la nausée. Puis je les prends et je jette tous les baisers d’Alain à la poubelle.
J’ai tout perdu, l’homme que j’ai maintenant conscience d’aimer follement, l’insouciance de ma jeunesse et le goût du chocolat : je ne pourrai plus jamais en manger, son amertume me brûle les souvenirs. La seule chose que j’ai retrouvée, c’est la mémoire. Maigre consolation, si l’avenir me paraît sombre, je peux toujours monter à bord de mon vaisseau mémoriel et me promener dans les contrées de mon passé.
Autour de moi, les tables sont dressées en tenue de fête, on les croirait vêtues de robes de mariée avec leur nappe blanche et leurs parures de verre, service d’apparat que l’on sort pour les grandes occasions. Celle-ci était pourtant de circonstance, je devais épouser l’homme de ma vie mais ce ne fut pas l’avis de mon homme… Julien s’est éclipsé durant ma confession, quelque part entre l’aveu d’Amères Friandises et l’épilogue de mon histoire. Je ne l’ai plus revu depuis.
Et maintenant ?
Du temps… Ce pays aux détours vallonnés dont les allers-retours se font entre un passé révolu et un avenir incertain, cette ligne que certains suivent à reculons et que d’autres franchissent d’un simple pas, cet endroit que, parfois, on laisse s’enfuir mais qu’en général on tente désespérément de retenir…
— J’espérais te trouver là…
Moi aussi. Follement. Désespérément, j’attendais qu’il vienne me rejoindre. Je ferme les yeux et retiens un sanglot de soulagement. Julien est là, derrière moi, je l’entends qui s’approche et, silencieusement, s’installe à mes côtés.
Pendant de longues minutes, nous ne disons rien. Je crois que nous profitons chacun du silence de nos doutes. Nous sommes toujours habillés en mariés, sauf que Julien n’a plus son nœud papillon et que je n’ai plus mon voile.
— Quels sont tes projets ? me demande-t-il soudain.
Je hausse les épaules.
— J’ai un bouquin à écrire.
— Je posais la question à Zoé Letellier et non à Zélie Laure.
J’esquisse un sourire.
— Et si elle écrivait enfin le livre dont elle rêve, Zoé Letellier ? me suggère-t-il le plus sérieusement du monde. Un roman dont elle n’aurait pas honte et qu’elle revendiquerait avec fierté. Un livre qu’elle signerait de son vrai nom.
— Encore faut-il que j’en sois capable…
— Tu as le temps pour un café ?
— J’ai toute la vie devant moi.