Chapitre 8

Consternation générale.

— Pardon ? s’exclame maman en avalant de travers.

Je répète calmement.

— Je ne compte pas me marier samedi avec Lucien.

— Julien, corrige Mathias.

— C’est une blague ? interroge presque sincèrement Lola.

— Non.

— Tu ne peux pas faire ça ! glapit maman.

— Pourquoi ?

— Parce que…

Elle cherche un argument béton, une bonne raison, un prétexte quelconque…

— Tu es très amoureuse de lui !

— Ben… Non !

— Quoi « non » ?

— Je ne vois pas comment je pourrais être amoureuse d’un garçon que je ne connais même pas.

— Peut-être pas en ce moment parce que tu ne conserves aucun souvenir de votre histoire, reprend maman au bord de l’apoplexie. Mais je peux t’assurer, et tout le monde ici te le confirmera, que Julien et toi êtes faits l’un pour l’autre.

Pendant que Mathias tente de maîtriser une toux récalcitrante et terriblement bruyante, papa intervient :

— Ne nous emballons pas ! Tu es dans une situation difficile, Zoé, nous en sommes tous conscients. Tu te maries dans quatre jours avec un homme que, dans l’état actuel des choses, tu penses n’avoir jamais vu de ta vie. Tout ce que nous te demandons, c’est de ne pas prendre de décision à la légère.

— C’est bien ce que je compte faire.

— Dans un sens comme dans l’autre, ajoute-t-il précipitamment. Ce que je veux dire, c’est que ça ne sert à rien de se braquer et de trancher sans connaître les tenants et aboutissants. Prends le temps de faire connaissance avec Julien, parle avec lui, il te racontera votre histoire et peut-être qu’au-delà de ton amnésie, tu retrouveras ce qui te plaît en lui depuis quatre ans… Si malgré tout tu ne ressens rien, alors tu pourras prendre une décision en ton âme et conscience.

— Tu permets ! s’insurge maman. Ce mariage nous a coûté une fortune, à nous comme à elle, nous ne pouvons pas la laisser faire la bêtise de sa vie sous prétexte qu’elle ne se souvient de rien !

Mathias émet quelques réserves :

— Tu ne vas tout de même pas la forcer à épouser Julien pour la simple raison que…

— Je ne vais forcer personne ! s’énerve-t-elle. De toute façon, as-tu déjà vu qui que ce soit forcer Zoé à faire quoi que ce soit ? Je demande seulement que l’on tienne compte de tous les paramètres dans cette histoire. Et les frais du mariage font partie de ces paramètres.

Elle me considère sans cacher un désespoir certain.

— Je ne veux pas paraître vénale, mais tout de même… Les cartons d’invitation sont envoyés, la salle est louée, le traiteur est commandé, le fleuriste aussi, tu as engagé un orchestre pour la soirée, le voyage de noces est réservé et déjà payé…

— Qui a payé tout ça ?

— Les frais sont partagés. Tu as payé une partie, nous en avons payé une autre…

— Je vous rembourserai.

— Le problème n’est pas là, intervient papa.

— C’est bon, c’est bon, dis-je pour calmer la tension qui monte. Je… Je ne vais rien décider maintenant. Et si je devais prendre une décision dans ce sens, vous serez prévenus jeudi au plus tard. En attendant, l’idée de papa n’est pas mauvaise et, de plus, ça fait partie du processus prescrit par le docteur Meunier.

— Te briefer sur les invités ? demande Lola.

J’acquiesce d’un signe de la tête.

— Tu parles d’une corvée !

— On peut lui raconter l’histoire de la montre de tante Ginette ! propose Mathias en riant déjà.

— On s’en tape de tante Ginette, grommelle Lola, elle est morte, elle ne risque pas de venir foutre la merde !

— De toute façon, Zoé ne l’aurait pas invitée.

Mathias se marre déjà et poursuit dans la foulée :

— Pour fêter nos douze ans, papa et maman ont organisé un goûter. Toute la famille était invitée, dont tante Ginette. Il faut te dire que tante Ginette était la personne la plus odieuse que je connaisse. Elle détestait les enfants, ne se privait pas pour le faire sentir, rien ne la satisfaisait et elle se plaignait de tout. Juste avant le goûter, c’est la distribution des cadeaux. Moi, je reçois un stylo et toi, une montre. Réaction de tante Ginette quand elle a vu ta montre : « Voilà encore un gadget qui ne fera pas long feu ! »

Mathias glousse avant de persévérer :

— Deux ans plus tard, tante Ginette passe l’arme à gauche. À l’enterrement, tout le monde se suit pour se recueillir quelques instants devant le cercueil… C’est notre tour. On est là tous les deux devant sa dépouille, on ne dit rien mais on n’en pense pas moins… Et puis soudain, tu regardes ta montre et, tout bas, tu dis en t’adressant à tante Ginette : « En tout cas, elle aura tenu plus longtemps que toi ! »

Mathias éclate de rire, Lola enchaîne, maman glousse, papa sourit. Tous épient ma réaction.

Je ne dis rien.

Mathias se racle la gorge.

— Ce jour-là, on a beaucoup ri tous les deux, explique-t-il sur un ton d’excuse.

Silence.

Je n’ai pas envie de rire.

— En gros, tu as quatre jours pour te décider, déclare soudain Lola.

— Me décider à propos de quoi ?

— À propos de ton mariage, précise-t-elle un peu sèchement. Tu as quatre jours pour décider si oui ou non tu veux épouser Julien.

— Ou pour retrouver la mémoire ! ajoute Mathias.

Et je songe soudain que si je suis le genre de fille qui rit beaucoup à un enterrement, je risque de pleurer tout autant à un mariage. Le mien en l’occurrence.