Lorsque j'ai enfin quitté l'armée, après mon deuxième contrat, j'ai vite compris que je n'avais plus rien à faire à Dublin. Chaque minute passée dans cette vieille ville pourrie ajoutait à mes pensées déjà tourmentées. Il m'était impossible d'y trouver un souvenir qui ne se termine pas en tragédie. Comme je vous l'ai déjà expliqué, j'ai tendance à me replier dans mon monde.
Ainsi va la vie, non ? Il faut apprendre à gérer.
Et c'est ce que j'ai fait. J'ai profité d'être né à New York pour réserver un billet transatlantique à destination de l'aéroport Kennedy. J'ai passé le contrôle d'embarquement vêtu de cet uniforme qui n'était plus le mien. Je me suis même accordé un grade supplémentaire. Une des plus anciennes combines du manuel, après l'art de charger un flingue avec des sachets de thé pour terroriser les pillards. J'ai jeté le béret et la veste dans la cabine des toilettes. Je suis ressorti en civil muni d'un billet de première classe.
Ma mère était peut-être originaire des États-Unis, mais avec l'appartement familial au-dessus de Central Park, elle n'était pas ce qu'on peut appeler une New-Yorkaise pur jus. Après m'être installé, il m'avait fallu un moment pour choper l'accent du coin.
Un jour, on disait maon Dieu ou m'Dieu, et le jour suivant, on employait l'expression oublay ça.
Ils font exprès, je pensais. Bla-bla-bla. Baragouin. Merde, personne ne parle de cette manière.
Pourtant, ils s'exprimaient ainsi, et même pire. Je me suis fait avoir deux ou trois fois au début uniquement parce que je n'arrivais pas à comprendre ce que les gens me racontaient.
Tu r'gard' quoi ?'spèce d'mongol ? Visez-moi c't'abruti !
Tant et si bien que j'ai arrêté la parlote. Un type commençait à la ramener au bar, je m'en occupais avec le premier objet qui me tombait sous la main. Un cendrier, un plateau. N'importe quoi. Prévenir les conflits est un don naturel chez moi. Je devine toujours quel gars va péter un câble. Une chose que Simon Moriarty m'a apprise, quand nous nous sommes mieux connus.
Comme je vois que vous êtes décidé à rempiler, Dan, je ferais tout aussi bien de vous donner quelques bons tuyaux.
Par exemple ?
Par exemple à quel moment il faut arrêter de préserver la paix et commencer à tirer.
C'est dans les yeux et les épaules, m'avait expliqué Simon. Ils parviennent à un stade où ils se disent et merde. À cet instant, ils se moquent des conséquences, alors vous devez sortir les mains de vos poches et y aller. J'y vais plutôt bien. Douze années dans l'armée m'ont au moins enseigné ceci, même si je ressens encore des douleurs au niveau du dos quand je passe à l'action, en particulier en plein hiver. Pourtant, les toubibs jurent qu'ils ont enlevé tous les éclats de l'obus de mortier du Hezbollah. Douleurs fantômes, prétendent-ils. Ces douleurs n'ont rien de fantomatique lorsque la glace se fixe sur la vitre de ma fenêtre, identique à une toile d'araignée, et que mes reins donnent l'impression qu'un gnome maléfique y plante des crampons.
Je suis resté à New York durant quatre ans, à emballer de la viande le jour et bosser dans les clubs la nuit. Cependant, le « nouveau départ » que j'avais pris ressemblait de plus en plus à un cul-de-sac. L'amour n'était pas au rendez-vous, et en plus je perdais mes cheveux. Une décennie dans la tombe et mon père continuait de m'envoyer des cadeaux de ce genre. Quatre ans à New York et j'étais là, entouré de petits malins et de prétentieux. Mes doigts avaient l'air de vieilles bites à force de frapper les gens. Oui, les gens. Les femmes et les enfants représentent un danger dans cette ville. Je vois une seringue pointée dans ma direction, je me fous de savoir si la personne qui la tient a des tresses ou des dents de lait.
Un soir d'automne pluvieux, j'avais baissé les yeux sur la pute asiatique au visage d'enfant que je venais d'étaler pour le compte et avais pris la décision de quitter la ville. J'avais embarqué son poignard, malgré tout. Un beau couteau papillon au manche orné d'un signe chinois. Je l'ai encore.
J'ai fait mon paquetage avant de prendre un train pour la ville satellite de Cloisters, comté d'Essex. L'unique raison de descendre à cet endroit résidait dans le panneau qu'ils avaient à la gare. Cloisters. Pour ceux qui en ont assez de la ville. J'adorais la sonorité de ces mots.
Il s'avéra qu'ici n'était pas beaucoup mieux que là-bas. Tout d'abord, les établissements de jeu, à Cloisters, sont à quelques stations de bus sur la rive opposée de l'Hudson. Du coup, chaque week-end, tous les trous du cul de la ville viennent claquer leur pognon durement gagné, mater des nus intégraux, et s'écrouler dans des hôtels beaucoup moins chers qu'à Atlantic City. Sans compter nos propres trous du cul à nous. Je suis là depuis six ans, et je me demande parfois si je n'aurais pas plutôt dû rester à New York. Plus que parfois.
Je vais me barrer dès que mes cheveux auront repoussé. Quand j'aurai des cheveux, je serai heureux. C'est ce que je me dis. J'ai peut-être déjà trop tardé.
Je me force à regarder Macey mourir. Ainsi, son trépas a une signification. Je refuse de tuer un homme, puis de fermer les yeux tandis qu'il crève. Il faut rendre cet acte pénible, sinon il devient anodin. J'ai déjà tué des gus, mais juste trois et jamais de cette façon. Je n'ai jamais été proche au point de voir leurs yeux s'éteindre ou d'entendre le râle dans leur poitrine, comme s'il y avait un tas de billes dedans. À l'armée, vous pouviez toujours vous rassurer : c'est la guerre. On a le droit, pendant la guerre. Mais là, maintenant, dans une parapharmacie de Jersey, j'ai l'impression que ce genre d'événement ne devrait pas se produire. Les morts violentes sont censées appartenir à mon passé. Le docteur Moriarty qualifierait cet accident d'anachronisme.
Barrett perd de sa vivacité, il tressaute. On le dirait traversé par un courant. Du sang partout.
Tu t'attendais à quoi ? Tu l'as planté à la jugulaire.
Pour une raison mystérieuse, mon subconscient adopte les inflexions de Zeb.
Lors du spasme final, Barrett lâche le stylet qui tournoie dans l'air, tel un bâton de majorette, et va se planter dans une des plaques du faux plafond.
Je me calme un peu. Selon moi, il s'agit d'un meurtre en état de légitime défense, mais ce ne sera peut-être pas l'avis de tout le monde. Michael Madden, par exemple, pourrait rallier un point de vue légèrement différent. Mike l'Irlandais va me couper en morceaux pour avoir tué son lieutenant. Aussi simple que ça. Je dois brouiller la scène autant que possible.
Première étape, ferme cette putain de porte, imbécile.
La clef est toujours là où je l'ai mise. Je n'ai rien d'une chochotte, mais je suis beaucoup plus réticent à retirer la clef qu'à la planter. Elle ressort avec un bruit de succion familier, comme si elle avait trouvé un endroit confortable qu'elle refusait de quitter.
Un bruit de succion familier ? Nul excepté moi ne saurait être familier avec un tel bruit. Il me rappelle la fois où j'avais entrepris de retirer tout seul un shrapnel triangulaire de mon flanc, juste avant de m'évanouir.
J'introduis à tâtons la clef dans la serrure et la tourne. Environ quinze secondes plus tard, une cliente de Zeb actionne la poignée.
« Kronski, espèce de salopard, crie-t-elle d'une voix esquintée par des milliers de cigarettes. Tes comprimés m'ont filé la chiasse. Vingt-six cinquante pour une chiasse ? Ouvre la porte, bordel de merde. Je te vois remuer là-derrière. »
La silhouette de la gonzesse tremble de colère, ou peut-être est-ce les flatulences. Je commence à me demander si j'ai bien fait de laisser Zeb faire des trous dans mon cuir chevelu alors qu'il n'est même pas foutu de vendre les bons cachetons.
Je reste immobile jusqu'à ce que la fille se barre, à la recherche de toilettes sans doute, puis je reporte mon attention sur Macey Barrett, allongé sur la moquette, le visage bleu et les yeux de traviole. On dirait qu'un vampire l'a mordu. Pauvre bougre.
Non. Pas pauvre bougre. Bougre d'assassin.
Comme moi.
Non. Légitime défense. Même Dieu est d'accord avec ce genre d'initiative.
Je reconnais vraiment la voix de Zeb. Mon subconscient a fait une découverte à laquelle je refuse de me confronter.
Je suis bien entraîné à tuer, mais pour le nettoyage, zéro. N'importe quel imbécile muni d'une télécommande et d'une télé sait combien il est crucial d'effacer toutes les preuves.
Je suis face à un problème. La moquette est imbibée de plusieurs litres de sang, sans parler du père de famille de quatre-vingt-dix kilos mort sur la moquette imbibée de sang.
Débarrasse-toi des preuves. De toutes les preuves. Pas de corps, pas de délit.
C'est beaucoup demander, mais une fois que je me concentre sur la tâche à accomplir, je suis plus calme. Mental de militaire. L'oisiveté est mère de tous les vices. L'activité aussi, dans le cas présent.
Zeb a aménagé un cagibi derrière. J'y puise des brosses, une paire de gants et un masque. Je vois aussi une scie électrique, mais je ne suis pas prêt à l'employer pour l'instant. Une clef dans le cou est une chose, le démembrement en est une autre.
Je fouille Barrett, à la recherche de ses clefs, portable, montre, portefeuille. Les objets qu'un voleur embarquerait. La quête se solde par quelques ustensiles de prix : des clefs de Lexus, un téléphone Prada, une montre Omega et une liasse de billets de cinquante plus épaisse qu'un hamburger.
La moquette se détache avec facilité, juste quelques points de colle à arracher.
Typique de Zeb. Toujours des économies de bouts de chandelle.
J'enlève tout dans la salle d'attente, et enroule Barrett dans trois épaisseurs. Je scotche la moquette, mets des sacs pardessus le ruban adhésif, et scotche encore. Après un examen sommaire, le carrelage en dessous me paraît propre. Je passe malgré tout un coup de javel avec la serpillière, par sécurité. Ils ont plein de lampes à UV, de nos jours. Même les criminels en ont. Il n'existe pas grand-chose qu'on ne puisse dégotter sur eBay.
Maintenant, me voilà avec une moquette, comme dans l'histoire de Cléopâtre, et il va falloir la trimbaler. Le fardeau est encombrant, mais j'ai déjà porté quelques carcasses par le passé. Simplement, il ne s'agissait pas de gens que je venais juste de buter. Je jette Barrett par-dessus mon épaule et gagne la porte de derrière en deux-trois enjambées rapides. Sur le parking fermé, j'avise un utilitaire blanc de marque Lexus, le modèle de cette année, avec des vitres teintées. La porte s'ouvre toute seule. Très pratique.
Les lieux semblent déserts. Si quelqu'un m'espionne à travers les rideaux, la seule chose dont on pourra jamais témoigner est qu'un homme masqué a mis un tapis roulé dans une voiture. Bien sûr, Michael Madden n'a que faire d'un procès équitable ou de la présomption d'innocence.
Je règle le siège conducteur à ma taille lorsqu'un texto arrive sur le portable de Barrett.
« Faut que je regarde ça, non ? » demandé-je au corps à l'arrière. Comme il n'y voit pas d'inconvénient, j'ouvre la messagerie.
Le SMS vient de Mike Madden. L'expéditeur est désigné sous le nom de M. l'Irlandais. Barrett a configuré son portable de manière à afficher la photo de son patron. Le cliché, pris lors d'un mariage traditionnel, représente un type torse nu et balaise en tout point semblable à deux de ses garçons trempés de sueur, occupés à s'attraper par le cou. Un regard fou, un béret en tweed avec l'emblème national, un trèfle, sur le dessus.
Je frissonne. Cet individu est synonyme de mauvais présage. Je connais ce genre de spécimen. Alcoolo irlandais à moitié cinglé. Plutôt la mort que le déshonneur. Je ferais aussi bien d'aller illico chez lui et mettre un terme à toute cette histoire. Pourtant, je m'en abstiens car nous ne sommes pas en temps de guerre. Il existe sans doute une autre solution. Peut-être que Zeb est toujours vivant.
Je consulte le message.
Tu l'as ?
Je soupire et range le téléphone dans ma poche.
Tu l'as ?
Merde. Zeb est probablement mort.
Qui est donc ce type, Zebulon Kronski ? Et comment en suis-je arrivé à le rencontrer ? Cette histoire est peut-être encore meilleure que celle des tirs aériens. La réponse remonte à l'époque du Liban — quelle surprise ! —, alors je vais faire court parce qu'on est plutôt dans le présent que dans le passé, même si le passé a l'air d'appartenir au présent la plupart du temps. Un jour, je vous raconterai en détail le passé, lorsque je serai capable de songer à l'Ours russe sans vomir.
Bref, les casques bleus patrouillaient le long de la frontière entre Israël et le Liban, dans l'espoir d'empêcher les troupes israéliennes, les chiites du Hezbollah et la milice libanaise de s'entretuer et d'envoyer tout le monde, nous compris, au royaume des cieux. Ces groupes se battaient depuis tellement longtemps qu'ils n'arrivaient même plus à s'entendre sur la nature du royaume en question. Notre principale mission consistait à protéger les civils, mais en pratique, nous paraissions servir de bouclier humain aux chiites qui en profitaient pour tirer des roquettes sur les camps israéliens. En général, nous nous contentions d'aller et venir en tenue de camouflage sous un soleil de plomb jusqu'à ce que notre peau se craquelle. Cependant, la situation devenait parfois explosive, ce qui arrive lorsque des bandes de types crevant de chaud et de mauvais poil sont en possession d'armes chargées et n'ont pas la même conception de Dieu.
Ce jour-là, je suis avec Tommy Fletcher en tournée d'approvisionnement dans les quartiers généraux établis par les Nations unies. Il insiste pour que nous fassions un léger détour par Mingi Street, un souk qui prolifère de manière anarchique, tel un récif corallien, tout autour du QG. Sur ce marché, on peut obtenir n'importe quoi si on y met le prix. À ce stade de notre carrière militaire, je suis caporal et lui est sergent. Je n'ai donc pas d'autre choix que de le suivre sans discuter.
Tommy joue les mystérieux quant à ce qu'il cherche et je suis moins réticent à le suivre que je ne le laisse paraître. La curiosité a toujours été mon point faible. Chaque fois que je demande des précisions, il se contente de tapoter son nez et déclare : En fait, c'est encore plus marrant que ce que tu crois.
Nous nous frayons donc un chemin à travers les gosses qui nous suivent tels des poissons nettoyeurs. Nous ne prêtons pas attention aux marchands de produits électroniques, aux vendeurs de T-shirts, de bijoux, et aux dealers de hash. Je garde le doigt sur la détente de mon Steyr, le pouce sur le cran de sûreté. Non pas que je déteste ces ruelles étouffantes où la vie grouille, mais il ne suffit pas d'apprécier certains endroits pour être apprécié en retour.
Tommy marche devant moi, un millier de regards hostiles rebondissent sur lui comme des cailloux sur le dos d'un rhino. Il arpente le souk à longues enjambées, frôle les draps soyeux étendus, joue des coudes pour franchir la forêt de rouleaux de tapis. Je suis complètement perdu et environ dix minutes plus tard, il frappe du poing sur un poster de Michael Jackson derrière lequel, de toute évidence, il y a une porte. Les yeux de Michael s'effacent pour laisser place à une autre paire d'yeux et je ne peux retenir une exclamation : « Je rêve, sergent ! Tu vas acheter quelque chose à ces gens ? »
Fletcher ne se laisse pas démonter. Il glisse une poignée de dollars dans une fente. La somme est suffisante et nous entrons. Le poster s'enroule vers le haut, identique à un store, et révèle une porte en acier, ce qui est cocasse vu que le mur est en contreplaqué.
Je ris franchement à présent : « Tu sais quoi, Tommy ? On devrait se barrer, comme dans Beat It. Ouais, on est bad. » Je ne vais pas jusqu'à danser le moonwalk, trop évident.
Je suis Tommy le long d'un couloir à plafond bas et continue d'avancer, même lorsque je pénètre dans une salle d'attente bondée d'autochtones en train de feuilleter US Weekly ou Cosmopolitan. Un grand panneau d'interdiction de fumer surplombe la salle et, curieusement pour le Moyen-Orient, tout le monde le respecte. Une secrétaire médicale plutôt mignonne jacasse au téléphone tandis que nous entrons. Elle nous ignore jusqu'à ce que Tommy tapote sur son bureau avec le canon de son arme.
« Je dois voir le toubib », annonce-t-il, cordial.
La secrétaire ressemble à une Américaine dans toute sa splendeur. De grandes dents à la Julia Roberts, et des nichons à faire jaillir les yeux hors de leurs orbites.
« Avez-vous rendez-vous, Monsieur ? », s'enquiert-elle. À la manière dont elle branle du chef lorsqu'elle prononce rendez-vous, je pencherais pour une Californienne. Tommy opine à l'identique. « Ouais, j'ai. De même que plusieurs chargeurs pleins dans mon sac. »
La secrétaire désigne la salle d'attente d'un doigt orné d'un ongle rose. « Tout le monde est armé ici, Monsieur. En ce moment, j'ai un Colt pointé sur vos parties génitales. Alors prenez place, car si le coup part, même le docteur ne pourra plus faire grand-chose. »
Le côté mélodramatique de cette après-midi pleine de surprises a une saveur étrange. Avec la chaleur, rien ne paraît plus ni réel ni mal. Mon cerveau grésille sous ma calotte crânienne et les murs crépitent.
Ces taons sont gigantesques.
Deux gonzesses avec des foulards à fleurs sur la tête discutent d'un article sur Madonna.
« Désolé, Mesdames, s'excuse Tommy, nous avons un emploi du temps chargé. »
Dès lors, tout se déroule en un éclair et quand j'essaye de reconstituer la scène, les images sautent de l'une à l'autre comme sur une vieille VHS trop visionnée.
La secrétaire se lève et, en effet, elle tient un gros flingue entre ses petits doigts. Tout à coup, ce flingue est dans ma main. J'ai dû le lui prendre de force. Je ne me rappelle pas vraiment. Les automatismes ont pris le relais. Tommy est parti dans le couloir et je me souviens avoir pensé : OK, trop c'est trop. J'ignore de quoi il s'agit, mais il faut décrocher. Bordel, je pourrais défoncer un de ces murs pour me frayer un passage jusqu'à la rue.
Pourtant, je ne vais nulle part, excepté à la recherche de mon sergent.
Le couloir est tapissé de posters jaunis par le soleil. Je me souviens avoir vu l'affiche de E.T. et celle d'un des James Bond avec Sean Connery. Ensuite, nous sommes devant la porte sur laquelle MÉDECIN est inscrit au gros feutre.
« Oh, vingt dieux, s'exclama Tommy. Pratique, hein ? »
Et il entre. Je couvre son flanc. La secrétaire, juste derrière, nous traite de salopards. À l'intérieur, nous distinguons du matériel chirurgical de base et du plastique par terre, ainsi qu'un homme en blouse blanche occupé à planter une énorme seringue remplie de pourriture rougeâtre dans la bite d'un patient.
Brusquement, ma curiosité s'envole et Tommy dégueule sur le sol plastifié. De petits ruisseaux s'écoulent dans les replis du polyéthylène.
« Sinistres crétins, gronde le toubib. Vous êtes en milieu stérile. »
Voilà comment j'ai fait la connaissance de Zebulon Kronski.
La suite plus tard.
À une époque, j'aurais pu emmener la Lexus à l'aéroport de Newark et l'abandonner sur le parking longue durée. Mais maintenant, avec la Sécurité intérieure, ils passent des miroirs sous les véhicules au moindre stationnement suspect, alors j'opte plutôt pour la gare routière du coin et arrête l'utilitaire à côté des bennes à ordures. Je devrais bénéficier d'une dizaine de jours de répit avant qu'on contacte la police. Avec un peu de chance, un gamin piquera le véhicule, larguera le corps, et brouillera les pistes pour quiconque voudra les remonter.
Je m'éloigne à pied sur cinq ou six pâtés de maisons avant de prendre un taxi, payé avec un des billets de cinquante de Barrett. Aucun scrupule.
Qu'il aille se faire foutre, il a essayé de me planter.
Je ne peux pas le dire à voix haute, ni même le murmurer, car je n'ai jamais tué quelqu'un en dehors des zones de combat et je suis profondément ébranlé.
Si ce n'était pas une zone de combat, c'était quoi alors ?
Dans le taxi, je chope la migraine à essayer de récapituler les événements de la matinée. Zeb avait une expression appropriée à ce type de situation. Il suffisait d'une mauvaise main au poker ou un manque de pot avec une gonzesse pour qu'il perde son calme.
Quelle raclure de pelle à merde, Dan. Une putain de raclure de pelle à merde.
Je ne saisis pas tout à fait la formule, mais d'une manière ou d'une autre, l'esprit y est.
Mon ami possède quelque chose que Mike l'Irlandais veut. Quelque chose de si important que Macey Barrett a obtenu l'autorisation d'éliminer tout témoin sans autre forme de procès. Si Zeb était encore vivant, il aurait été inutile de tout mettre à sac, il aurait donné ce quelque chose. Sûr et certain, aucune tolérance à la douleur. Une fois, je l'ai emmené aux urgences pour une crise cardiaque qui s'est révélée être un nerf coincé. Un putain de nerf coincé. Merde, j'en ai eu une douzaine par semaine dans l'armée.
Alors de ce point de vue, Zeb a probablement disparu. Et dans le cas contraire, qu'y puis-je ?
Rien. Baisser la tête et prier pour que l'orage passe. Faire le deuil en silence. Dans les films de guerre, toutes les salades que racontent les soldats quand ils refusent d'abandonner un frère d'armes se résument à cette vérité profonde. Conneries de soldats d'opérette. Un gars tombe derrière les lignes ennemies, il disparaît. Première règle au feu.