La terre est une femme, le ciel un homme

Sedi c’est la Terre ; Melo c’est le Ciel. La terre est une femme ; le ciel un homme. Ils étaient mariés, quand Sedi-Diyor, un des plus grands parmi les Wiyus, saisit le ciel, et le rossa si bien qu’il s’enfuit bien haut dans le ciel, laissant la terre en bas. Celle-ci donna naissance à deux filles. Mais elle était bien triste de ne plus voir son mari. Par conséquent, Sedi-Diyor trouva une nourrice pour ses bébés.

Quand les fillettes furent assez grandes pour marcher, elles se mirent à luire ; leur lumière se renforçait de jour en jour. Après un moment, la nourrice mourut ; Sedi-Diyor l’enterra. Les fillettes pleurèrent sa perte, comme celle de leur mère. Elles pleurèrent tant qu’elles en moururent. La lumière qu’elles projetaient disparut aussi.

Voilà qu’il faisait bien sombre derechef. Les Wiyus, les hommes et les bêtes avaient peur. Les Wiyus déterrèrent le cadavre de la nourrice et virent qu’il était tout pourri. Tout sauf les yeux. Ils virent que les yeux, énormes, brillaient dans l’obscurité, et se virent reflétés dans ces yeux. Ils crurent avoir vu les enfants morts dans ces yeux. Ils les arrachèrent, les lavèrent dans une rivière durant cinq jours et cinq nuits, ils les firent briller encore davantage. Mais ils ne purent ôter les images de ces yeux qui les suivaient.

Les Wiyus demandèrent à un charpentier de découper ces yeux avec soin, d’enlever les reflets, qui se révélèrent être les enfants décédés. Ils nommèrent l’une des fillettes Sedi-Irkong-Bomong et l’autre Sedi-Irkong-Bong. Ils les enfermèrent, sans les laisser sortir de leur maison.

Mais un jour, l’aînée, Bomong, se vêtit de vêtements bariolés, avec bien des ornements. Elle sortit toute belle pour se balader dans le vaste monde. Comme elle sortait de la maison, tout devint lumineux : ce fut le jour. Elle traversa les collines, et ne revint pas.

Après assez longtemps, sa sœur Bong partit à sa recherche, suivant les traces de ses pas. Mais quand elle sortit de la demeure, la lumière fut si forte, qu’elle brisa les rochers, fana les arbres ; les humains s’évanouirent à cause de la chaleur.

Les Wiyus, hommes et bêtes, tinrent conseil, et décidèrent que la seule chose à faire était de tuer une des sœurs. Ils rechignaient à le faire, délibérèrent un bon bout de temps, mais finalement, une grenouille alla s’asseoir sur le sentier, attendant, l’arc à la main, que la fillette arrive. Alors, Bong arriva toute pimpante, brillante. La grenouille lui décocha une flèche sur chaque côté, et elle mourut. Dès lors, il ne fit plus si chaud, la lumière ne fut plus si éblouissante. Les arbres reverdirent ; les humains se remirent au travail. Mais le corps de la fille restait là où il était tombé. Alors rappliqua Kirte, un Wiyu en forme de rat. Il traîna sur son dos le corps de la jeune fille jusque chez Bomong. Alors qu’il cheminait, il chut, et c’est pourquoi de nos jours, les pattes du rat sont tordues.

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Mais il se releva et parvint à un cours d’eau où Bomong était supposée passer. Il lui montra le cadavre de sa sœur. Elle fondit en larmes, pensant qu’elle aussi serait tuée. Elle enfila un sentier inconnu, et s’assit, avec une large pierre sur la tête. Assombri par la pierre, le monde s’obscurcit.

Sur ce, Wiyus, humains et bêtes eurent très peur, et partirent en quête de lumière. Longtemps, leur quête resta vaine. Finalement, Nginu-Botte attrapa un rat, un oiseau sauvage, un coq, et les envoya chercher Bomong. Le coq partit le premier, mais le poids de ses testicules l’empêchait de marcher. Il rencontra Banjibanman, et lui fit part de ses ennuis. Il se coupa les organes et voulut les jeter au loin. En vain. Ses testicules se cachèrent à l’intérieur de son corps. C’est pourquoi les testicules de coq ne sont pas visibles. Les testicules de coq devinrent ver de terre.

Le coq continua sa route et enfin trouva Bomong ; il lui demanda de revenir. Elle répondit :

– Non ! Ils ont tué ma sœur et ils vont me tuer. Dis-leur que je reviendrai seulement s’ils font revivre ma sœur !

Le coq revint et rapporta ces propos à Nginu-Botte. Il trouva un charpentier, qui façonna le corps de Bong, lui insufflant la vie. Quand Bomong entendit dire que sa sœur était de nouveau en vie, elle ôta la pierre qui couvrait sa tête, et se dressa. Le jour revint ; le coq cria cocorico ; l’oiseau sauvage chanta pengopengo ; le rat glapit taktaktaktak. Tous furent heureux de la lumière et de la chaleur.