Il y a mille ans, dans le Dekkan, près de la ville de Badami, au village de Ilkal, vivait une fillette nommée Kunku. Son père était artisan teinturier et tisserand. Dans des cuves de terre cuite, il mêlait des beaux fils colorés, afin de tisser de splendides vêtements. Un jour, des pas résonnent dans la cour : c’est Tchandrakali, une amie de Kunku. Elle avait son nid dans une poutre de margousier ; un superbe pigeonneau pelotonné sous le toit de chaume. Kunku lui demanda :
– Veux-tu venir avec moi accrocher les fils à la corde pour qu’ils blanchissent au soleil ?
Elle lavait à ce moment les fils dans une grande marmite d’eau chaude. Tchandrakali s’envola du nid, descendit au pied de l’arbre. Dans son petit bec, elle saisit les fils et les accrocha à la corde pour les sécher, avant qu’on les passe à la teinture.
La mère de Kunku s’activait dans la cuisine. Près d’elle coulait le fleuve luisant. Elle alla puiser des cruches d’eau dans le fleuve. Elle versa l’eau dans la grande marmite, souffla sur le feu. Elle étendit les paumes de ses mains devant les flammes, pour se les chauffer. Elle plongea dans l’eau bouillante la racine de la plante majit où se cache la couleur rouge. Elle se mit à touiller avec sa spatule et sa louche. L’eau se mit à rougir.
Derechef, Tchandrakali et Kunku étendirent les fils sur la corde. Magnifiques couleurs : rouge orangé, ocre couleur genda œillets d’Inde, noir cachou, violet, gris, rose. La mère connaissait les moyens d’obtenir diverses couleurs à partir des racines. Une pincée d’alun (sulfate d’aluminium) et de rouille de fer jetée dans la marmite pour obtenir des variétés de rouge. Magique ! Tchandrakali donna un bécot à Kunku. Kunku se baissa, la caressa. Elle fut saisie par la beauté des plumes striées de bleu du cou de Tchandrakali, qui brillaient au soleil. Le cou des autres pigeons n’était pas si bleu. Sur son cou à elle, le bleu était vraiment spécial, couleur azurée du ciel et des eaux. Les autres ont des couleurs variées : rouge brillant, jaune mordant, orangé, rose clair, violet foncé, brun terreux, vert des champs, couleur d’écorce, de racine, de feuilles, de graines. Kunku appela Tchandrakali et lui dit :
– Il paraît que les pigeons peuvent voler loin, et sont capables de retrouver leur nid après longtemps.
Tchandrakali dit :
– En effet, les pigeons sont nés pour voler, et pas pour suspendre des fils à une corde pour les sécher.
Kunku dit alors :
– J’ai pour toi une mission amusante à faire. Va-t’en voler vers le nord, au bord du Gange, jusqu’à Bénarès. Là-bas vivent des tisserands fameux, experts en bleus. Ils t’apprendront à fabriquer cette couleur sans pareille. »
Tchandrakali s’envola pour Bénarès, survola de grands fleuves, des champs verdoyants, d’immenses forêts. Au bout de quelques jours, Kunku s’inquiéta. Serait-elle perdue ? Mais un jour, Tchandrakali revint avec des brins d’herbe dans le bec.
– C’est le bleu que tu cherches, dit-elle à Kunku. Le fameux indigo.