Les koushti lutteurs penjabi

Au bord et de ce côté de la rivière Satlaj vivait un excellent lutteur nommé Tarlocan. Il avait battu tous les petits lutteurs de sa région. Se battre toujours contre les mêmes adversaires l’ennuyait. Il voulut un peu d’action.

Un jour, Tarlocan et son ami Pappu conduisaient un tracteur dans un champ montagneux. Pappu dit :

– J’ai ouï dire qu’il existait un champion nommé Parmajit, un type épatant.

– Comment le sais-tu ? demanda Tarlocan.

– C’est ma tante la belle Manju de Patiyala qui me l’a dit.

Et, pour ne pas vexer Tarlocan, il poursuivit :

– Pour moi, le grand champion tout à fait doué, c’est toi !

Mais la pensée de Tarlocan se dirigeait ailleurs. Il se disait que lutter avec ce champion serait bien amusant.

Le matin suivant, on le vit marcher avec un sac de mille kilogrammes vers la rivière. Il eut soif. Arrivé au bord, il prépara son chapati (galette), but toute l’eau de la rivière. Il ouit venant de derrière lui un horrible barrissement rageur. Se retournant, il aperçut un éléphant furieux, l’attaquant, et hurlant :

– Ce gredin veut boire l’eau à l’endroit où je m’abreuve ! Eh, voyou ! Tu as bu toute mon eau potable.

Tarlocan s’excusa.

Mais l’éléphant déconcerté s’avança à l’attaque. Tarlocan, calmement, s’esquiva, attrapa l’éléphant par la queue, le jeta sur son propre dos, et traversa la rivière.

Tarlocan alla chez Parmajit, ayant facilement trouvé sa maison. Il cria :

– Y-a-t-il quelqu’un ? Es-tu chez toi ?

L’épouse de Parmajit ouvrit la porte en disant :

– Non, il est allé chercher du bois de chauffage.

– D’accord, dit Tarlojan. Dites-lui que Tarlocan est venu de l’autre bord pour lutter contre lui. En attendant, voici un cadeau pour vous !

Et il lança l’éléphant dans la cour.

Une voix horrifiée se fit entendre venant de l’intérieur :

– Ô, maman !

– Ne t’inquiète pas ! Voici un souriceau dans la cour. Débarrasse-t’en d’un coup de balai ! Et cesse de te plaindre ! répondit la mère.

Tarlocan se dit que si pour elle un éléphant n’était qu’une souris… Enfin ! La brise soufflait parmi les eucalyptus. Tarlojan se mit à marcher en chantonnant. Soudain apparut, venant de loin, un nuage de poussière. C’était le costaud Parmajit qui traînait une charrette de deux cents bûches.

– Frère Parmajit, dit Tarlocan, je veux lutter avec toi !

– Mais je te reconnais, dit Parmajit. Tu es le champion sikh de l’autre côté de la rivière Satlaj. Très bien, j’ai pitié de toi !

– C’est par amitié que je suis venu, je voulais vraiment te voir. Es-tu prêt ? lui demanda Tarlocan en le défiant.

– Non, pas ici, répondit Parmajit. Nous sommes des lutteurs célèbres, il nous faut du public.

Tarlocan demanda :

– Je suis en bonne santé. Où trouver ce public ?

Se grattant la tête, les deux lutteurs réfléchissaient. Apparut une vieille femme, vêtue d’une jupe longue avec un foulard, aux cheveux blancs bouclés, qui apparaissaient de sous un foulard. Parmajit héla la vieille :

– Mère ! mère ! Veux-tu nous regarder lutter ? Nous sommes les meilleurs champions. Si personne ne vient nous voir encore, il en viendra d’autres.

La vieille dit :

– Avec plaisir. Justement en ce moment, je m’ennuie, et je suis bien embêtée. Voici ma fille Jesso, cette coquine, qui court avec mes chameaux. Si je ne la rattrape pas, je vais perdre mes cent cinquante chameaux.

Pourtant, en voyant la mine déçue des lutteurs, elle leur dit, tendant la main gauche :

– Sautez dans ma main ! Je vais courir, et tout en courant, je vous regarderai lutter.

Ils bondirent sur la paume de la vieille et se mirent à lutter. Loin là-haut, sur la cime du mont, la fille aperçut la vieille haletant derrière elle.

– Mon dieu ! Elle me suit avec l’armée !

– Merveilleuse idée, ma mère ! dirent-ils en chœur.

Elle hurlait fort, à déraciner les arbres. Aussitôt, elle plaça ses chameaux dans son châle rouge et vert, et dans son ballot, qu’elle traînait en courant. Comme elle progressait en terrain accidenté, les chameaux se bousculaient dans le sac. Tout en blatérant, ils exprimaient leur désir de se reposer.

– Arrêtez, cela suffit ! cria la fille. Si vous avez faim, allons manger.

Elle déracina les pommiers, orangers, papayers qu’elle empocha.

– Écoute, jeune fille ! Où vas-tu avec ces arbres ? cria le paysan.

– Ouf ! Tu es bien curieux. Toi aussi, viens avec moi !

Elle engouffra la paysan avec ses vaches et chèvres dans le sac. Elle parvint à un petit village, où elle trouva une pâtisserie. Elle entra, exigea aussitôt des halva. Il faut me payer, dit le pâtissier.

En vain. Alors, la fille le fourra avec sa boutique et tout le village dans son sac.

Le ballot allait se déchirer quand elle se sentit lasse de courir ainsi. Elle avisa une pastèque, et appuya sa tête dessus pour faire une sieste. Elle dormit longtemps.

Quelques jours plus tard, le ciel devint gris, les montagnes tremblèrent, le séisme s’accompagna d’une inondation emportant tout alentour. Elle se trouva sur une île. Tout autour, des eaux pures ; le soleil brillait. La pastèque se fendit.

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Tout le monde sortit du ballot : chameaux, arbres, paysan, vaches, gâteaux, boutique, halva, hameau. Ils décidèrent d’habiter là. Jesso épousa le pâtissier.

Et la vieille ? demandez-vous. Eh bien ! Lasse de marcher, elle s’assit sous un banian en silence. Soudain, elle aperçut une foule d’enfants qui faisaient la ronde. Petits, grands, maigres, gros. La vieille demanda, surprise :

– Qu’est-ce qui se passe ?

Les enfants regardèrent sa main gauche.

Elle dit :

– Joho ! je vous avais oubliés tous deux. C’est pour cela que ma main me paraissait si lourde.

Car dans sa paume continuaient à lutter les deux champions. Elle cria :

– Allez-y ! Vas-y, toi ! Attrape la cuisse ! Bravo !

Petit à petit, la vieille reprit sa marche, soupira, serra bien fort son ballot. La nuit tomba. Les enfants avaient faim, rentrèrent chez eux. Tarlocan et Parmajit continuaient à se battre. Au lever du soleil, enfin, étalés sur le sol, ils se mirent à ronfler. Ils rêvaient qu’ils luttaient : pas de vainqueur, pas de vaincu.