Conte à dormir debout sur la tête

Trois réservoirs étaient installés sur la pointe d’une herbe épineuse. Deux étaient secs. L’autre n’avait pas d’eau. Trois potiers s’installèrent dans celui qui n’avait pas d’eau. De ces trois potiers, deux étaient manchots, et l’autre n’avait pas de mains. Le potier sans mains fabriqua trois pots. De ces pots deux se cassèrent et le troisième n’avait pas de fond. Dans ce dernier ils cuisirent trois grains de riz. Deux de ces grains restèrent crus, et le troisième n’était pas cuit. Ils invitèrent trois invités à manger le grain de riz non cuit. De ces trois hôtes, deux furent furieux et le troisième ne pouvait pas être calmé. Le troisième invité qui ne pouvait pas être calmé, reçut trois coups de soulier. Deux coups le ratèrent et le troisième ne l’atteignit pas. Pour éviter d’être battu avec un soulier, l’invité s’enfuit. L’hôte le poursuivit.

Sur son chemin un éléphant sauvage attaqua l’hôte. Il frappa l’éléphant d’un coup de poing, et lui brisa deux côtes et demie. L’éléphant blessé se carapata, poursuivi par l’hôte. L’éléphant grimpa à un arbre, de branche en branche et de feuille en feuille. À la fin l’éléphant sauta de l’arbre et vit une théière à long bec, pénétra dans la bouche de la théière et essaya de sortir à travers ce tuyau. Le corps de l’éléphant passa bien mais sa queue resta collée. L’homme qui l’attaquait ne voulut pas tuer une si sotte brute et poursuivit son chemin.

Alors il vit une petite fille soulever la carcasse de l’éléphant sur un brin de paille et demander à sa mère où elle devait le jeter.

– C’est seulement une petite souris, dit la fille.

L’homme qui regardait cela se dit : « Comme le père d’une telle fillette doit être puissant ! » Alors il lui demanda où était son père. Elle dit :

– Il est parti dans la jungle pour faire paître les bœufs de soixante dix mille chariots de trésors, tous attachés à une ficelle qu’il porte autour de sa taille.

L’homme entra dans la jungle et vit le père de la fillette avec soixante-dix mille chariots-trésors attachés autour de sa taille. Il s’approcha de lui et le défia au combat.

– D’accord, dit le père de la fillette, mais nous sommes seuls ici et nous ne conviendrons jamais de savoir qui est le vainqueur. Cherchons un troisième homme arbitre.

Et juste à ce moment-là ils virent une vieille femme courbée qui passait. Elle avait de la nourriture dans une main et un pot d’eau dans l’autre. Ils l’abordèrent et lui demandèrent d’arbitrer.

– Oh mes fils, une vieille femme comme moi n’est pas faite pour un tel travail. Mais j’ai un grand garçon pas très loin d’ici, ce serait la personne idéale pour juger, parce qu’il transporte attachée à sa taille, une ficelle de soixante-dix mille chameaux.

Les combattants tombèrent d’accord. La vieille femme plaça le paquet de nourriture au sommet du pot qu’elle plaça sur sa tête, et invita chacun des hommes à s’asseoir sur l’une de ses mains. L’homme qui avait les soixante-dix mille charrettes les attacha soigneusement autour de sa taille et s’assit sur l’une des mains de la vieille. Son rival, s’assit sur l’autre.

Or, la vieille femme, quand elle était fâchée, avait coutume de menacer son fils et de lui dire qu’elle le confierait à la police. Le fils la vit venir de loin et elle vit ces deux hommes perchés sur ses mains. Il conclut que c’était les policiers ; alors il étendit son drap sur le sol et rapidement attacha ses soixante-dix mille chameaux dans le drap et se sauva. Les cous de quelques chameaux sortirent du ballot ; l’un d’entre eux tirait la langue. Un faucon, pensant que c’était un bout de viande, fondit dessus et s’envola avec le ballot. Il était tellement lourd que finalement l’oiseau le laissa tomber.

Or, justement, la reine se promenait sur le toit de son palais. Elle était en train de regarder en l’air quand le ballot tomba dans son œil. Elle eut mal et appela la sage-femme. La sage-femme examina l’œil de la reine et à sa grande surprise elle vit les soixante-dix mille chameaux qui se promenaient dedans. Elle attrapa les chameaux un par un et en cacha certains dans ses poches et dans les plis de sa robe. La reine était soulagée.

La sage-femme rentra chez elle en vitesse et délices ; elle compta ses chameaux, n’en trouva que 69.999. Elle était persuadée d’en avoir 70.000, et se dit qu’elle en avait laissé un dans l’œil de la reine. Elle retourna au palais, examina l’œil de la reine, mais ne put y retrouver le chameau manquant. Elle chercha dans le champ qu’elle avait traversé en venant, sans pouvoir y trouver le chameau manquant. Elle abandonna la recherche.

Un jour, elle confectionna des phulki, gâteaux de céréales ; quand elle en ouvrit un, elle trouva dedans le fameux chameau, mais sans la tête ni la queue.

– Où étais-tu donc passé, tout ce temps-là ? demanda-t-elle

– Je suis bien ici, mais ma tête et ma queue sont à Agra ; ils te reviendront en temps voulu, répondit le chameau étêté et équeuté.

Or, le roi d’Agra avait fait faire un beau jardin, jardin charmant, mais depuis quelque temps, on s’aperçut qu’un animal inconnu mangeait les plantes chaque nuit. Le roi ordonna de faire des recherches. En vain. Finalement, il ordonna au grand vizir de faire la garde de nuit lui-même. Le vizir accepta, et, pour se tenir éveillé, il se coupa le petit doigt ; il mit du poivre et du sel dans la blessure, afin que la douleur l’empêche de s’endormir.

À minuit, il vit le cou d’un chameau apparaître, et manger les plantes. Le vizir sursauta, attrapa le cou, et lui demanda son identité.

– Peu importe qui je suis, répondit le cou, mais prends ceci et je te le dirai.

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Le cou donna au vizir une graine en disant :

– Apporte cette graine au roi. Sème-la devant lui à la première ghari (demi-heure) du jour ; elle germera à la seconde demi-heure ; elle poussera à la troisième ; fleurira à la quatrième, fructifiera à la cinquième ; mûrira à la sixième. Le fruit sera mangé par le roi à la septième ghari.

Le vizir exécuta les indications du cou. À la septième ghari, une pastèque mûre fut placée devant le roi. Juste à ce moment, des astrologues firent leur apparition. Ils informèrent le roi qu’un orage épouvantable s’annonçait. Tout le monde serait tué à moins de se réfugier dans un abri sûr. Or, les astrologues virent la pastèque et hurlèrent en chœur :

– C’est exactement ce qu’il nous faut !

Ils fendirent, puis vidèrent la pastèque et tout le monde pénétra à l’intérieur. Toute la cour, le bétail, le peuple et tous leurs biens se réfugièrent dans la pastèque, et ils fermèrent les deux parties. Bientôt, la pluie tomba à torrents. Il plut des jours et des jours, toute la terre était inondée ; la pastèque contenant le roi et tout le monde flottait sur les eaux.

Le grand orage une fois terminé, un gros poisson très affamé vit la pastèque et la dévora. Mais la pastèque était si grosse qu’elle s’accrocha et se fixa dans sa gorge. Le poisson haletant atteignit le rivage, où il agonisait. Une grue qui n’avait rien mangé depuis des jours, atterrit et dévora le poisson. Mais le poisson ne passait pas dans sa gorge, et la grue tomba épuisée. Elle fut bientôt dévorée par un chat, qui ne put plus faire un mouvement, et fut à son tour bouffé par un chien, qui lui aussi resta inanimé sur place.

Or, passa par là un gitan errant, kanjar, que sa femme avait envoyé chercher de la nourriture. Il lui avait dit :

– Cesse de me casser les pieds ! Un de ces jours, je te trouverai de quoi manger pendant quatre jours !

Il était parti en quête de quoi grailler, quand il vit le chien agonisant. Il le tua d’un coup de massue et le rapporta triomphant, ravi, à la maison. Sa femme découpa le chien et cria :

– Chéri, il y a un chat dans le chien !

– Ne t’avais-je pas dit que je rapporterais de quoi manger pendant quatre jours ? Garde le chat pour demain !

Le lendemain, elle découpa le chat, trouva la grue et le dit à son mari.

– Garde la grue pour demain ! répondit le gitan.

Le lendemain, elle découpa la grue et trouva le poisson. Finalement, elle découpa la pastèque : tout le monde en sortit, le roi, la cour, le bétail les chevaux, les marchandises. Alors, le roi donna au gitan un terrain en pleine possession, une grosse somme d’argent, et rentra dans son royaume.