Ces déjeuners, dans les années 1990, qui mettaient en relation des gamines et des hommes de pouvoir ? C’était de notoriété publique.

Ces mots sont ceux d’une productrice d’émission de radio avec laquelle Enid et Elvire s’entretiennent du documentaire à venir.

Tout le monde le savait.

Et si ces déjeuners ont eu lieu tant d’années sans que personne ne s’en plaigne, c’est la preuve qu’il ne s’y est rien passé de bien sérieux, ajoute-t-elle.

 

Elles étaient prêtes à fouiner, à parcourir des monceaux d’archives, à ruser pour obtenir des réponses mais tout est là, à ciel ouvert. Le labyrinthe Galatée n’en est pas un, on peut en parcourir tous les recoins. Elles se targuaient de déterrer un explosif mais ceux qui l’ont manié en parlent avec la nonchalance qu’on accorde à un jouet. Un jouet dont on ne se souvient pas avec précision, sinon qu’il aura distrait. Le fichier témoigne de l’indifférence de ceux qui ont tout vu : des cadeaux trop chers offerts à des jeunes filles exaltées ou défaites, “élues” pour être utilisées et congédiées.

Certains jours, les visages sur l’écran de son ordinateur paraissent narguer Enid, les jeunes filles se moquent d’elle : à leur histoire, Enid ne comprend rien. Elle est bien trop vieille. Qu’elle leur fiche la paix : elles ont passionnément aimé Cathy, quelque chose leur sera arrivé, au moins.

À force de les scruter, Enid sait de chacune un détail qui l’étreint : le col usé d’un tee-shirt, des ongles rongés et vernis, les dents de guingois d’un sourire.

On arrive, leur promet-elle, j’arrive.