Toutes les filles que Yonasz connaissait faisaient de la danse. En primaire, les mères leur ramassaient les cheveux en petit chignon. Au collège, lassées de tulle rose et de remontrances, elles ne quittaient pas leurs jambières de laine violette sur des collants noirs sans pieds et ne rataient pas un épisode de Fame à la télévision.
Que Cléo s’imagine déjà danseuse professionnelle ne gênait pas Yonasz : lui se prenait bien de passion pour le tennis à chacun des tournois de Roland-Garros diffusés à la télé, brièvement traversé par le désir d’intégrer une section sport-études.
Elle y consacrait ses lundis, mercredis, vendredis soir et un samedi après-midi sur deux. Parlait niveau pro et auditions à préparer. Corrigeait Yonasz : le moderne c’était différent du contemporain. Et elle, elle faisait du modern jazz.
Toute de mépris envers celles qui n’avaient “pas le niveau”, Cléo lui narrait avec entrain les piques acerbes du prof. Sa joie brutale mettait Yonasz mal à l’aise, de même que son obéissance enfantine. Son prof de danse déterminait son humeur : qu’il la complimente et elle exultait, qu’il l’ignore, et Cléo se désespérait, quelle nulle, elle ne parviendrait à rien, jamais.
En attendant de devenir pro, et tout en clamant qu’obtenir son bac ne lui servirait en rien, Cléo s’appliquait à rendre des copies impeccables et toujours en temps et en heure. Elle résumait chacun de ses cours sur des bristols bleu ciel, lisait attentivement ce que Yonasz ne faisait que survoler.
Les premiers jours de classe, le sérieux de la jeune fille lui avait fait craindre que Cléo lui dispute les meilleures notes. Mais elle n’avait que les contours de l’excellence.
Tant d’application pour des résultats à peine passables lui rendait sa nonchalance coupable, lui qui s’attelait aux dissertations le dimanche à 18 heures et se voyait félicité par la majorité des enseignants.
Il lui avait proposé son aide en géo, en anglais, mais Cléo avait refusé : ça serait trop facile. Mieux valait ne compter que sur soi-même.
Yonasz la taquinait : ses phrases frileuses étaient celles d’une vieille dame.