Les termes choisis par Lara pour signifier à Cléo sa décision de rompre semblaient empruntés à l’annonce d’un plan social ; elle avait peur que la danseuse ne s’insurge, il n’en fut rien. C’était amusant, lui fit simplement remarquer Cléo, qu’à leur rencontre, Lara eût été serveuse et Cléo, servie. Elle n’avait rien ajouté, laissant entendre que très vite, entre elles, les rôles s’étaient inversés. Elle lui rendit la clé sans sembler affectée de leur séparation, hocha la tête quand Lara lui dit que c’était aussi un acte politique que de ne pas s’acharner à rester en couple.
Quelque temps après, Lara trouva un petit carré de papier entre les pages d’un livre ; lorsqu’elles étaient amoureuses, Cléo laissait à Lara des mots partout, sur la table de la cuisine, sous l’oreiller, scotchés sur la bouteille de shampoing dans la salle de bains.
De son écriture pointue, Cléo avait écrit : avec toi j’apprends tellement.
Elle revit la danseuse une fois, à l’automne 1999, Cléo avait oublié un pull dans sa chambre, puis elle resta sans nouvelles pendant vingt ans.
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Lara a conservé dans un cahier tous les petits mots de Cléo, ainsi que cette une du Parisien datant de mars 1999, la photo d’une manifestation, avec, en tête, la plus belle banderole du collectif : “Nous ne sommes pas contre les vieux, nous sommes contre ce qui les fait vieillir.”
Elle laisse souvent passer des semaines avant de répondre aux mails, une façon de réinstaurer le droit du temps, d’ôter de leur soudaineté autoritaire à ces messages qui surgissent plutôt qu’ils n’arrivent ; celui de cet adrien@superbox.fr dont l’objet est cléo commence ainsi : je sais que ma femme et vous avez été très proches…
Cléo bientôt quinquagénaire est mariée avec un Adrien. Si ça ne fait pas mal, c’est qu’on n’a rien dérangé.