La carte de vœux à Cléo, cette année-là, s’était avérée trop petite, Claude lui avait adjoint une demi-feuille A4.
Remerciée. Sans doute à cause de ses mains malades : on lui avait diagnostiqué une polyarthrite. Qu’on ne compte pas sur Claude pour assister à la première du nouveau spectacle !
Cette véhémence dérisoire et tardive quand elle avait fait partie de ceux qui avaient poliment tenu la porte à ce nouveau monde, feignant de ne pas remarquer, au fil des années, ses discrètes avancées. S’indigner en 2014 de l’écho d’un grondement perçu dès 1999.
Sans doute Cléo ne comprit-elle pas le sens de cette deuxième carte expédiée par Claude dès le lendemain, qui ne comportait que deux mots : Pardon, Cléo.
La réponse lui parvint trois mois plus tard, sous forme d’une lettre manuscrite où des ratures enfantines tranchaient avec le contenu, quasi professoral : pour que Claude lui demande pardon, encore eût-il fallu que Cléo se soit plainte. Peut-être était-il préférable d’oublier ? D’ailleurs, Claude avait-elle lu ce roman de Kundera dans lequel Cléo avait trouvé ceci : “Rien ne sera pardonné mais tout sera oublié.” Cléo proposait l’oubli, Claude, elle, le redoutait : pas un jour ne passait sans que Claude ne se heurte à la défaillance de sa mémoire, un mot lui échappait, une paire de clés était égarée…
Les souvenirs les plus anciens, au contraire, lui revenaient avec précision : ces nuits d’été, lorsque le père de Claude la hissait sur le muret du jardin. Ses mains, alors, ouvertes à la pénombre comme dans une eau sombre, jusqu’à sentir glisser entre ses doigts l’échappée d’un lever de lune.